La Vie Rémoise en 1875

1875

C’est en cette année que Jean-Marie Jacquier cède à son fils Auguste le Café Louis XV, au n° 5 de la rue Cérès, démoli depuis par les Boches et reconstitué, dès l’armistice de 1918, sous forme d’un pittoresque baraquement, à tous vents, sous l’œil de son moderne tenancier, l’aimable Tayot-Lefèvre. Encore, en avril 1923, à son tour, va-t-il disparaître, ce provisoire, pour devenir un définitif qu’on espère aussi somptueux et confortable que son aîné disparu. Auguste Jacquier venait d’épouser Rosalie Archambault, de Saint-Morel (Ardennes).

Jean-Marie avait alors 65 ans et se promettait avec justice d’agréables et longues années, mais la Mort devait lui faire une visite inopinée et décisive le 25 mars 1881, et il lui fallut alors se laisser entraîner vers les rives noires du Styx par cette répugnante mégère, abandonner à jamais la bonne salle si animé et rendue si plaisante par sa société bruyante sans éclats, de petits marchands et détaillants, de maîtres tisseurs de la campagne rémoise, de placiers en vins ou comestibles ou tissus et laines, de rentiers au pain de seigle, d’orphéonistes, instrumentistes, gymnastes, essayistes de sports en tous genres, mutualistes et sauveteurs, avec lesquels il trouvait aisément à allonger les cartes, aligner le domino et pousser la bille, en buvant chopinette.

Cet établissement a fait partie de la décoration de notre ville et connu son heure historique.

Il datait de l’an 1858. Toutefois, et déjà sous cette enseigne : Café Louis XV on l’avait connu dès 1819 place Royale, 10, à l’angle de la rue Cérès, où un nommé Marchandise l’avait ouvert à l’occasion de l’érection d’une statue de Louis XV. Jacquier en acheta le fonds en 1844 et six ans plus tard le transféra pour une durée indéfinie, rue Cérès, n° 5.

Par Henri Menu (Almanach Matot-Braine, 1895), nous apprenons que Jacquier père, après avoir adjoint une épicerie à son commerce de limonadier, inventa en 1856 une cafetière économique, – prémisses du percolateur actuel – qui lui valut des médailles de chocolat dans les concours régionaux.

Parmi les habitués de ce café, notre érudit mémorialiste relève entre autres les noms de curieux types rémois dont la silhouette rôde entre nos ruines sous les regards intérieurs du passant qui s’attarde à en sonder les mystères et les profondeurs. En premier, ce fameux Tinot, relieur de livres, rue de l’École-de-Médecine, où il avait établi sa presse et son cousoir en 1854 – véritable artiste en sa profession, qui fit les délices de nos bibliophiles locaux.

Pour réussir dans un métier aussi assidu, aussi ingrat et si peu rémunéré, il aurait fallu à Tinot les vertus de ses confrères, la tempérance et l’économie, afin de faire honneur aux factures de ses fournisseurs.

Trop dédaigneux d’un argent qui prétend avoir droit à l’universel respect, il faisait de l’art pour l’art, et non pour vivre. Des hauteurs de la maîtrise, il chut à la servitude et ont le vit salarié à l’heure à l’imprimerie du bon Matot-Braine, puis à Châlons, chez les Saingery. Ses jours besogneux se terminèrent en 1886, alors qu’il œuvrait dans les ateliers de Paul Dupont, à Clichy.

Son poteau – son rival, dirons-nous avec Menu, et heureux ! car il était d’une habileté plus consommée, – le Nancéien Riche connaissait au même titre le chemin et les aîtres de cet hospitalier et rafraîchissant cabaret.

Riche, après avoir été gargotier à Paris, s’était mis à spéculer sur les terrains à bâtir, sans le moindre profit, puisqu’on le voit, à un moment donné, journaliste en Italie, puis, à son retour en France, pisciculteur et relieur. Politicailleur d’auberge et de cabaret, ses intempérances de langage lui firent craindre au coup d’État de décembre 1851, d’être compris dans une liste de suspects s’annonçant déjà co-pieuse, et il alla se cacher à Nancy.

