E - Témoignages Wells et E. Dupont

Visites à Wells et correspondance.

WELLS et EUGÈNE DUPONT

Eugène Dupont, qui fut l'un des traducteurs de Wells, pour ses Anticipations, par le récit de ses différentes visites, nous plonge dans l'intimité du grand écrivain anlais.

Chez Wells en 1910[1].

Dimanche 2 octobre.

Visite à H. G. Wells, à Londres, Church Row, 17, Hampstead, W. N.

Habitation simple à deux étages, sans perron, façade sur rue. L’autre visage de l’immeuble plonge ses regards sur un panorama d’arbres et de jardins-promenade, dominant le lointain nuageux et gris de l’énorme Cité, aux toits et clochers moutonneux.

Reçu d’abord par Mistress Wells, blondinette maigriotte qui baragouine quelque français à demi appris. Mon baragouin anglais lui tient tête honorablement, et on ne saurait donner un état civil à ce qui en résulte !

Wells se présente, en tenue de travail : veston gris molletonné, pantoufles.

Court de taille, rond sans être obèse : à part la clarté des yeux et le sourire d’un bon type accueillant, teinte neutre.

Lui aussi baragouine, mais effroyablement (en 1933, il est presque au même niveau : on ne saurait dire qu’il « sait » le français !).

Wells couche dans son « studio », pièce étroite et pleine d’intimité, d’où par une large baie vitrée, il jouit d’une vue étendue et infinie sur le ciel et la terre, jusqu’aux toits londoniens et au-delà.

Chaque fois qu’il se réveille, il saute à bas de sa couchette de fer, à un matelas unique, et prend sa plume.

La pièce est chauffée par un réchaud à gaz, où mijote constamment le thé de la bouillotte.

La chambre mesure quatre mètres sur quatre, et le jour sur Londres est pris par une fenêtre de même largeur ; elle est au 2e étage. Sa bibliothèque est au premier étage.

Traits un peu pâteux, moustaches et cheveux cendrés, l’œil bleu, denture sans trace d’aurification, l’air d’un « piocheur » intellectuel sans caractéristique prononcée : la figure du premier-venu, vraiment.

On avait fait venir du Moët à mon intention : j’ai dû décliner l’offre, l’invitation au déjeuner, remise pour acceptation au plus proche voyage à Londres. J’y rencontrerai, dit-on, des Français habitant la capitale britannique.

Mais le plus souvent, ces occasions différées ne se retrouvent plus. Ce déjeuner eut lieu à Grasse, fin décembre 1932 ! au Lou Pidou.

Autre promesse en l’air, où elle est encore, puisque, de nos jours, Wells voyage par avion : passage à Reims en allant en Suisse (Mme Wells est décédée depuis !).

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Additif : Les Wells me disent :

« Ici, on ne reçoit pas de sportifs ! » Cette déclaration flotte comme une oriflamme. Ils ont deux enfants, que je caresse, « blondinets » au teint de lys à l’anglaise, et déjà grandelets ; une bonne qui approche de la soixantaine. Intérieur familial, aux mœurs simples, chez des gens plutôt irréligieux.

Je m’étais vraiment présenté de trop bonne heure, – 11 heures du matin, un dimanche ! – et Mme Wells n’avait pas terminé sa toilette ou apprêts physiques ; aussi sa dent absente ouvrait-elle un vilain trou dans son aimable bouche ! La bonté ambiante a paré à tout !

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De H. G. Wells, – Août 1920[2].

Cher Monsieur Dupont,

Vos très chaleureux compliments me sont parvenus.

J’aurais été heureux de faire le voyage dont vous parlez et de visiter ce nouveau Reims et d’en rappeler le passé, là même où les ruines ont recouvert son sol dévasté, y fêter sa résurrection, la célébrer quand les choses auront repris leur physionomie d’avant-guerre.

Mais je suis trop profondément occupé à des tâches qui ne me laisseront pas le loisir de le faire.

Votre dévoué,

H. G. Wells.

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Ce trop court billet en réponse à la lettre suivante :

À H. G. Wells,

Little Easton, Dunmow.

30 juillet 1920.

Cher et grand artiste,

Rentré avec une joie profonde et sans égale dans ma petite Patrie rémoise, en cette grande et infortunée cité de Reims si impitoyablement, cruellement, sauvagement ravagée, je vous en adresse mon salut de bienvenue et le souvenir fidèle d’un ami et admirateur.

