La Vie Rémoise en 1861

1861

L’hiver de 1860-61 fut rude au pauvre monde, sans toutefois atteindre à la dureté de celui de 1879-80, où le thermomètre descendit en ville à - 22° et dans la plaine du Camp de Châlons jusqu’à – 30, au grand dam des bleusards de la classe 1878, enrégimentés au 91ème biffins, logés dans des baraquements et couchés sur la paille, soumis en plus à la visite intermittente des loups.

Au 10 janvier 1861, le thermomètre marqua - 10° et c’en fut assez pour mettre la puce à l’oreille de nos édiles et agiter les âmes charitables.

On se prépara à combattre le fléau par l’institution de réfectoires publics à l’usage des miséreux et des pauvres : ces établissements furent nommés Fourneaux économiques.

Dès décembre 1861, ils fonctionnent dans deux quartiers de la ville : rue Brûlée, n° 5, à l’établissement charitable de Saint-Vincent-de-Paul, et place Suzanne. Plus tard, un troisième fourneau fut ouvert dans le quartier de Saint-André. Le fourneau de la rue Brûlée distribua, en une semaine, du 16 au 21 décembre 1861, 4.100 rations.

Les bons étaient délivrés à domicile ou sur place, et au prix de 0 fr. 05 la ration, composée soit de 0 litre 33 de soupe à la viande ou aux légumes, soit la même quantité de légumes cuits.

Un réfectoire établi dans l’établissement permettait aux ouvriers éloignés de leur domicile et aux enfants des écoles de manger sur place, au chaud, servis par des personnes de bonne volonté.

Les commerçants de l’alimentation se solidarisèrent avec les œuvres charitables en abaissant le prix de vente des denrées les plus actives.

L’un d’eux, le boucher Collard, rue Neuve, 131, vendit le bœuf à 10 et 12 sous la livre, le veau et le mouton 14 sous. Nous connaissons, en 1922, ces mêmes produits, variant de 3.50 à 7.50 pour le même poids !... et cependant, la misère ouvrière est moins grande. Ce qui prouve à nouveau, pour ceux qui en douteraient, que tout en ce monde est relatif, en accord avec l’actualité.

Le pain demeure à son prix moyen de 1 fr. 20 le vulgaire pâton de six livres, en couronne fendue ou en boule, blanchi ou non.

L’année agricole fut bonne en céréales : le froment valait 22 fr. 86 l’hectolitre. Pendant la soudure, le pain atteignit 0 fr. 25 la livre.

La vendange donna peu, mais de bon vin. Citadins et ruraux, bourgeois et débitants se le disputèrent à l’envi.

Point de bonne table à la maison ni de piquet au café sans nos vins rouges de la montagne de Reims-Épernay, et de la vallée de la Marne.

Parmi ces derniers, le crû de Fleury-la-Rivière avait atteint une réelle et solide réputation. Le nom de ce patelin de la vallée se chantait dans les rues, où les marchands des quatre-saisons, conduisant leurs petites voitures à bras et à deux roues, faisaient une réclame étourdissante à ses pommes de terre.

Ces vogues subites et parfois inconsidérées se transmettent d’âge en âge et de produits en produits, avec une régularité dont nos successeurs, prévenus, n’auront pas à s’étonner plus que leurs ancêtres.

Ceux d’aujourd’hui, qui parlent de ces temps déjà lointains avec la tendresse d’un grand-père pour ses souvenirs d’antan, n’en étaient encore, en 1861, qu’au lait du sein maternel ou au biberon à tétine en caoutchouc, mais ils se rattrapèrent par la suite.

Ils connurent à leur tour et apprécièrent, – ô combien ! – parmi tant de picolos° pétillants et fameux, au bouquet enivrant, certain blanc de blanc de Villers-Marmery que la mère Truchon leur servait à 0.80 le litre, à raison de 13 à la douzaine. Un biscuit de Reims avec cela... et on peut en donner des nouvelles à la ronde.

Ces ivresses sont éteintes. On est depuis des ans, à la sèche, et ces pichenets sont devenus la proie des nègres de l’Afrique, des apaches du Nouveau-Monde et des pandours de l’Europe-Centrale.

Reverrons-nous le temps de ces joyeuses et spirituelles dégustations qui laissent le cerveau net, le cœur chaud, l’estomac léger et le ventre libre ? Qu’à Dieu plaise !

