La Vie Rémoise en 1874

1874

L’année 1874 fut marquée d’un événement heureux pour notre ville : la découverte de la source d’eau qui, depuis, alimente nos fontaines publiques et notre réseau d’alimentation au compteur.

Depuis l’épidémie de fièvre typhoïde de 1868, provoquée par la nocivité des eaux de la Vesle, nos édiles s’étaient attachés à ce problème de boisson publique saine et pure ; on étudiait fiévreusement un projet d’adduction des eaux de la Marne par un aqueduc prenant sa source à Condé.

Travail gigantesque et coûteux qui ne laissait pas que de tourmenter l’imagination des contribuables et de leurs mandataires.

Un hasard vraiment providentiel vint apporter une solution élégante et économique à cet épineux problème.

La Société des Bains de rivière était alors à la recherche d’une grévière pour le tuf de ses bassins de natation, sur la Vesle, entre la chaussée du Canal et le chemin de Cormontreuil.

Huette, dragueur, trouve à deux pas de l’établissement, un fond de grève dans un fossé en bordure, et, en cherchant par un sondage à s’assurer de son épaisseur, s’aperçoit qu’à cinq mètres de profondeur le niveau d’eau remonte sensiblement. Il en informe son chef, Eugène Devédeix qui, fort avisé, fait continuer le sondage.

On arrive enfin à une nappe d’eau limpide et fraîche, sourçant des collines vinicoles de la montagne de Reims.

Des pompes, mises en batterie, n’ont plus qu’à en aspirer le dieudonné liquide et l’envoyer dans les cuves de l’usine élévatoire des Fontaines, au Château-d’Eau.

Reims était à jamais sauvé de la soif... et la typhoïde refoulée avec pertes et fracas !

Et l’ouverture des Bains eut lieu le 4 juin, avec Abel Bonjean comme maître de natation.

La joie de notre compatriote Devédeix avait été grande, mais fut tristement amortie par un deuil de famille. Son père, Jean Devédeix, natif de la Corrèze, au hameau du Rosier, près Saint-Remy, décède à l’âge de 78 ans.

La mort, d’ailleurs fauche, les yeux fermés, au travers du champ de nos concitoyens les plus connus. La classe moyenne est notamment frappée.

Disparaissent de notre horizon, sinon de nos mémoires :

Jean Julien Latève, 84 ans, ex-commissionnaire en vins, qui avait pris sa retraite chez son gendre Picart, agent d’assurances à la compagnie L’Aigle, rue Tronsson-Ducoudray, 26. Il était originaire de Verzy, où ses concitoyens l’eurent comme chef en qualité de commandant du bataillon de la Garde nationale de ce canton. Fils de Simon Barnabé Latève-Pénet il avait épousé, après un court veuvage, Victoire Prosper Jennesseaux.

Mme Vve Margotin-Compas, 39 ans, rue des Trois-Raisinets, 14, dont les témoins au décès sont le préposé en chef des octrois Coutier et Amable Drouet, entrepreneur de charpente et administrateur du Bureau de bienfaisance.

Un immigré de confession israélite, Jacob Neumarck, 64 ans, marchand d’habits, rue Bertin, 4, né à Holbimer (Moselle), époux d’Adélaïde Cahen. Témoins : Abraham Mendel, typographe, rue de Thillois, 25, et Rubens Novochelsky, courtier en laines, rue Neuve, nº 47.

Puis, la fille des Muiron-Berton, veuve du chimiste Nicolas Houzeau.

La fabrique perd à regret un de ses représentants des plus modestes, Joltrois-Luton, qu’une neurasthénie impitoyable conduit sur les bords du canal, où il se noie presque involontairement. Son chef de fabrication, Louis Beugé, qui a retrouvé son corps au lieudit la Cannetière, près La Neuvillette, reprend sa succession, en s’associant Alfred Pâté. Les bureaux sont situés rue du Barbâtre, 39. À cette époque, Louis Beugé habitait rue Neuve, nº 83.

Maximilien Clignet, 47 ans, rue du Trésor, 5, fils de Clignet-Legrand et époux d’Émilie Lucotte.

À Paris décédait une personnalité qui avait occupé les esprits à Reims pendant dix ans, ce Nestor de Bierne, directeur de notre vieux théâtre, qui était allé, en nous quittant, prendre la direction de la Porte-Saint-Martin. Il avait quitté les planches très tard, et mourut à 76 ans, après avoir dirigé la scène à Poitiers.

En bousculade s’en vont : le directeur de la Maison de retraite, Saintin Nicolas Millié, un gros bonhomme tout court, fort sociable et réjoui, la joie de la maison, avec un éternel sourire jovial entre ses moustaches et sa barbiche grisonnantes.

Flamand-Leclère, le marchand de papiers peints, du Cadran-Saint-Pierre.