Vous avez sans doute visité nos ruines. Sinon, Maître, il faut le faire !

Alors, – en outre des concours officiels qui ne vous manqueraient pas, vous y trouverez celui plus intime et serviable de l’hôte du foyer reconstruit où j’habite, de ce vieil enfant de Reims que je suis et veux rester.

Le plan définitif de Reims est établi. Oh ! cher cerveau puissant et aimé, un roman d’anticipations sur cette ville ressuscitée !...

J’en vois surgir tout un monde nouveau… et réel. Quelle fortune, pour nous autres les Rémois, sexagénaires, de voir concréter leurs rêves par le vôtre !

Voir, de nos regards intérieurs, la cité rémoise de 1970, ou même de 1950 ! Ce serait beau, trop beau, peut-être, et c’est cependant, pour vous, possible ! Je ne fais qu’effleurer cette suggestion.

Votre puissante imagination, votre don de création dans le temps et l’espace, votre science, votre talent, cette flamme divine qui vous inspire, que ne peuvent-ils rassembler en un tel ordre d’idées ! Un plan qui vous serait remis. Vous viendriez ici allumer la flamme de votre cœur au brasier de notre enthousiasme.

Des concours officiels, à foison. D’amis au modeste savoir, mais plus religieusement inspirateurs et vrais au possible.

Alors, hésiteriez-vous ? D’autres travaux plus considérables ? Il n’en est pas, pour le mendiant reconnaissant que je serais, de plus urgent pour un réel ami de la France, et aucune œuvre peut-être ne saurait rivaliser dans le succès et la renommée que ce roman d’un Reims anticipé...

Venez, cher artiste, ne pensez pas que c’est un infime parmi les infimes qui vous y incite, cicérone de premier plan, véritable cloporte parmi ses pierres augustes, inlassable « Flâneur des ruines », cœur brûlant, – tout ce qu’il faut pour satisfaire l’observateur et dégustateur de vie intense que vous êtes.

Ici, la lumière, l’air, une Pompéi étrange, où 60.000 âmes refont de la vie, ardemment, sans souci des contingences.

Vrai ! je ne savais pas combien j’aimais ces pierres !

J’ignorais la puissance d’attrait du sol natal !

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Wells à Grasse[3]

Évidemment, ce Nordique n’a rien du Gallo-Romain, et il apparaît abusif de l’intégrer parmi ceux dont on peut dire qu’ils ont l’âme rémoise.

Mais, son frôlement passager avec l’une de celles-ci lui vaudra ce rapprochement : il ne se doutera jamais de l’honneur qui lui est fait, n’est-ce pas ? Alors, allons-y, aurait dit ce colonel Henry d’une déplorable affaire.

Donc, copie de notes prises au sortir du Lou Pidou.

Le 28 décembre 1932, je suis attendu à Grasse, au Lou Pidou, quartier Saint-Mathieu.

Après quelque toilette, et le cœur battant, je quitte Cannes à 11 heures par le car électrique, départ de la gare.

Il fait un temps splendide. Je suis là haut à 11 heures 40, et en attendant d’apercevoir le chauffeur de la Voisin beige clair 760 B-A, j’envoie des cartes postales illustrées à Ernest Dupont et Marguerite Gautier.

J’avais eu, au bout du fil téléphonique, – Grasse 5.52, Mme Odette Keun, secrétaire et compagne de l’écrivain.

Chez Wells, à midi trente.

Il est aux champs, et on ne déjeunera qu’à 13 heures 1/4.

Attente.

Il m’apparaît derrière la fenêtre du salon chauffé, où je me repose en songeant.

Aspect plus jeune qu’il y a vingt ans, veston laineux bouffant clair, pantoufles, tête nue. Il me regarde à travers la vitre.

Après avoir travaillé toute la matinée, le tour du propriétaire l’a réveillé ; il a secoué la cervelle et les oreilles, et le voici tout à moi, souriant, affable, se laissant embrasser à pleins bras. Je suis certes indiscret et trop familier, mais, je crois, sans que cela lui déplaise. Et, de suite, à table.

Nous trois, lui, au bout, le dos à la fenêtre ; elle, face à lui ; moi, sur la grande largeur, chaise adossée au feu de bois de la cheminée, donnant une chaleur tout juste suffisante. Après déjeuner, d’ailleurs, on passera au salon, mieux chauffé. Tout ici est allumé au bois des forêts voisines.