Les affaires du textile paraissent florissantes. De nouvelles associations se forment, notamment celles, pour les apprêts, de Palloteau & Marquant, rue Neuve, 22, tout contre le Bon-Pasteur ; pour les tissus, Trégoli, de Reims, et Hanesse, de Metz, à la maison Émile Bailly, rue du Cloître, 2; Camus & Liber, Joseph Mangin et Ad. Maupinot ; pour les laines, P. Demaison & A. Potier.

En filature apparaissent J.-B. Toussaint-Goffinet à la chevelure abondante et à la barbe touffue, qui date du temps où Schneider père, du Creusot, était contremaître aux Longuaux, promène sa canne rentée dans nos rues, suscitant une discrète curiosité et quelque admiration respectueuse en raison de ses origines supposées : il fut le mystère de la rue des Capucins comme jadis le père Cuif, – l’homme au chapeau en zinc, avait été celui de la rue Pluche.

À propos de ce Cuif original, il reviendra à la mémoire de quelques antiques survivants de nos strugglers for life ce trait remarquable : on vit le mystérieux personnage, – à l’instant même où s’échappait le jeune pompier Page, comme une torche enflammée, du brasier constitué par l’incendie du dépôt de pétrole Quentin-Lacambre, faubourg Cérès, en 1872 –, se précipiter sur l’infortuné, et, dans la pierre à eau d’un immeuble proche, s’escrimer à enduire ce corps ébouillanté d’une composition liquide dont les effets s’avérèrent immédiats : miraculeusement, la souffrance cessait au fur et à mesure de l’imposition de ce baume bienfaisant, que le thaumaturge improvisé avait extrait d’une fiole sortie des profondes de sa redingote noire.

Depuis, oncques ne revîmes l’homme au chapeau de zinc !

Le vigoureux Stanislas, de ce nom de Vigoureux, s’obstine à vouloir attirer l’attention et l’envie de ses confrères de la fabrique : il se proclame l’inventeur du biot angulaire et à chapeau, pour filature et tissage. Cette conformation extraordinaire de l’antique canette à renvideurs, donna prétexte, un temps infini, aux controverses et aux expertises les plus passionnées parmi la gent féminine des ourdisseuses et des pocheteuses de nos ateliers rémois. D’autres sujets, plus palpitants, devaient détourner par la suite l’intérêt de notre population ouvrière, et nos oreilles en ont entendu depuis bien d’autres !

L’adipeux et grêlé Lambert-Pasque, – Désiré Lambert, – dessinateur sur cartons Jacquart, est nommé professeur de fabrication à la Société industrielle, encore toute jeune naturalisée dans nos murs.

Ce curieux type rémois mérite un souvenir reconnaissant. Né à Beaumont-sur-Vesle, le 6 février 1801, il mourut à Reims, le 27 février 1875. Ouvrier tisseur à 16 ans, il s’occupa plus tard, chez son père, industriel, de la fabrication des nouveautés. Très inventif, il créa le renfermé, le duvet Jacquart. En 1851, il était expert en tissus pour la Chambre de Commerce. Il conserva son poste à la Société industrielle jusqu’en 1873.

En 1874, la Ville lui décerne le prix Buirette. La Société des Déchets et l’Union des Fabricants lui assurent une pension de retraite. Le contremaître de tissage Louis Beugé fait signer dans les usines une pétition demandant que ce subside soit réversible sur la tête de ses enfants. On l’inhume au cimetière du Sud.

Désiré Lambert était corpulent et de haute taille, le teint rosé, le visage ovale et plein encadré d’une barbe de jardinier, à favoris fuselés protégeant des oreilles rongées par la lumière ou le mistral du trou Poncette.

Rieur, bon enfant, aimable et pétillant bavard, chopineur de tempérament. Il bégayait peu, en temps normal ; après la chopine, beaucoup plus.

On les vit, lui et son portrait, souvent trônant dans l’arrière-boutique du charcutier Eugène Dupont, établi à l’angle de la rue du Jard, proche de son domicile de la rue Brûlée. Il y pérorait en compagnie du plafonneur, Carlier, du bossu Bachelart, directeur de tissage, et du peintre Louis Menu, dit le Rouge, parce qu’en 1848, étant jeune, il avait témoigné d’opinions humanitaires enflammées... et désintéressées.