Lorsque l’orage eut quitté son horizon, il revint à Reims pour s’y confiner dans le labeur obscur de sa profession, auprès de Tinot. Ensemble, ces deux disciples de Silène s’attelèrent à la besogne désaltérante qui consistait à mettre à sac les caves de Jacquier, abondamment meublées des nectars en bouteille de la Montagne de Reims, – gloire de la Champagne.

Cette destinée, depuis trop longtemps occupée à des acrobaties périlleuses sur un portique aux montants fragiles, devait finir tragiquement, – au moins pour l’un de ces deux clowns à la face enluminée : Riche mourut volontairement, à Gray, victime résignée de l’acide carbonique.

Ces deux amis de la dive bouteille cordaient à merveille avec cet autre client de Jacquier, le Sedannais Schmitz, lithographe chez Maréchal-Gruat et Maillet-Valser. Ce modeste artiste crayonna gentiment les charges et caricatures éditées en 1870-71, au nez et à la barbe des avant-boches d’alors, par l’impétueux et hardi Matot.

Ce trio sympathique et braillard s’était mué en quatuor par l’adjonction du morne philosophe et rimeur honteux Génicot, Islois de la Suippe, qui mourut à son poste de surveillant du Musée de Reims, en 1891.

Génicot, ex-ouvrier fileur, ne savait lire ni écrire à 18 ans. À force de veilles laborieuses et d’opiniâtre volonté, il avait réussi à se meubler le cerveau suffisamment pour acquérir la sympathique attention du cénacle politique et littéraire rémois. Ses essais poétiques eurent les honneurs de l’impression. Nos imprimeurs d’alors étaient tendres pour les maniaques de la plume et de l’écritoire. C’était un homme à principes austères et intransigeants. Henri Menu le qualifie : vieux sanglier républicain.

Les murs du Café Louis XV avaient été ornés de panneaux rustiques dus au pinceau de Hutin, élève de Marquant.

Puissent ses salons ressuscités retentir à nouveau, dans un proche avenir, de la clameur et des rires qui accompagnèrent, à son refrain, la joyeuse chanson à glous-glous de la Tisane de Champagne déesse en ces lieux !

Disons un adieu provisoire avec un au revoir consolateur à ces frères et sœurs en rémigite, disparus de notre ligne de mire, toutes carrières accomplies :

Eugénie Benoist, Veuve Levent, 74 ans, place du Palais-de-Justice, 16, fille de Etienne Benoist-Gaillot : signent au mortuaire, Charles Wirbel, son neveu, et son petit-neveu, Léon Lefèvre, employé de commerce, rue Saint-Étienne, 19.

Claude Victor Divoir, 56 ans, décédé le 6 février, rue des Tapissiers, 15, dans un appartement moyenâgeux niché sur la voûte archéologique qui servait de couloir de pénétra-tion dans la cour Chapitre, dont les ruines consolidées vont être ramenées à l’alignement de notre nouvelle rue Carnot.

Originaire de Saulces-Monclin et fils de Divoir-Huet, il avait épousé Julie Nathalie Porcheret. Père d’une famille composée de trois fils et une fille, dont il ne subsiste à cette heure que l’aîné, l’abbé Divoir, prêtre-sacristain à Notre-Dame, avant et pendant la Grande Guerre, et chargé des inhumations pendant un long, angoissant et cruel bombardement. Sont témoins à l’état civil : Léon Dailly et le cadet des fils, Jules Divoir, tous deux employés à la quincaillerie Girardot, place des Marchés.

D’humbles ouvriers rémois iront déposer la fleur du souvenir sur la tombe d’une religieuse de la Visitation, Marie-Josèphe de Hédouville, dont la vie s’épuisa à l’ombre de la croix, dans le couvent aux murs revêches et grisâtres de la rue de l’Équerre, où furent jadis cloîtrées les Dames de Sainte-Claire. Elle était née en 1805 à Presles-et-Thierny (Aisne) et fille de Nicolas Ferdinand Jérôme et de Thérèse Leleu de la Bretonne. Sont sollicités pour être témoins à l’état civil : Victor Vallet, menuisier, rue du Jard, 33, et André Jacquemin, tisseur, faubourg Cérès, 111.