Son voisin – ses voisins – des plus notables et des plus regrettés parmi le monde intellectuel et lettré de Reims : les libraires Lemoine-Canart et Matot-Braine. Double perte, fort sensible alors, et dont on ne devait, dans les milieux livresques, se consoler qu’au contact de leurs successeurs vraiment autorisés et compétents, dévoués aux plumes rémoises et à tous ceux qui s’honorent d’aimer les lettres et les livres, les bons et les beaux, les communs et les rares : Émile Victor Braine, auquel succédèrent ses neveux Henri et Jules – et l’inoubliable Frédéric Michaud.

Jules Félix Lemoine était né à Chartres, le 25 décembre 1827, de Jean-Louis Saturnin et Marie-Thérèse Bary. Il avait été aiguillé sur notre Cadran-Saint-Pierre par le libraire parisien Lubin-Passard, et aussitôt installé au nº 23 de cette rue commerçante et passante, il épousa Louise Rosalie Canart, sœur d’Augustin, de la célèbre dynastie chaircuitière installée de toute éternité au nº 7 de la rue Pluche, et réputée mondialement pour son jambon chapeluré sans rival.

Le 27 septembre, la Camarde, faisant d’une pierre deux coups, culbutait Émile Joseph Matot, frappé de congestion, aux pieds mêmes de sa compagne éplorée, Émilie Octavie Braine.

Originaire de Mézières, où il naquit le 22 décembre 1829, Matot avait embrassé de bonne heure la carrière typographique : il apprit son métier chez le relieur-lithographe Blanchard père. Puis, il alla s’exercer à Paris pendant sept ans.

En 1856, il vient à Reims et s’y marie. Il avait été, dans la capitale, le promoteur de l’application du timbre mobile sur les affiches.

Dès 1859, Matot-Braine commence la publication de ses Almanachs ou annuaires et agendas du commerce. On sait jusqu’à quel degré de perfection son fils Henri Matot, et aussi Jules Matot (pour 1917), ont poussé l’Almanach-annuaire qui fait les délices des lettrés champenois, les amants de la tradition régionale en Marne, Ardennes et Aisne.

En 1867, Matot donna le jour à un enfant criard mais chalingre, la gazette locale dite Semaine rémoise. Son premier numéro est du 3 février. Le fonds Henri Menu, à la Bibliothèque municipale, en recèle les six premiers numéros hebdomadaires. Au onzième, l’enfant trop précoce avait vécu, et Matot consacra dès lors tous ses soins à ces nombreux imprimés d’intérêt local qui sortirent de ses presses artistiques.

C’est par nos libraires que les bibliophiles rémois furent mis en garde, à l’époque, contre un procédé frauduleux à peine soupçonné.

D’ingénieux filous de l’antiquaille enlevaient leurs couvertures armoriées à des œuvres sans valeur pour les greffer sur des livres d’art ou des éditions rares, dans le but de faire croire que les unes et les autres provenaient de richissimes collections, anciennes et seigneuriales.

De même, les dos des livres portant écussons ou armoiries étaient détachés et plaqués ensuite sur d’autres reliures datant des jours où vécurent leurs possesseurs.

Il n’est vraiment point d’animal au monde qui soit plus pourchassé que le collectionneur, ni plus trompé que le pisteur.

Un brave pédagogue, auquel des générations de Rémois ont dû leurs premiers éléments abécédaires et primaires, Léopold Charpentier, directeur d’école mutuelle, décède rue Sainte-Catherine, 13. Originaire de Joigny, il avait débuté à Reims en 1831, dans la Salle des Gisantes, à l’Hôtel-Dieu.

L’ébéniste Léonard Lutta meurt à 37 ans : il était né à Flond, dans les Grisons, de Mathias Lutta-Schirmer, de Donat (Suisse), et épousa Marie-Françoise Descombaz. Il était le père de notre concitoyen Paul Lutta, des champagnes Henry Goulet.

Le maître tisseur Henri Bonjean, 66 ans, rue Saint-Nicaise, fils de Bonjean-Lefèvre. C’est le 13 juillet qu’ont lieu les obsèques. Il y a un siècle, Bonjean était ouvrier tisseur sous les ordres de Desteuque le père alors contremaître à l’usine Jobert-Lucas.

La rue Saint-Nicaise fut un demi-siècle la ruche ouvrière où se fit entendre le gai tic-tac de la navette, dans le tonnerre écrasé et en sourdine des templets et des taquets. Chacun des intérieurs de cette rue populeuse et débraillée constituait par lui-même un atelier, cet atelier familial qui, pour les ouvriers du textile, n’était pas à l’époque une fiction et que bien des esprits réfléchis aimeraient à voir reconstituer de nos jours, – la fée Électricité aidant.

François Modeste Lecoq, place d’Erlon, perd Clémence Ambrosine Brémont, âgée de 46 ans et native de Herpont. Léonard Varin et Narcisse Franquet, des tissus, assistent en témoins attristés à cette fin prématurée, qui met en deuil l’une des familles des mieux considérées de notre ville.

Et c’est Sébastien Reinneville, le maître charpentier, qui s’en va, à 55 ans, vaincu par le travail. Il était fils d’Alexandre Reinneville-Mignon, de Saint-Gilles, et habitait rue David, 35. Heureusement pour la profession et son enseignement, il laissait ses frères Paul Reinneville, rue de Cernay, 42, et Victor Reinneville, rue du Barbâtre, 157, qui, eux, n’ont pas laissé péricliter la bonne race de nos monteurs et ajusteurs de chevron.