L’ensemble est flamand, demi-teinte, papier plutôt foncé, meubles massifs, murs ornés de maints objets d’art vieillot ou exotique, – la plupart cadeaux, le reste importé de voyages, notamment les égyptiens de l’époque Ramsès. Mes amours !

Par mes dires, on m’a cru végétarien. Menu en conséquence : sardines, beurre, olives, – vertes et noires, ces dernières aimées –, betterave cuite. Après ce hors-d’œuvre, du « loup » à la provençale ; macédoine de légumes à l’Arlésienne, – délicate attention ! – c'est-à-dire abondamment fleurie d’ail, fenouil, et toutes les essences de la « sansouire ». « Roquefort » d’origine, qu’il goûte ; gâteau-moka, dont je reprends, et du blanc de Ribeauvillé, son préféré, – à défaut de mon « crémant » non arrivé (du moins, Mme Odette le déclare), et un Beaujolais rubis.

Ensuite, au salon, près la bûche enflammée ; café fort au marc de Bourgogne, cigarette de dame, – le havane ayant été refusé à regret !, et, à 15 heures 1/4, la retraite a sonné.

C’est l’instant de la séparation : se reverra-t-on jamais ! Cette fois, Wells a le geste de l’embrassade fraternelle.

Ultimes regards par la vitre de l’auto, gestes jusqu’au dernier coude du chemin, si tortueux et pittoresque. La pente est raide ; la voiture démarre et glisse par les planches garnies de lavande aux fleurs germantes, – derniers gestes d’adieu, et c’est fini !

Court, mais bon !

Se revoir ? J’ai 74 ans ; lui, 66 !

De ce coup, l’un des buts de mon voyage à Cannes est atteint.

Wells, ai-je noté, est frais et rajeuni, mieux qu’il y a trente ans, à Church-Row, dans Hampstead. Figure pleine, teint fleuri, masques napoléonien.

Mme Odette Keun, hollandaise, 40, 50 ans ? Comment savoir au juste ? Peu importe. Mince, élancée, fardée, yeux flamboyants. Où ai-je vu de tels yeux ? Tous les jeunes coqs, oui ! Mais aussi, à Reims, en 1899, boulevard des Promenades, 23, chez Jonathan Holden : sa femme.

Dit qu’il est dur de vivre avec lui. Elle le dit de souche et de sang irlandais, caractère farouchement indépendant. Il la frappe, – ose-t-elle glisser, avec un sourire triste. Serait-ce possible ! Pas toujours d’accord ! Fort intelligente, mais elle est femme, et... peut mentir, sans attacher trop d’importance à ces petites faiblesses du sexe.

Je lui prêche l’abnégation. Ces vieux, ils ont toutes les audaces ! Quand on a l’honneur d’être la compagne préférée d’un tel génie, il faut se considérer privilégiée, et comme chargée d’obligations multiples ; elle a en garde la santé et la sécurité de ce puissant cerveau, elle aura sa part de comptes à rendre à la postérité.

La réception a été de toute intimité. Mme Keun est son « garde du corps ». Elle veille soigneusement à éviter les importuns. Si on l’acceptait, les insulaires britanniques ou américains qui passent à la Côte, seraient pendus à toute heure à la tremblotante sonnette du verger, et il n’aurait plus le temps de penser ni d’écrire.

Welles promet, et tiendra ! – d’envoyer pour la Bibliothèque municipale de Reims, nombre de ses « livres », et, pour la revue « Loisirs » de Maurice Jorssens, la matière de deux colonnes avec l’un de ses plus récents portraits (non livrée.).

Il a des vignes, et sa vendange 1932 lui a « craché » 900 litres d’un piquant petit « ginglet » rouge dont il me fera don, avant départ de Cannes, de trois exemplaires, embouteillés dans les récipients de son Ribeauvillé. Mais 6 bouteilles « crémant » des grands crus ne sont pas livrées, malheureusement, car, j’aurais aimé le voir s’en « rapapiner ».

Sa première femme, connue à Hampstead, est morte en 1927. Il en a eu deux fils, augmentés depuis de deux frères « bâtards » ; il est fier et heureux de se proclamer grand-père. Avantage ses bâtards à égalité avec ses « légitimes ». A eu des maîtresses.