Pendant que grillait la fine côtelette sur la braise incandescente, ou le boudin noir aux oignons sucrés, le rosé de nos Alpilles champenoises glougloutait dans les verres, y brodant son chapelet de globules, – garantie d’origine –, en attendant de se précipiter entre des mentons en galoche et à barbiche grise, et des nez écarlates aux ailes frémissantes et pigmentées.

Et les points de vue éclectiques miroitaient sur tous les sujets de polémique autorisés à l’époque. Le phonographe-enregistreur est venu au monde trop tard, et quelle perte pour nos générations !

Le portrait de Lambert souriait malicieusement au-dessus d’une porte : il était en tissu de laine à la Jacquart, fait de main de maître puisque du professeur même, et grand comme une carte à jouer.

Aux sorties de classe de l’école d’en face, les gosses, aux yeux élargis, se questionnaient : As-tu vu Lambert ? D’avoir entendu ce propos entre électeurs-majeurs, ils se figuraient qu’on voulait parler de ce fameux portrait à la Jacquart "?

Quel est le pillard anonyme en possession de cette relique ?

Baisse sur la laine lavée de un franc au kilo, comparativement à 1860, résultat des premières ventes coloniales à Londres.

La laine en suint de finesse ordinaire se paie 2 fr. 30 le kilo, liens de toisons compris, et crotteux dissimulés à l’intérieur des pelotes. Les laines mérinos extra-fines du pays de Gex, dite de la race du Naz, atteignent le haut prix de 5 fr. au kilo, en suint également. Les laines d’agneaux se règlent en général à 1 fr. 50 au kilo plus cher que les laines-mères. On fait un écart en moins de 0 fr. 40 au kilo pour les laines de moutons gras, dites pâturiers, tondues à dos de bêtes destinées à la boucherie et mises en pâture avant la saignée aux abattoirs.

Les pittoresques mais sordides et malsaines cours bordées d’immeubles qu’on rencontre à chaque pas dans nos rues de faubourgs, sont l’objet d’une virulente critique de la Revue des Deux-Mondes, sous la plume de Jules Simon.

Ces maisons bâties au pied des anciens remparts et dont le sol disparaît l’hiver sous les eaux de pluie, ces logements de la cour Fructus, la cour Saint-Joseph, du quartier Saint-Nicaise, du Cimetière-de-la-Madeleine, de la rue du Barbâtre, plus tristes et plus dépouillées que des cachots, ces longues files de chambres garnies où l’eau tombe goutte à goutte par des toits effondrés, où manquent l’espace, l’air et le jour ; ces familles enfouies dans des caves, perchées dans des greniers, entassées, serrées, pressées les unes contre les autres, étouffées dans d’obscurs et humides couloirs, séjours affreux de la faim, de la maladie et de la débauche !

Dans la cour du n° 136, faubourg Cérès, on peut voir, sous un escalier, une soupente de deux mètres de large sur 1 m. 50 de long. Il est impossible de s’y tenir debout, même sous la partie le plus élevée de l’escalier ; il n’y a point de fenêtre, et pour avoir un peu de jour et d’air, on est contraint de laisser la porte ouverte. Ce n’est plus aujourd’hui qu’un fournil, mais un médecin de la ville y a soigné une femme paralytique qui a vécu dans ce trou, – si cela peut s’appeler vivre –, pendant deux ans et demi.

La lèpre urbaine s’était étendue avec les ans entre les murs de ronde de notre ville, que des services hygiéniques menés virilement arrivèrent peu à peu à éteindre et faire disparaître, quoique partiellement, à la satisfaction générale.

Au firmament des mariages ne scintillent que des étoiles de petite et moyenne grandeur, dont certaines ne tardèrent pas à filer vers des constellations plus favorables. On ne parlera pas de ces dernières, qui ne sont plus de notre monde depuis longtemps.

Du bout de notre baguette aimantée, attirons à nos regards proches les plus luisantes d’entre les autres.

Émile François Odelin, 26 ans, épouse gente demoiselle Laignier, dans la fleur de ses dix-neuf printemps. Et, de suite, association entre Louis-Gabriel Laignier, tanneur rémois, rue des Capucins, n° 21, et le nouveau marié, dit Hippolyte, employé de commerce, ci-devant à Paris, rue Mauconseil, 17. La raison sociale est : Laignier-Villain & Odelin.