Voici que franchissent à leur tour nos portails les cercueils fleuris en vain d’Étienne Lenice, ex-limonadier, rue Petit-Roland, 29.

Payen-Guyotin, ex-filateur, rue Neuve, 53, et son vis-à-vis, au nº 54, le marchand de grains Théophile Lamiraux.

Puis, Claude Auguste Deforge, 74 ans, ex-confiseur, et beau-père de Laplanche, le luthier du Bourg-Saint-Denis.

Enfin, – si l’on veut clôturer cette liste macabre – Gabriel Échard, décédé chez son gendre, Maximilien Bayen, rue de la Peirière, 15.

Un grand deuil devait frapper à la fois la cité et le monde. Le 8 juin meurt l’archevêque Landriot, à l’âge de 58 ans. Perte prématurée entre toutes pour l’Église et l’art oratoire français. En lui s’éteint une des plus belles intelligences qui aient honoré l’épiscopat et le siège de Reims – un Lacordaire mitré et un Vincent de Paul carrossé – rencontré plus souvent dans nos rues pauvres des quartiers ouvriers qu’en voiture blasonnée. Les reflets de ce lumineux fils des Hommes éclairent encore, après un demi-siècle, nos esprits, quêteurs d’essences divines.

Si les deuils avaient été nombreux et cuisants, les fêtes conjugales apportèrent à nos concitoyens du réconfort et de la consolation : leur chiffre dépassa la moyenne habituelle.

Il y aurait tout un in-8° à remplir avec la généalogie, même la plus sobre, des familles qui s’unirent alors par le mariage leurs enfants.

Bornons-nous à des noms relevés çà et là parmi les plus connus de nos générations d’avant-guerre. Modestes ou ronflants, ils éveilleront des souvenirs agréables en nos mémoires assoupies.

J.-B. Namur, de Vaux-Monteuil, artiste peintre, rue du Jard, 11, épouse une institutrice de l’école du faubourg d’Épernay, Marthe Canelle de Lalobbe.

Un luthier récemment immigré de Metz, Émile Bournier, place d’Erlon, 15, et une fille de l’apprêteur Leleu, à Fléchambault.

Charles Arnould, – toute une histoire locale à écrire ! – et Jeanne Hélèna Schmidt. Né à Reims le 17 juillet 1852, il était fils de Antoine Arnould et Céline Pagnier, rue du Barbâtre, 15. Sa future avait pour parents Michel Schmidt, de Châlons, et Barbe Loutsch, habitant place du Château-de-Porte-Mars, 3.

Suit de près Alexis Baudet, employé des tissus, chez M. Édouard Nonnon et fils de Baudet-Desprez, ferblantier. Musicophile passionné, il fut l’un des violonistes réputés de nos quatuors locaux et de la Philharmonique. Il épouse Marie Estelle, fille de Poissinger-Charpentier, mesureur de tis-sus, rue Cérès, 36. Ratifient à l’état civil : Henri Chauvry, professeur de violon, rue Brûlée, 42, Narcisse Farre, de l’ancienne Philharmonique, Léopold Nocton, rue des Anglais, 4, et Pierre Bourbon, rue de l’Échauderie, 7.

Un fils d’adoption de Reims, l’une de ses fiertés locales, Henri Jadart, de Rethel, et Louise Marie Givelet, fille aînée du fabricant Edmond Givelet et Louise Alexandrine Bouquet-Baumes. L’érudit Jadart, conservateur de la Bibliothèque municipale de Reims, était fils d’un juge de paix du canton d’Asfeld. Les témoins sont : Charles et Auguste Givelet, Charles Honoré Doyen, de Sainte-Vaubourg, et Eugène Alexandre Hureau, président du Tribunal à Rethel.

Dans la laine, Jules Saint-Aubin, 24 ans, fils de Sébastien, courtier en laines, 59 ans, rue Buirette, 54, et de Florence Antoine Mercier, 47 ans. L’épousée s’honore, à raison, du nom de Victoire Léonie Lecointre, fille de Jules Auguste, 56 ans, ex-négociant, rue du Barbâtre, 45, et de Louise Sophie Arlot, du même âge. Apposent leur signature à l’acte officiel : Charles Léon Arlot, gérant de l’Indépendant Rémois, rue Caqué, 18, Paul Douce, notaire, cousin de l’épouse, 30 ans, impasse Pluche, 2 ; J.-B. Mercier, de Rethel, et Jean-Baptiste Ninet, rue Clovis, 29.

Henri Hildevert Toussaint, dit Jules, fils de Toussaint-Ladeuille, et Joséphine Landragin, née à Rethel, de Landragin-Ridremont, trieur de laines, dit Sans-viande, à cause de sa maigreur ascétique. Les témoins sont de la classe des petits commerçants : il y a Petit-Grêlé, dit Petit-des-Bourgs, pour le distinguer de son frère Auguste Petit, perceur de rues, épicier comme lui ; un autre épicier du côté féminin, Émile Landragin, à Fléchambault, et le père Moussard, maréchal-ferrant, rue de Contrai.