L’architecte François Tortrat, célibataire endurci jusqu’aux limites de la vieillesse et de la mort, qui habitait rue Brûlée, 7, et était le fils de Jacques Tortrat-Tisserand. Ses plus proches sont du même nom : Noël Émile, à Fléchambault, et Jacques Alfred, le couvreur, au n° 1 de la rue du Couchant.

Hippolyte de Vivès, ancien adjoint au maire, né à Écueil le 1er janvier 1801, – le premier Rémois du siècle ! – et époux de Hortense Grépinet, rue Saint-Hilaire, 13 ; il était fils de Thomas de Vivès-Clicquot-Blervache. Témoins : Emmanuel Fernand de Vivès, capitaine au 25e dragons à Versailles, et Paul Krug, boulevard des Promenades, 53.

Roland Maille-Leblanc, 77 ans, rue Buirette, 32, des Maille-Regnart. Il avait épousé en 1ères noces Eugénie Robert de Bonneval. De ses fils, Jules Maille, était fabricant de tissus, rue Sainte-Marguerite, 34, et l’autre, Marie Louis, étudiant, vivait avec son père.

Charles Mennesson, 59 ans, rue de Cernay, fils de Hubert Mennesson-Deligny, et veuf de Jeanne Dupont. Témoins, ses deux gendres : Louis Joseph Bourg, rue de Bétheny, 19, et Ernest Leloup, rue Traversière-Saint-André, – tous deux serviteurs de la laine.

Louis Élie Salle, 46 ans, fabricant, rue des Trois-Raisinets, 1, et fils de Jean Élie Salle-Champagne.

Isidore Mongrenier, de Harbonnières (Somme), décède chez son neveu Alphonse Houpin, route de Cormontreuil.

Louis Gosset, architecte et adjoint au maire, meurt le 18 mars.

Un mois auparavant, ç’avait été le tour de Désiré Lambert, professeur de tissage, rue du Barbâtre, 62.

Précédé dans la tombe par ce vieil habitué des coulisses et des planches, le père Martin, utilité au Théâtre, ex-artiste dramatique (ô combien !) retraité de l’active depuis l’accident qui le fit claudiquer sans rémission et devenu porteur salarié, non point de contraintes, mais de billets doux et de tragiques missives pour soubrettes ou pères nobles.

Il nasillait comme il convient à un parfait gribouille, ce qui ne lui faisait point tort auprès des aristarques du parterre, mais ne l’empêcha pas de finir ses jours dans la médiocrité rarement astiquée des pensionnaires de Saint-Marcoul.

Ni lui, ni Lambert et quelques autres, n’eurent l’agrément d’assister aux pompes de l’entrée solennelle à Reims du nouvel archevêque, Benoît Langénieux, le 22 février.

Huit jours auparavant, le réjoui et docte abbé Deglaire, avait été installé à la cure de Notre-Dame de Reims.

Des temps nouveaux allaient commencer pour l’Église diocésaine et le Bulletin du Diocèse entrait dans l’une des phases les plus remarquables de son apostolat.

Sous le geste bénisseur de ce consécrateur de choix, de nombreux couples s’empressèrent, autour de la cathédrale et notamment au samedi de Pâques – jour choisi entre tous pour les hyménées :

Édouard Victor Changeux, employé de banque, fils de Changeux-Pierquin, de Villers-Allerand, et Émélie Heidsieck, des Heidsieck-Henriot, ayant pour témoins, Jules Palloteau, Henri de Boullenois de Senuc, de la verrerie de Loivre, l’aïeul François Henriot, avec l’oncle Louis, agent général de La Providence : on ne pouvait s’épouser sous de meilleurs auspices.

Notre futur banquier, Edmond Chapuis, né à Gray en 1852, fils de Chapuis-Limasset, et Anne Philippe, âgée de 20 ans, fille de Philippe-Niclosse, rue du Jard, 41. Quatre témoins non des moindres : Alfred Chapuis, A.-T. Limasset, directeur de l’École préparatoire au Lycée, le docteur Chéruy, d’Hautvillers, et l’ancien fabricant, François Loth, rue du Jard, 96.