Un jeune médecin, Alphonse Panis, fils du professeur de ce nom à l’École de médecine, épouse Mlle de Montigny. Leur descendance fut nombreuse et a fait honneur à notre cité.

La famille était originaire de Chimay, où Panis père naquit en 1802. Naturalisé français, il s’établit à Reims et y gagne ses épaulettes de professeur en 1836, s’exerçant en apôtre convaincu à vacciner le plus de Rémois au possible, et soignant les malades du Bureau de bienfaisance pendant un demi-siècle. Le bon docteur avait complété son œuvre en faisant de son fils Alphonse le meilleur, ou du moins, le plus réputé des accoucheurs de notre ville.

Le public avait racolé une rumeur vagabonde dont l’existence est certainement apocryphe et qui contait à tous que l’aïeul des Panis, régisseur d’une famille noble de ce pays, émigrée en Belgique sous la Révolution, avait racheté de ses deniers personnels les biens sequestrés de ses maîtres pour les exploiter et leur rendre au retour des Bourbons. En reconnaissance, celui qui fut Panis père aurait été placé au Collège de Reims et élevé aux côtés de l’héritier de cette noble famille ?

Cette histoire a été tirée et colportée à plusieurs exemplaires avec variantes : l’historiographe inédit[1] de Nicolas David, – prote et littérateur, né à Reims en 1822 et mort à Paris en 1874 –, narre de son côté que pareille aventure advint à l’aïeul de ce David, entrepreneur de bâtiments, qui avait acheté en 1796 à l’État les constructions à démolir de l’abbaye de Saint-Denis.

La rumeur a pris là une autre forme : c’est une fortune liquide, en espèces, en bijoux précieux, enfouie dans une fosse profonde et dissimulée, puis rendue à ses propriétaires, les Ruinart de Brimont. Les légendes sont comme les canards : elles vont toujours par deux.

En ce qui concerne Panis, on s’explique difficilement qu’il soit natif de Chimay lorsque sa famille s’occupe en France de régir les propriétés d’un émigré.

Toutefois, comme il n’apparaît pas autrement nécessaire d’éclairer cette lanterne, courons au-devant et sans plus tarder de ce violoniste si connu des Rémois, J.-B. Chauvry, professeur de musique déjà, qui, à 26 ans, épouse Marie-Sophie Baudet, gentille modiste de 21 ans, sœur de notre Alexis de la fabrique, dont le souvenir ne s’éteindra qu’avec ses contemporains.

Celui qui fut le petit père Chauvry devenait, par cette alliance, le neveu du docteur Desprez. La grande Guerre le trouva aveugle et fit de lui, comme de tant d’autres, un chemineau de l’exil, jusqu’à ce que la mort vînt le soulager, en 1917, à Châlons-sur-Marne, où les deux vieux époux s’étaient réfugiés dès 1914. Que de mémoires vont s’éveiller, urbi et orbi, à l’évocation de ces deux noms : Chauvry et Baudet- Poissinger.

Jacques Lhuire, 30 ans, contremaître de filature, épouse Mlle Houbart, demoiselle de magasin, et sera le père de ce délicat et trop modeste poète lyrique rémois, Julien Lhuire, dont les manuscrits, déposés aux archives de l’Académie de Reims, ont été, avec tant d’autres, dévorés par les flammes, en septembre 1914.

Mais quel nom flamboie devant nos yeux charmés ! Ambroise Petit, notre Ambroise des Bilots, le glorieux fondateur de la chorale si célèbre des Enfants de Saint-Remi, lequel prend femme à vingt ans, sans plus attendre, tellement il se sent pressé par le destin de fonder une dynastie musicale dont nos oreilles seront à jamais les débitrices insolvables.

Et puis, ce sont des tout petits, tout petits crafouillats de nos rues populeuses et artisanes qui, eux aussi, ont droit au soleil de l’hyménée et vont faire leurs nids à la va-comme-je-te-pousse, dans les courées ou sous les toits de nos faubourgs, afin d’éterniser la maupiteuse engeance des éternels sans-le-sou, dont le travail assidu et sans gloire durable ni joies fécondes va tisser la trame et la chaîne de tant de bonheurs matériels, dont ils seront les contemplateurs mélancoliques. Rendons-leur grâce à tous : c’est encore les petits canards de ces couvées boiteuses qui barbotent joyeusement dans les mares boueuses de nos rues défoncées.