Dans le triage également et issu de Clovis Gouvernal, qui construisit l’un des premiers immeubles du faubourg Cernay, – Alfred Gouvernal, dit Alphonse, revenu habiter de nos jours, après l’exil, sa maison de la rue de Strasbourg, avec sa femme Léonie Gérard, fille de Gérard-Delhougne, coquetier, rue Boucher-de-Perthes, 14.

Le fondateur des établissements Goulet-Turpin : Octave Modeste Goulet et Eugénie Angélique Turpin, fille de Turpin-Cuiret, négociant en chiffons dans le faubourg Cérès. Un oncle du côté masculin, Pierre Goulet, était marchand épicier, faubourg de Laon, 50. Cette profession ne manquera pas de thuriféraires – elle le mérite.

D’autres encore, – la liste serait interminable, mais ne ferait pas reculer l’annaliste si le papier imprimé ne s’avérait hors de prix !

Un régisseur-acteur de notre théâtre : Pierre Le Comte, né à Chancy, près Genève, d’un père instituteur. Le Comte habitait en meublé dans le Bourg-Saint-Denis, au nº 91 ; c’était un grand gaillard, au nez bourbonien, toujours en longue redingote, un peu voûté et les cheveux noirs plaqués aux tempes. Ont signé : ses voisins Jérôme Cérac et le sous-chef d’orchestre Julien Ysaïe, – ce dernier habitant alors dans la maison de Vermonet, au nº 96 de la rue, où un autre mariage a lieu entre Sophie Marie Clémence Brouhet, sœur de l’abbé Brouhet, et le comptable Désiré Gerbé, rue Montoison, 29.

Un chantre à Notre-Dame, belge d’origine, et futur charbonnier : Jules Wilmotte, rue d’Anjou, 9, et la fille de son poteau au lutrin, le profond et insondable Bourland qui habitait rue des Tournelles, 4, une cambuse en crépi et lattes qu’un beau soir les gamins du quartier virent flamber à l’instar d’un feu de paille, et devant lequel ils dansèrent comme des cannibales en nouba.

Un autre charbonnier, belge aussi et venu de Chiny-Arlon, Jules Naviaux, rue Brûlée, 72 ; veuf de Amélie Belva, il épouse Virginie Dussard, et il aura pour témoins de sa récidive ses alliés, le maître ramoneur Claude Fontaine, rue Neuve, 4, et l’épicier marchand de vins Cérac, rue du Bourg-Saint-Denis, 103.

Un musicien saxophoniste et clarinettiste hors concours, venu en ligne droite de la Garde républicaine : Louis Célestin Niverd, un petit bonhomme à la peau du visage grêlée, aux yeux vifs et rieurs, jauni sous le harnais et qui était l’un des fils, le benjamin du vieux Niverd, de Vouziers, ménétrier de talent qui finit ses jours dans nos murs, à la Maison de retraite.

Un relieur de bouquins, un artiste : Adolphe Alexis Joubert, rue du Bourg-Saint-Denis, 61, dans l’atelier de son père, et demoiselle Millet, rue Savoye, 41. Devant les mêmes établis luttèrent d’émulation, avec les Joubert, ces fins habilleurs de livres qu’on appelait Charles Pothé, décédé depuis et Provost, lequel nous est resté, heureusement.

Un Boche... eh ! oui, un alboche non encore promu au glorieux surnom de ses compatriotes à venir, Jules Othon Riethmüller, de Postdam, jardinier fleuriste de sa profession, la veille encore feldwebel dans un régiment d’occupation allemande à Reims et dont Cousinet, l’afficheur public de la ville, fait sans vergogne son gendre.

On verra plus tard le naturalisé ouvrir un étalage de fromagerie, rue du Bourg-Saint-Denis, sous le patronage du glorieux nom lorrain et français : Jeanne-d’Arc. L’héroïne aura servi à illustrer bien des sauces, hélas ! Ces sacrilèges devraient être interdits ou châtiés !

Et encore l’industrie rémoise : Paul Petit, fils de Pe-tit-Delbourg, faubourg Cérès, 25, et Mlle Élambert-Colombier, rue du Marc, 15.

Cet enfant de Chevillon (Haute-Marne), Édouard d’Hé, rue Royale, 9, qui entre dans la famille des Wirbel et des Benoist par son mariage avec Marie-Henriette, fille des Wirbel-Levent. Son patron, le marchand de laines J. Barbier, Isidore Benoist, déjà âgé de 77 ans et Jean-Baptiste Corneille, des cuirs, signent à l’état civil.

Papa Guérit-Tout, la providence des coquelucheux et des biberonneux en bas-âge du quartier des Loges-Coquault, autrement dit Jean-François Leroy-Larcher, patriarche à barbe blanche, au chef branlant, sous un teint de rose-thé et à la parole chevrotante, chantante, bénissante, poète de cuisine qui faisait rimer Saint-Imoges avec pâte de guimauve ; ce brave septuagénaire marie sa superbe fille Amélie, dans la fleur de ses 22 ans, à un barbon-essayiste qui atteint la cinquantaine, fonctionnaire distingué à la Compagnie de l’Est, un Lemarié de Nogent-le-Rotrou, qui va être le marié de Reims, patronné par le chef de gare Désiré Mennessier et son commissaire de surveillance Emmanuel Nancy, indigène passager de la rue Salin, au nº 7.