Charles Laval, teinturier, rue Brûlée, 3, fils de Laval-Chatelain, brasseur et Zélie Houlon, fille de Jules Houlon-Demogue, marchand de fers, rue des Tapissiers.

Alfred Lefort, alors principal chez Me Léon Ducloux, notaire à Paris, et fils de François Lefort, inspecteur des ponts et chaussées, rue de la Peirière, 23. Paul Pinon, Louis Lochet et Bertin Bazire, conseiller à la Cour d’appel de Paris, sont témoins de son mariage avec Marie Maireau, fille de Gustave et Sophie Duplessis.

Veuf de Gabrielle Augustine Hébert-Gillet, Pierre Théodore Dubourg-Maldan fils, négociant en vins, rue Rouillé, 5, épouse Clémence d’Anglemont de Tassigny, fille de Adolphe de Tassigny, ancien garde général, et de Julie Delbeck, place Royale, 13.

Pierre Eugène Fortin, de Neuflize, directeur du tissage Gabriel Stef, rue de Courcelles, 47, et Stéphanie Marie Laplanche, fille du luthier Laplanche-Deforge.

Albert Paroissien, alors âgé de 26 ans, et fils de V. Paroissien-Achez, fabricant, rue des Capucins, 94, épouse Marie Angélique Henriette Osouf, 20 ans, de Compiègne, fille d’un maître de postes à Paris, décédé en 1855. Témoins : Robert Anatole Paroissien, son frère ; Osouf, ex-loueur de voitures à Compiègne, et le négociant en laines Eugène Gosset.

Jules Rome, avoué, rue de Talleyrand, 45, fils de Rome-Lundy, adjoint au maire, et Mathilde Martin, fille de Martin-Ducrocq, et veuve d’Achille Senart.

Pour ses débuts à la Merveille, l’épicurien Deglaire avait écrémé le lait de la ferme rémoise, et sa cave de la rue Notre-Dame vit affluer les champenoises, les bordelaises et les bourguignonnes dont il est coutume de combler la paroisse où s’accomplissent les rites sacramentels du mariage religieux.

Il y avait de quoi épanouir les faces rubicondes de plus d’un fabricien de Notre-Dame, de ceux qui, au titre d’amis de l’archiprêtre et de ses bons crus, participaient aux joies pascales ou mensuelles du presbytère !

Les autres paroisses ne furent point négligées d’ailleurs, et les noces y furent nombreuses et aussi remarquables à des titres divers.

Saint-Maurice ramène en son giron l’avoué Édouard Cabirol, d’Auboué (Meurthe-et-Moselle) et Irma Gerly, fille d’un boulanger du Barbâtre, Gerly-Muzerelle.

Saint-Remi aura Léopold Philippe, de la Neuville-aux-Bois, rue Dieu-Lumière, 2, et Eugénie Assy, – la petite brunette Nini – laquelle aide son père Alexandre Assy, fort occupé aux soins de son auberge populaire, Au Lapin-Gras, à l’angle de la rue des Créneaux près de la Brasserie À la Grosse-Enclume.

La coquette église de feu Thomas Gousset, s’orne en l’honneur de Gabriel Scrépel, fils de Scrépel-Roussel, filateur et adjoint au maire de Roubaix, aux côtés de Hélène Germaine Houzeau, des Houzeau-Besnard du Val.

Saint-André, lui, s’est réservé Edmond Sarazin, né à Gueux en 1845, fils de André Sarazin-Aubry, ancien cultivateur, rue Clovis, 20, et Jeanne Léonie Dubois, 23 ans, fille de Dubois-Gillet, fabricant de peignes et lames, rue de Cernay, 24.

Saint-Jacques – la Madeleine rémoise – a un faible pour les artistes ou ceux qui les approchent :

Louis Lapchin, qui sera l’un des piliers de notre Philharmonique au pupitre des premiers violons, en même temps que l’un de nos plus sélects chapeliers, vient de Valenciennes, habiter au 34 de la rue du Cadran-Saint-Pierre, et de là se précipite dans les brancards de l’hyménée pour y tirer le char de la vie conjugale, accompagné de Irma Chavalliaud, fille de Chavalliaud-André, ancien cabaretier, boulevard des Promenades, 89. Présents à l’état civil : celui qui sera l’un des plus glorieux enfants de Reims, le sculpteur Léon Chavalliaud ; son oncle Léonard, buraliste à Paris, rue du Bac ; l’hôtelier de la rue Buirette, Martial Chaval-iaud, et les Lapchin, Jules, bonnetier à Saint-Amand-les-Eaux ; Léon, chapelier à Saint-Quentin.