Je lui trouve le cube vocal moins intense et sonore que jadis ; et je lui communique, sur demande, ma sensation à cet égard. Il a souffert d’un catarrhe tuberculeux, et, comme son traducteur H. D. Davray, il en a été guéri par des soins dévoués et tenaces.

Son chauffeur d’auto, qui l’accompagne partout, a été le vendeur de son terrain du Lou Pidou ; il me confie : « Depuis six mois, il est moins bien. Jadis gai ; maintenant, songeur, – comme un qui a des soucis domestiques ». À Cannes, le Dr Mathieu, dit : « Oui ! ça ne va pas, ce ménage ! »

Wells rentre d’un voyage en Espagne, – avion et auto –, retour à Londres en juin.

À Grasse depuis un mois.

Me fait visiter le pavillon où il travaille, séparé de la villa proprement dite, construite d’après ses plans. Il y fait une température plutôt frisquette, malgré 3 feux de bois. Son travail en cours : suite aux Anticipations. « Que sera le monde en l’an 2000 ? » Le dernier ouvrage a paru récemment en Angleterre : « Richesse et Travail ».

À table, je les avais entretenus de l’ « Affaire Micheler ». Mme Keun traite ces histoires de romans policiers. Au sujet de l’évacuation de Reims en 1918, préconisé par le G. Q. G., ils se tordent. Wells dit que le G. Q. voulait sans doute que les Allemands fussent mis en possibilité de s’enivrer avec nos millions de bouteilles de champagne, de façon qu’on pût les vaincre plus facilement ! Esprit d’Albion.

S’il fut francophile un temps, je crains qu’il redevienne aisément germanophile, – tout au moins humanitariste, grand Européen, Mondial, et autres foutaises. C’est son filon préféré.

Parle peu et difficilement en français, à son instar l’anglais ; le prononce mal. Il faut s’exprimer lentement, comme lui-même.

Mes hôtes se livrent à une courte chicane, en anglais, à propos de la disgrâce du Général Alleby, frère de Mme Micheler, ou cousin.

Sa thèse des « Anticipations » sur la suprématie assurée du français au XXe siècle, est restée en contradiction avec ses théories écrites, puisqu’il n’a pas su s’imposer d’apprendre à fond le français !

Physiquement, sachons qu’il a le cheveu rare, fin, châtain-poussiéreux, les yeux bleus, et se sert de lunettes pour lire et écrire.

Je lui ai dit que j’estime profondément ses œuvres purement cérébrales, mais son « Britling commence à voir clair » d’une autre et plus sensible façon, car elle est issue de son cœur. Il sourit, sans doute parce qu’un Français de mon calibre ne peut être qu’admiratif d’une œuvre où l’Allemand est dépeint tel que l’auteur le juge : fourbe, cruel, moutonnier, et bas d’instinct, esclave de son boyau culier.

Le critique littéraire et son biographe américain Arnold Bennett, est mort en 1931.

Mme Keun prétend, en le leur reprochant, que les Français on injurié et méconnu Wells, en le traitant de « bandit », à son retour de Washington. En qualité de Nordique, elle saisit difficilement le sens des termes français qu’elle emploie, et leur poids. Chaque peuple a ses mesures de contenance et d’analyse.

Elle me confie, en a parte, qu’ « il donne tout ! » (Tiens ! moi aussi je m’en ressens !). Serait-elle une héritière inquiète ? Courrait-on, dans la mare féminine, à l’amorce des millions qu’il conquiert par ses travaux ? La femme, sans généraliser plus qu’il n’est de justice ?

D’ailleurs, cette personne ment aisément. À propos du « crémant », l’Italien assure que ces six bouteilles étaient en gare ; mais, au lieu qu’on le chargeât de retirer ce colis, elle occupa le « chauffeur » à divers besoins ménagers ; et, quand enfin, elle lui passa l’ordre, il ne put que répondre : « Madame, de midi à deux heures les messageries ont leurs portes fermées ». Cependant, même à la dernière minute, elle déclarait avec force qu’elle n’avait par reçu l’avis d’arrivée en gare.

Voici son opinion, à Madame, sur les Provençaux : « Menteurs, flagorneurs, blagueurs, vantards, chapardeurs... mais, si aimables ! »

Sur le chirugien Pruvost : « Un as, honnête homme, brave cœur ; les autres médecins, des bandits ! »

Elle promet de faciliter la rencontre de Wells et Mme Andrée Laurent et ses filles, Marie-Hélène et Mireille.