Et, en cette même rue Salin, remarquable à des titres divers, on verra défiler les voitures somptueuses des noces de Louis Robillard, fils de feu Henri Robillard-Henriot, de son vivant président du Tribunal civil et Émilie Berthe, des Clicquot-Fuzellier, au boulevard des Promenades, équipages fleuris, enrubannés et aromatisés où le passant aguiché distingue, à la volée, dans le galop sous les fouets cingleurs de pégases aux naseaux fumants, la haute et joviale bourgeoisie rémoise, fonctionnaires, magistrats, as du vin et de la laine, lettrés et artistes, phalange décorée et richissime qui prête assistance aux témoins officiels, les Billet, les Henriot, les Lucas et ce fringant Antoine de Celles, attaché au ministère de la Guerre.

Heureux temps, tamisés depuis par tant d’épreuves et qui, dans la profondeur des années, apparaissent voilés sous le fin et vaporeux taffetas de cette poussière en laquelle se transmuent choses et gens !

La Musique municipale de Reims ouvre la série de ses succès de concours, à Beauvais, d’où la phalange de Bazin rapporte quatre premiers prix et le prix d’honneur. Par la suite, triomphes sur triomphes : à Charleville, en 1876 ; à Angers, en 1877, et enfin, en 1878, au Champ-de-Mars, à Paris.

Au Trocadéro, la fête est merveilleuse avec son concours de fanfares et harmonies. Pittoresque est l’aspect de la vaste salle des fêtes, bondée de spectateurs, et dont l’estrade est occupée par 1.680 exécutants, venus de tous les points de la France.

Notre Municipale est en uniformes neufs, l’épée battante au côté, tunique de drap fin, ceinturon astiqué et plaque luisante, képi légèrement incliné sur l’oreille.

Il y a là une phalange remarquable et des chefs de pupitre rayonnants et sûrs d’eux-mêmes, sûrs du prestigieux bâton de leur chef.

C’est Pacini et Just Honoré, des clarinettes, Charlier et son élève Labrousse, hautboïstes di primo cartello, Victor, plutôt Totor Delvincourt avec son renfort Charles Mauroy, soliste des Régates rémoises, Jules Cayde la basse en ut, Neveux le trombone, Pérard la grosse caisse avec ses Lamiraux, Baudelot, Louis Coutier, tapins émérites, Henri Cadot, Léopold Bombaron, Surmont le père, quelques autres encore, le père Cazé et Pralon, Trompette la petite flûte, Troëger le basson, une élite !!! qui se trouvera renforcée en 1889 d’éléments enthousiastes et perfectionnés, dont le travail et l’union porteront au comble la réputation de notre musique municipale de Sapeurs-pompiers, appelée à devenir la première harmonie de France.

La brillante compagnie datait d’un demi-siècle. Un chroniqueur rémois raconte qu’en 1830, lorsque fut organisée, à Reims, la Garde nationale, tous les musiciens, artistes ou amateurs furent heureux de se soustraire aux ennuis de la patrouille et de la faction, en s’enrôlant dans les rangs de la musique de la Garde nationale.

Bientôt, l’engouement s’en mêla. Chaque corps spécial voulut avoir sa musique : on fit de la musique à pied et à cheval, et bien de nos grands personnages actuels frappèrent, jadis, sur la grosse-caisse ou agitèrent le chapeau-chinois, jouèrent même de l’ophicléide à cheval !

On a souvenir encore des beaux jours de revues où, par un brillant soleil, paradait notre légion rémoise, avec ses trois bataillons, sa cavalerie et son artillerie. C’était l’âge d’or du chapska et du bonnet d’ourson ; les vieux remparts de Reims tressaillaient aux pacifiques détonations des canons, groupés derrière le Boulingrin de la Porte-Neuve...

Depuis 1876, le colonel de Chevigné n’est plus, la Garde nationale était morte bien avant lui, et ses canons ont cessé de tonner. Avec le temps, la musique de la Garde nationale est devenue harmonie des Sapeurs-pompiers. En un temps, elle eut tout juste ses 20 à 25 musiciens, dotés d’un répertoire suranné et d’instruments rouillés et perforés.

En 1866, la municipalité en confie la réorganisation à Gustave Bazin, et dès 1868, la nouvelle Musique participait au concours de Château-Thierry. En 1869, elle figure au concours de Reims et prend rang parmi les meilleures harmonies de France et de Navarre. La guerre arrive avec son génie de désorganisation civile. Le temps passe en efforts de reconstitution, et, en 1872, c’est la résurrection.

