L- Les rues de Reims, mémoire de la ville

BÉTHENY - BEZANNES - CORMONTREUIL - REIMS - SAINT-BRICE-COURCELLES - TINQUEUX

Quelques années avant de nous quitter, Paul Seltzer me fit promettre de poursuivre son œuvre sur les rues de Reims. Dès 1987, je me mis au travail. Des difficultés rencontrées, firent que le manuscrit alla sommeiller pour quelque temps dans des cartons.

Des années de recherches aboutirent à un ouvrage de plus de 1000 pages, impubliable actuellement. Cependant, je ne désespère pas de pouvoir un jour éditer un Dictionnaire historique des rues de Reims, en plusieurs tomes, illustré et à faible tirage. Le présent volume n’est donc qu’un extrait d’un travail plus considérable qui incluait la nouvelle Communauté de Communes de l’Agglomération de Reims (CCAR). Ces communes, Bétheny, Cormontreuil, Saint-Brice-Courcelles, Tinqueux, sur lesquelles j’ai travaillé, pourront faire ultérieurement l’objet d’une plaquette pour chacune d’elles, à l’exception de Bezannes, dont la plupart des noms ne sont que des lieudits.

Dans la mesure du possible, ont été indiqués l’année de dénomination de la voie, ses tenant et aboutissant, une courte biographie ou explication, et le nom antérieur lorsque celui-ci a été changé.

Exemple : Adam, rue Paul [1924].

<= 33-35, rue du Jard, => 26-32, rue de Venise.

[1924] : signifie que la rue Paul Adam a été dénommée en 1924 (il suffit de se reporter à la bibliographie pour retrouver la date exacte de la délibération du conseil municipal),

<= 33-35, rue du Jard : qu’elle commence rue du Jard entre les numéros 33 et 35.

=> 26-32, rue de Venise : qu’elle se termine rue de Venise entre les numéros 26 et 32.

Il m’a paru intéressant d’indiquer l’adresse exacte de naissance et de décès, le nom du conjoint et le lieu de sépulture des personnages ainsi honorés. Ces détails figurent rarement dans les biographies.

Il est évident que je me suis plus attaché aux personnalités locales, qu’aux célébrités nationales dont tout un chacun pourra trouver des renseignements biographiques dans les encyclopédies disponibles.

Malgré tout le soin apporté à contrôler les renseignements, notamment les dates, le lecteur trouvera infailliblement des erreurs. Je le remercie de bien vouloir me les signaler afin de pouvoir les corriger dans une éventuelle réédition.

Autrefois, les noms se rapportaient surtout à des enseignes de commerce ou de lieudit.

Au XIXe siècle, une nouvelle mode fit apparaître des noms de personnalités plus ou moins notables. C’est ainsi qu’en 1840, Povillon-Pierard fut chargé par la municipalité de faire des recherches sur les étymologies anciennes et nouvelles des noms de rues.

Heureusement pour l’Histoire, il y eut peu de changements de dénomination. Hormis en 1887, où 79 voies furent concernées, en 1894, 34, et en 1903, sous le maire anticlérical Charles Arnould, 37 changèrent de nom.

Dans un rapport établi en 1946, Gustave Laurent rappelait que le Conseil municipal de la Ville de Reims avait toujours suivi les règles posées dans son rapport de 1903 et qui consistaient essentiellement à ne pas toucher aux anciennes appellations des voies de la ville. Le Conseil, ou plutôt les agents de Vichy nommés en 1941, disait-il, s’en sont écartés une seule fois en débaptisant deux anciennes voies : la place Belle-Tour et la rue de l’école-de-Médecine. Après avoir déploré ces changements, Gustave Laurent, à l’annonce de la visite à Reims du vice-président du Conseil des ministres qui désirait inaugurer certaines rues, proposa les noms suivants qui lui étaient en quelque sorte imposés par le gouvernement : Henri-Barbusse, Paul-Vaillant-Couturier, le Colonel-Fabien, Lucien-Sampaix, Raymond-Guyot, Roger-Salengro, Marx-Dormoy, Léo-Lagrange, Pierre-Brossolette, d’Estienne-d’Orves et Auguste-Delaune. C’est ainsi que furent débaptisées une partie de la rue de Vesle, les rues Thiers, Saint-André, Saint-Jacques…

Autrefois, un principe voulait que l’on attende cinq ans après la mort d’une personnalité avant de lui attribuer une rue. Cette sage mesure ne fut pas toujours respectée. La règle de ne pas dénommer une voie du vivant de l’intéressé eut à souffrir de quelques rares exceptions (deux seulement).

En 1978, il fut rappelé un autre principe : celui de ne pas donner un nom qui aurait déjà été attribué dans une commune de l’ancien District de Reims, aujourd’hui CCAR, afin de simplifier la tâche des services de lutte contre l’incendie. Malheureusement, ce principe ne fut pas toujours suivi.

La taille des rues n’a pas toujours été à la dimension des personnages. C’est ainsi que Jean-Baptiste de La Salle, l’un des plus grands Rémois, dont l’œuvre a un rayonnement mondial, doit se partager une toute petite rue avec un obscur personnage vaguement homonyme…

38 femmes seulement ont eu les honneurs d’une dénomination… sur 1549. Avec la meilleure volonté du monde, la parité ne sera jamais atteinte !

A l’analyse des tableaux ci-après, le lecteur comprendra que les dénominations sont éminemment politiques. La moralité est, que si l’on souhaite passer à la postérité (illusoire, il faut en convenir), il vaut mieux avoir été conseiller municipal, même des plus médiocres, que d’avoir accompli de grands bienfaits.

Le directeur général des Archives de France, Charles Braibant, président d’honneur des écrivains de Champagne, n’avait-il pas écrit : il y aurait une bonne purge à faire dans la nomenclature des voies de Paris au profit de personnages qui ont bien servi la France et sa capitale et ont pourtant été oubliés à cet égard. Bien que je pense qu’il soit toujours néfaste de changer une dénomination, je ne suis pas loin d’approuver Charles Braibant, non seulement pour Paris mais aussi pour Reims.

Je terminerai en émettant un regret : c’est que nos édiles, semblent parfois avoir été dépourvus d’imagination, en dénommant des voies par des noms de fleurs ou d’oiseaux, alors que des notabilités locales, où nées à Reims, restent oubliées, telles que la comtesse de Loynes (1837-1908), la duchesse d’Uzès (1844-1933), Cécile Périn (1877-1954), Lucienne Ercole (1894-1985), le chevalier de Rougeville (1768-1814), Adelbert de Chamisso (1781-1838), Charles (1818-1889) et Henri Loriquet (1857-1939), Léon Harmel, le général Petit, Ernest Irroy (1829-1896), Eugène Dupont (1859-1941), le docteur Pol Gosset (1868-1942), Paul Wenz (1869-1939), Jean Goulden (1878-1946), le marquis Melchior de Polignac (1880-1950), François Maille (1881-1949), Enguerrand Homps (1884-1951), Robert Camelot (1903-1992), Paul Voisin (1904-1996), Roger Vailland (1907-1965), Maurice Couve de Murville (1907-…), Alexis Grüss (1909-1985), Yves Gibeau (1916-1994) et combien d’autres… et pourquoi ne pas mettre un peu d’humour dans nos rues avec le roi d’Araucanie, Achille Laviarde, l’une des reines de Paris, Clémence de Pibrac, la Môme Moineau, ou encore Charles Desteuque l’Intrépide Vide Bouteilles…

Reims, le 1er juillet 2004,

Jean-Yves Sureau.