All right ! et vivent à jamais les Rémois !

Cet accès de lyrisme et ces effusions seraient à regretter si on en oubliait le souvenir de quelques autres compatriotes de l’élite gallo-romaine des derniers âges :

Le jovial Lantiome, la future gloire de notre barreau, se marie ; de même cet autre basochien, Émile Roze, voué au centenariat, qui tend son petit bras arrondi à la pimpante demoiselle Lapie, compagne dévouée d’un avocat retors, malin et loquace, comme il convient à la profession.

Nérot, violoniste et altiste fameux, tout en demeurant le passementier bien assorti et achalandé de la rue de Vesle, et qui deviendra l’Abraham d’une lignée infinie de jolis et délicieux petits-enfants, avant d’abandonner l’archet et la colophane pour aller écouter les célestes concerts, très tard, le plus tard possible.

Puis, pour clore ce palmarès vraiment rémois, l’homme de haute valeur morale et professionnelle qui fut le docteur Arthur Decès, dont le nom honoré, la main franche et les vertus monacales s’associent à cette autre noble fille de Reims, Anna Lochet, du nobiliaire bourgeois le plus élevé.

Toutes ces existences semi glorieuses, semi heureuses, vont se dérouler en films estompés sous le regard de ceux qui nous escortent dans cette Revue locale, – avec la légion aux cohortes innombrables que l’anonymat respecte, faute de pouvoir lui manquer de respect !

Ah ! ils sont trop nombreux, les morts !

L’An 1861 se montra d’une sécheresse étonnante au point de vue faits locaux. Les glaneurs s’en retournent confondus et la hotte vide. Que vont-ils crocheter au passage ?

Édouard Werlé fête ses noces d’argent et aide à y participer les titulaires et prébendés du Bureau de bienfaisance, en leur faisant détailler gratis la chair de deux bonnes vaches aux mamelles taries, lesquelles fournissent, tant en os à jusqu’à moelle, en biftecks, ragoûts, pot-au-feu et corée, le poids respectable de 1.123 kilos d’aliments chauds, au beurre, à l’huile, à la graisse et au vinaigre.

Un enfant prodige fait des carambolages miraculeux au Café des Arcades, dans la salle du haut, au coin des loges, côté d’Erlon. Il a onze ans, s’appelle honnêtement et sans vanité Garnier, et fait l’admiration d’un aréopage enthousiaste, qui le suit dans tous les cercles et les salons de billard, pour y recevoir ses leçons, au Café de Mars et au Café de la Grosse-Écritoire, – centres sélect de ce sport, moins dangereux que le boxing de nos jours.

Pendant ce gaspillage de temps, Paul Douce, enfant de Reims, fort studieux, et qui vise au notariat et à l’académicat, conquiert de haute lutte le championnat mondial du bachot-ès-lettres, grâce auquel on peut aspirer à toutes les grandeurs humaines.

Un peu de musique pour finir. Gustave Bazin fait ses débuts en public dans un concert de la Sainte-Cécile, à la Salle-Besnard, par l’exécution d’un duo de Don Juan sur deux pianos, en accord avec Ernest Cury, directeur de cette chorale.

Comme il barytonne très agréablement, il chantera avec Pérardelle, – sa future grosse caisse à la Musique municipale, un duo du Barbier de Séville. À ses côtés, en vedette, Souris, flûtiste, et Ponce Bonneterre, violoncelliste d’avenir.

Et à l’occasion de la réélection à la mairie de Reims de M. Édouard Werlé, l’Harmonie des Petits-Frères, déjà réputée sous l’archet du père Mennesson, donne une aubade à notre premier magistrat, protecteur et bienfaiteur avéré de cet institut.

Nous voici à la Saint-Sylvestre. Pour la fêter dignement, sacrifions à la tradition en mangeant une paire de petits pâtés tout chauds, et à bientôt pour le 1er janvier 1862.

[1] Eugène Dupont publiera, chez Matot-Braine, en 1929 : Les Serviteurs de la Plume, Nicolas David, Prote d’imprimerie et Littérateur, 1822-1874.