Dernier écho. – Le Dr Mathieu (médecin des Pommery à Cannes), est un intellectuel, artiste né, époux d’une Russe musicienne et peintre, ami de plusieurs écrivains, dont André Gide, aimerait à faire connaissance avec Wells.

Mme Andrée Huguier a rédigé une notice biographique sur Wells, pour « les Loisirs ».

Le « crémant 1928 » a eu son succès auprès de Wells.

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À Madame Keun. 10 janvier 1933.

... J’ai reçu une lettre ravie de Mlle Odette Réville, m’annonçant avoir reçu de Wells 16 volumes qui vont illuminer ses rayons communaux. Elle dit notamment : « Combien nous sommes sensibles à son geste généreux, et quel plaisir nous éprouvons à pouvoir offrir à nos jeunes lecteurs un choix aussi important ».

Notre Bibliothèque est fréquentée par de nombreux jeune gens des deux sexes. Mlle Réville, de l’École des Chartes, a été désignée pour Reims sur les avis de Pol Neveux, enfant de Reims, de l’Académie Goncourt.

M. Wells sait sans doute que J. L. Forain, et Paul Fort, sont natifs de Reims. Dans un tout autre ordre d’idées, Rémoise également celle qui fut la comtesse de Loynes. Ne cultivons-nous pas tous les arts et produisons tous les as...

Hé ! ce petit « crémant 1928 », n’étais-je point certain à l’avance de son succès ! Excellent, le Ribeauvillé, mais ces onze crûs les plus célèbres de la Champagne, dans une même fiole, dame ! n’est-ce point surexcellent !

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Encore Wells et les « Anticipations »[4].

En novembre 1901 parut « Anticipations », dont Wells espérait de grandes choses.

Il écrit à Arnold Bennett :

« Je voudrais que vous le lisiez et fassiez quelque chose pour la propagation de mon évangile. Je crois en toute innocence qu’un vacarme de première classe et une discussion tapageuse au sujet de ce livre feront le plus grand bien à ce pays. J’aurai pour moi le public instruit de Londres, mais je rêve qu’il soit lu par les ecclésiastiques, les médecins de campagne et tous êtres de même sorte, et pénètre ainsi dans des milieux profonds. Il y a une foule de citations à en extraire : sur les commodités d’une maison, le statut des filles à marier, la cuisine de l’avenir, l’architecture, la coutume, etc… et cela devrait faire mordre le public à l’hameçon.

Oui ! il y a là des passages ampoulés ; mais, quand il s’est agi d’écrire tout cela, j’en avais plein les mains. »

Wells fut blagué en 1901 pour avoir prophétisé le succès de l’aviation « longtemps avant l’an 2000, voire 1950 ». Il fit sa première ascension en 1912, avec Graham White.

En août 1909, il s’installe 17, Church Row, dans Hampstead, dans une maison du XVIIIe siècle, avec une vue qui s’étendait, par-dessus Londres, jusqu’aux collines du Surrey. C’est là qu’il me reçut en 1910, et me fit voir du haut de son cabinet de travail et chambre à coucher, au deuxième étage, ce grandiose panorama : une vaste cuvette dominée à pic, embuée d’une légère brume bleuâtre qui est de toutes saisons en cette immense ville.

En bas, une caisse de Mumm demi-sec espérait que je lui ferai l’honneur d’en déguster au moins une coupe. Mais, il n’eût pas été pratique d’accepter le déjeuner offert en raison de notre mutuelle incapacité de compréhension, étant tous deux fort peu dressés au correct emploi de nos langages respectifs.

En 1916, Wells installa sa famille au Pont-de-l’Arche, d’où il se tenait à proximité des lignes du front britannique.

Dès 1912, il avait acheté la cure de Little Easton, dans Easton Park, près Dunmow (Essex). Il y resta jusqu’en 1930, lui ayant donné le nom de Easton Glebe.

En 1916 il va en Italie. Auparavant, Joseph Reinach l’avait guidé sur le front, à Soissons, et jusqu’aux approches de Reims ; à Jonchery, il fut reçu par Franchet d’Esperey, et, au G.Q.G. s’entretint avec Joffre.

A Udine (Italie) il vit le roi Victor-Emmanuel.

Au retour, les tranchées d’Arras-Dompierre et Fricourt, accompagné de H. D. Davray (voir ses impressions, dans : « Guerre et Avenir »).