Depuis le 24 mai 1873 – date de prise du pouvoir par Mac-Mahon –, il y a eu des changements à la tête de la municipalité. Des Rémois de la classe dite conservatrice ont pris l’emploi d’autres Rémois de la classe dite libérale ! Ah ! Rémois ils sont, certes ! et bon teint ! Leurs noms évoquent toute une génération d’hommes dévoués à la chose publique et ici, la chose publique, c’est le renom, la grandeur, la prospérité de la vieille cité rémoise.

L’avocat Henri Paris a été délégué par le pouvoir central à la mairie, et il lui est adjoint des hommes de poids et hautement considérés : Midoc, greffier du Tribunal civil, l’avoué Rome, l’architecte Gosset-Aubert, le marchand de fer Louis Houlon. C’était une gageure évidemment, d’imposer une municipalité ancien régime à une population progressiste, mais les intérêts de la ville n’étaient pas délaissés et à défaut des prédécesseurs déjà éprouvés, on ne pouvait les confier à de meilleures mains. D’ailleurs, quand, par la force des événements, Henri Paris et ses adjoints collaborateurs durent céder la main, leurs successeurs ne purent s’empêcher de leur rendre hommage, au nom de toute la population, sans distinction de partis. Et c’était justice !

Alors apparut à Reims le Cercle catholique d’ouvriers – création du comte Albert de Mun et des adeptes de ses théories économiques et sociales – dont le siège fut institué à l’angle des rues du Barbâtre et Montlaurent, dans le bel immeuble qui avait été la demeure des Féret, seigneurs du lieu –, incendié pendant la Grande Guerre et qu’il serait consolant est encourageant de voir renaître aujourd’hui de ses cendres. Si on le veut, on le peut !

Parmi cette avalanche de maisons nouvelles, de tous styles et voire sans style, – qui vont faire de la nouvelle cité une foire d’échantillons d’architecture –, il serait sage de semer çà et là quelques-unes de ces demeures à cachet liminaire qui marquent la culture d’une ville et ses étapes dans la civilisation.

Avec la maison de Muire, la maison de la Cloche, la maison des Courtagnon et la maison Féret, plus quelques autres moins distinguées par les touristes et les archéologues, Reims reprendrait, pour les temps nouveaux, la trace glorieuse de ses temps anciens.

La ville continue d’ailleurs à se transformer et à remplacer les murs vétustes par des édifices publics ou privés qui sont l’œuvre affinée de nos jeunes architectes.

On commence les travaux du Casino de la rue de l’Étape, à côté de la Grande Brasserie de Strasbourg, gérée par Girod.

Disparaissent enfin, les infects taudis de la cour Fructus et de la cour Bonnaire, rue du Barbâtre. Quelle ingéniosité n’avait-il pas fallu à certaines gens qui se décoraient du titre de propriétaires pour se créer des rentes en exploitant ces sortes d’égouts pour rats à face humaine ! À quoi pensaient donc et s’occupaient les hygiénistes du temps de nos pères ?

Et cette autre bâtisse, cet autre égout qu’on appelait la Tour-de-Nesle, lieu des plus mal famés, digne d’une Suburre, géré alors par une Veuve Bertout-Moreau – matrone à moustache et barbiche – à l’angle de la rue Linguet et du boulevard du Temple. À bas aussi !

Un violent incendie détruit en partie des immeubles portant les numéro 9, 11, 13 et 15 de la rue de Contrai. Le feu a pris dans les ateliers de l’ébéniste Michel Howald, et les réduit en cendres. La menuiserie Poiteau faillit y passer, mais les secours avaient été prompts et efficaces. S’y distin-guèrent notamment trois élèves du Lycée contigu : Bauche, Labori et Driant, dont les destinées devaient être si diverses et glorieuses.

Bauche fut capitaine de chasseurs à pied ; Labori, élève de 3e et lauréat de thème latin, devint l’un des plus sonores avocats d’assises qui aient émerveillé nos oreilles, et Driant, excellence en philosophie et prix d’honneur de dissertation française, mourait glorieusement, à la tête de son bataillon de chasseurs à pied, au bois des Caures, au cours du grand drame de Verdun, en 1916. Gloire éternelle à ce héros !

À ce même Lycée était entré l’an d’avant, en qualité de boursier, une sorte de Pic de la Mirandole du nom de Paulin Songy, fils d’un agent-voyer de Sommesous, à la suite d’un concours cantonal et départemental entre élèves des écoles primaires, laïques et congréganistes de la Marne.

Ce Songy devait, par une suite d’heureux examens, entrer à l’École polytechnique, puis à l’École d’Application de Fontainebleau, et, après être entré dans l’armée, finir prématurément une carrière pleine de promesses, peu d’années avant la Grande Guerre, à Verdun, où il était capitaine du Génie.

Plus tard, et pendant cette même guerre, devait disparaître, en donnant sa vie pour la France, le capitaine du Génie Auguste Cochain, fils aîné d’un de nos boulangers de la rue du Barbâtre, lauréat également du Lycée de Reims.

Plus modestement à ce palmarès de 1914 s’inscrit un nom qui ne s’oubliera pas dans la suite des annales rémoises : Ernest Kalas préludait à ses destins artistiques en décrochant de ses fines mains blanches et effilées, un prix de dessin d’initiative, à ce mât de cocagne universitaire. À la même minute radieuse, Louis Henriot est classé premier des candidats à l’École polytechnique.