Sous la même nef antique, défile fièrement le cortège nuptial de Mlle Didy, de la rue de l’Arquebuse, qui a consenti à prendre pour époux Janouix, dit le beau Joseph, l’escargotier renommé de la rue Hincmar, et qui n’était encore alors que garçon limonadier chez Courtin, au Café de la Banque, place de l’Hôtel-de-Ville.

Joseph Janouix eut sa marque de champagne et non des plus mauvaises, quoi qu’il ne fût lui-même que d’origine nivernaise, né à Cosne, et n’eût jamais piétiné le raisin de nos coteaux champenois.

N’oublions pas le bel et élégant Maugin, fils de Maugin-Vernier, fabricant, rue Hincmar, 12, qui épouse la plus belle fille de Reims – du moins au dire de la génération de nos compatriotes qui la connurent à l’époque – Louise Augustine Templie, issue d’un trieur de laines Louis Templie-Rousseau, de Château-Porcien.

Maugin fut de longues années vendeur et acheteur de tissus à la maison Amouroux & Miltat ; il était devenu une curiosité locale par sa façon de porter les favoris et sa longue redingote, allongeant outre mesure sa haute taille. Il était d’une souche de fabricants de tissus par son père et son oncle Joseph, du Barbâtre.

Les témoins de l’épousée furent Valentin Templie, propriétaire, rue Simon, 23, et le marchand de vins Dérozier, rue de La Salle, 16.

C’est à Saint-André qu’eurent lieu les noces religieuses de Paul Laignier, employé de filature, fils de Laignier-Saguet, filateur à Faverolles et de Marie Rousseau, fille de Rousseau-Toison, fabricant de cardes, rue Ruinart-de-Brimont, 13.

Et maintenant, qu’il soit permis à une plume résistante et vaillante, mais nullement infatigable, de suspendre à ce point final la peut-être fastidieuse énumération des faits et gestes de quelques-uns de nos contemporains rémois, plus ou moins notoires !

La faveur et les encouragements d’intrépides lecteurs peuvent cependant provoquer, à bref délai, la reprise de l’opération.

Serait-ce un bien ? ou un mal ? ou simplement une superfluité supplémentaire ?

Prêtons l’oreille à toute rumeur bienveillante qui se manifesterait aux approches des Six-Cadrans, à deux pas de ce cabinet de travail où se perpétrèrent tant de tentatives à prétentions avouées – et par cela même à moitié pardonnées – plus ou moins littéraires, plus ou moins annalistiques !

… Et c’est en ce jeudi 29 mars 1923, à l’heure même où jadis, dans les temps heureux, les deux bourdons de la Merveille lançaient du haut de la tour sud le signal du départ pour Rome des cloches de nos églises et de nos chapelles – avec billet d’aller et retour valable trois jours seulement ! – c’est à cette minute même où l’on prêterait en vain l’oreille aux échos assourdis de ces petites sœurs en deuil de la voix des grands frères, que le crime boche a rendu muets, que le présomptueux mémorialiste de la Vie Rémoise termine cette représentation panoramique où il s’est ingénié à faire défiler – sous les yeux des Rémois qui, en ces temps soucieux d’un avenir incertain, s’intéressent passionnément aux choses d’un passé encore proche – si puériles parfois et d’autant plus attendrissantes – les pathétiques silhouettes d’un monde qui va s’effaçant, mais dont on ne saurait trop s’efforcer de retarder l’éternelle disparition, en reconnaissance de la part touchante que ces morts et ces survivants ont prise à l’existence, à la durée, au prolongement, comme au bon renom et à la prospérité d’une ville glorieuse et d’autant plus chère à ses enfants qu’elle a le plus abominablement souffert pour la rançon de la patrie.