Très partisan de la représentation proportionnelle en matière électorale, il dit : « Je ferai honte à tout homme opposé à la représentation proportionnelle comme si je le prenais à manger des petits pois avec un couteau ! »

Mistress Wells meurt en 1929 ; il vend Easton l’an d’après, « ne pouvant plus y vivre, et ma vie s’y étant close le jour de son décès. J’y serais vite un vieillard, et je ne veux pas vieillir, car le monde ne va pas être gai pour les gens vénérables ».

Le 25 mai 1927, il est à Paris, discourant à la Sorbonne, et je m’efforce en vain de le rejoindre, m’étant adressé au « Petit Journal », où il avait paru.

« Anticipations » a prévu la victoire de l’homme de science sur le plan de l’artiste (dixit Geoffrey West).

Alors qu’il était à Pont-de-l’Arche, j’aurais pu le voir si j’avais connu sa présence en ce site, – car je réquisitionnais les laines dans cette région, au centre des Andelys.

Quand je le vis pour la première fois, à Spade House, près Sandgate, il était là depuis 1900.

Cette villa très claire et fleurie bordait la route supérieure de Folkestone à Sandgate, le dos tourné vers la mer, et construite avec un toit allongé en pente douce, des murs en crépi, et de jolies fenêtres grillagées. Les pièces, basses de plafond, étaient peu nombreuses, mais confortables. Entrée spacieuse et large escalier. Le jardin était une splendeur, aux soins de Mrs Wells ; on découvrait de là-haut les côtes de France. Le jardin descendait tout droit sur la grève à 30 mètres plus bas : il contenait un tennis, une pergola, des pelouses, kiosque et une rocaille.

Il eut deux fils de son premier mariage : George Philip (1901) et Franck Richard (1903).

En 1911, il écrit « Mariage ».

Wells patriote est tout entier dans « Mr Britling tient jusqu’au bout ».

En 1917, il opine pour la S.D.N.

En septembre 1920, il se rend en Russie avec son fils George. Il y voit Lénine qui le considère comme un « bourgeois, un Philistin » !

Anatole France a dit de lui : « C’est le plus intelligent des Anglais ! »

Jusqu’en 1920, il avait souffert d’un catarrhe.

En 1924, il va à Algésiras en auto et avion, et construit le Lou Pidou, à Grasse, en 1926.

C.E.M. Joad a dit : « Il est une édition de luxe de l’homme ordinaire ! »

Geoffrey West est d’avis que « Anticipations » et « Découverte de l’Avenir » ont un intérêt durable en tant que profession de foi personnelle.

Le 21 novembre 1932, je dis à Wells : « Wells, écoutez ! Votre plus beau livre, c’est Britling... et Britling, c’est vous. Beau, beau, beau ! et grandissime ! D’ailleurs, vous le savez ! Laissez-moi vous embrasser… et, maintenant, à terre ! »

Cette lettre insiste : rien de plus beau que ce Britling. O merveille ! vous émouvez encore un vieux cœur de 74 ans. Que vous êtes grand !... Des Sir, des Mr devant ce nom ? Wells ! Lord ! soit ! Mieux : rien !

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Un fonctionnaire des contributions indirectes nommé Maurice Jorssens, a fondé une revue à l’usage de ses congénères et d’instituteurs auxquels leurs heures de pédagogie laissent des loisirs, il l’intitule : « Loisirs ».

Le premier numéro est de novembre-décembre 1932.

Je le mets sur la piste de Wells, et prête à sa collaboratrice Andrée Huguier mes « Anticipations » et la biographie de Wells par Geoffrey West.

D’autre part, j’essaierai d’obtenir une page d’inédits de l’écrivain anglais (Il n’y eut point de suite).

Jorssens, internationaliste, se refuse à parler de « Britling », où Wells posent ses conditions pour la paix à venir, conformes au droit et à la justice.

Jorssens prétend que Wells a changé d’idée. En tous cas, il est prévenu que je ne partage pas ses idées internationalistes, et que, pour moi, la France compte encore.

[1] Eugène Dupont, Panorama de quelques âmes rémoises, 1ère séance.

[2] Eugène Dupont, Panorama de quelques âmes rémoises, 5ème séance.

[3] Eugène Dupont, Panorama de quelques âmes rémoises, 7ème séance.

[4] Eugène Dupont, Panorama de quelques âmes rémoises, 10ème séance.