En même temps que Paulin Songy obtenait au concours départemental une bourse entière au Lycée, son brillant second restait en panne et voyait s’évanouir dans l’azur de ses rêves ambitieux les possibilités de participation aux largesses étatiques qui se distribuaient si parcimonieusement alors dans le menu peuple des primaires, affamé plus ou moins de culture gréco-latine.

Ce second devait avoir un destin des plus humbles, puisqu’à l’automne de sa vie, il n’a plus qu’à mâcher et re-mâcher, dans cette modeste peut-être, et bien intentionnée Vie Rémoise, les miettes du festin ancillaire donné aux modernes.

Un autre lauréat, – une lauréate de ce concours d’allures si démocratiques, mais de promesses si vaines, fut une aimable brunette aux longs cheveux bouclés, aux yeux bleus noyés dans les rêves, du nom de Marguerite Pommereul – violoniste remarquable qui obtenait vaillamment un 2e prix de son instrument au Conservatoire. Plusieurs années de suite, cette jeune artiste se fit entendre au Cirque de Reims dans les concerts de nos sociétés locales. Elle était de Pontfaverger.

Un de ses concitoyens du même âge, décrocha en même temps qu’elle et le futur Flâneur des Ruines, à une tête ou deux du champion Songy, le même prix cantonal, pour écoles de garçons.

On l’appelait Émile Cauly, et on sait qu’avant la guerre de 1914, il était vice-président de la Société archéologique de la Marne. C’est cet éminent savant qui, dans sa brochure : L’oppidum gallo-romain de Reims et les mesures linéaires des Gaulois, définit les règles et la mesure exacte du pas, du pied et de la lieue des Gaulois au moyen de calculs réglés sur la distance qui sépare, de la place Royale de Reims, deux bornes de route gauloises qui se trouvent sur l’ancien chemin de Courcy, à hauteur des premières maisons de La Neuvillette.

Ces deux bornes, que les bombes allemandes n’ont pu atteindre ni détruire, existent encore en nos parages, et marquent pour ainsi dire le point du sol français où le flot de l’invasion dut s’arrêter en 1918, au moment de l’offensive désespérée des Boches – enragés à la prise de Reims, ou plutôt des reliefs de ses murailles défoncées par leurs obus.

Tu ne passeras pas ! semblent-elles avoir dit, en cette heure tragique, à l’éternel Envieux de notre pays de Gaule. Le miracle des Champs catalauniques se renouvelait aux portes de la capitale mystique de la France. Debout les Morts ! s’était écrié le sublime Péricard. Et des milliers et des milliers de poitrines surgissaient à cet appel du sol gau-lois de Durocort pour opposer une barrière infranchissable à la ruée des Vandales et des Huns.

On peut les voir encore debout, ces pierres milliaires, témoins uniques des vieux âges de la Gaule-Belgique. Par la rue de Cormicy , suivre à son extrémité le Chemin-Vert qui longe le bosquet de peupliers des Trois-Fontaines et certain poste de commandement aux multiples labyrinthes souterrains, à peine nivelé aujourd’hui sous le roule du laboureur. À une croisée de chemins aux confins du terroir de La Neuvillette, tout proche d’un calvaire au socle de pierre dont le Christ de fonte seul a été abattu par les sacrilèges bourreaux de Reims, se dresse ces deux vénérables et modestes monuments de notre histoire, reconnaissables à leur socle au sommet aplati, et à leurs faces immaculées, dépourvues de tout signe graphologique – les druides ayant proscrit toute écriture de leur enseignement.

La municipalité, dressant des barrières contre les flots toujours menaçants de la vie chère – battus par les galères de nos fermiers du poivre et de la cannelle, en tablier bleu –, ouvre des boutiques alimentaires au Marché et dans la rue Sainte-Catherine , provoquant ainsi, rien que sur le prix de la viande, une baisse de 40 % qui aide à vivre aux petites bourses.

Le poulet s’offre, par nos paysannes de la banlieue rémoise, de 2 à 2.50 pièce, pour les moyens, et de 3 à 3.75 pour le choix en poids et qualité. On peut s’en régaler sans se ruiner et la poule au pot de Henri IV ambitionne de devenir celle de Henri V, – d’après les rumeurs du club et de l’atelier.

On peut croquer des alouettes à rôtir pour 1.90 la douzaine. Le hareng démocratique et national se distribue par paniers de cent pour la pièce ronde de 5 francs. On l’a même à 0.04 pièce, à la criée et en gros. La raie et l’anguille sont à 0.75 le kg, le maquereau à 0.25 l’un. Les marennes à 1 franc la douzaine !

Mais, c’est à la criée qu’on pratique ces cours de bonne vie : le malheur est que nos marchands en boutique ou à la petite voiture s’habituent à faire la culbute... et, en sourdine, s’offrent des petites maisons pas chères dans nos faubourgs moisissants. Prévoiraient-ils déjà, pour leurs fils, des destructions en masse et des dommages de guerre ? Eh ! eh !... et alors, quand le hareng a passé sur le gril, il ne coûte pas moins de 2 sous à la ménagère... Or, dans les grandes familles, on est obligé de compter sou à sou. Bah ! Le Bureau de bienfaisance est là pour parfaire aux manquants !

En remplacement de Viollet-le-Duc, Millet est nommé architecte de Notre-Dame de Reims : il était déjà titulaire de cette fonction pour les cathédrales de Chartres, Châlons-sur-Marne, et Saint-Germain-en-Laye.

À la Banque de France, apparition de Lauzanne, directeur à Amiens, et père de Stéphane Lauzanne, rédacteur actuel au journal Le Matin. Lauzanne père fait suite à Auguste Witmann, décédé.

Frédéric Lelarge, qui vient d’être honoré de la croix de la Légion d’honneur, fête cette distinction par un banquet, suivi de bal, à l’Embarcadère, où sont invités ses employés et ses ouvriers, au nombre de 450.

Au décès de l’archevêque Landriot, et à peine terminées ses obsèques en grande pompe, on chuchote dans les salons et les sacristies les noms de ses successeurs possibles. De hautes ambitions se manifestent, en sourdine toutefois, ainsi que la discrétion l’exige en matière sa-cerdotale.

N’a-t-on pas affirmé qu’en vue de la restauration du trône bourbonien, un de nos plus influents concitoyens de la laine, Henri Goulet, a reçu dans sa modeste mais hospitalière demeure de la rue du Barbâtre, un hôte de choix, en partance de Frohsdorf pour une visite au président Mac-Mahon, et cet hôte serait tout simplement le comte de Chambord, candidat éventuel et tout prêt à cueillir au trône relevé des Capétiens ?

Devant de telles prévisions, on se demande quel est l’heureux prélat qui aura l’honneur de présider aux cérémonies du sacre de la basilique des rois de France, à Notre-Dame de Reims, sous les arceaux gothiques de la Merveille.

On prône çà et là les noms de d’Outremont, évêque d’Agen et de Dreux-Brézé, de Chartres. Dreux-Brézé a certes les préférences de beaucoup, par goût des réminiscences historiques et traditionalistes.

Mais un fin évêque, de souche plébéienne et dont la mère était blanchisseuse et le père hôtelier à Paris, dans le quartier Saint-Roch, mais qui, de son passage à Saint-Sulpice, a conservé de hautes relations aristocratiques et dans le monde ultramontain, réussit le 11 novembre à décrocher l’insigne timbale. Son nom est Langénieux.

Pendant ce temps, un Gringoire nivernais, Louis Rebreget, serveur de maçons, vendeur de ce libelle, populaire alors, intitulé : La Lanterne de Bocquillon et poète à ses loisirs, se fait condamner pour vagabondage. On savait qu’il avait rimé un poème épique : Le Sauveur de la France (?). Il disparut sans plus laisser de traces qu’un vent coulis et aucune anthologie, – que l’on sache – n’a pris garde de perpétuer et son nom et ses œuvres. Ayons cette générosité... à charge de revanche par d’autres !

Et le 132e de ligne constitue sa fanfare, sous Ackermann.

Et le père Ragaut, du bastringue de la rue de Neufchâtel, endosse sa redingote et se coiffe de sa buse pour marier sa fille au jeune Alphonse Brunelet, employé de banque.

Un propriétaire-modèle, Sautret-Allart, rue de Venise, 48, fait honorer le cinquantenaire de location de Pierre Drot, dont il n’avait d’ailleurs jamais augmenté le loyer. De nos jours, on le momifierait, un tel héros !

Si la chaleur est grande en juillet et août, la fin de l’année sera si froide et neigeuse que, sous la rigueur du temps, des loups viennent à Noël chercher du chauffage et de la pitance presque rue Dieu-Lumière, à la verrerie de Cormontreuil et sur les rives du canal. Le tambour de ville Ponsart est chargé de mettre les habitants en garde contre ces rôdeurs maléficieux, à dents longues, friands de petits Chaperons rouges.

La mode féminine est revenue à la simplicité : nos mères, nos sœurs et nos filles endossent la robe la plus simple, recouverte d’un châle cachemire. Pour les galas, cérémonies et visites, on a supprimé les garnitures et les pouffes.

Au 15 août, l’orchestre des Dames de Vienne, dirigé par la Wohanka, donne un concert au Cirque, et par la suite, se fera entendre tous les soirs à la Brasserie de Strasbourg.

Les représentations pascales du Théâtre terminent le 9 juin avec le ténor Dulaurens et la Leavingston, de l’Opéra.

La troupe pour 1874-75 a pour principaux protagonistes : Cosset, Duriez, Prosper, Montcavrel et Gribonval, ces impayables comiques – ce duo ébouriffant : Théodore et Rodolphe, le trial Taillard, traître à tous crins, Lecomte, Martin, utilité incontestable et ce bataillon ailé, harmonieux et charmeur : Lermiani, Anna Thibault, Subra et l’aérienne Rohan, soubrette idéale.

L’opéra a pour serviteurs exceptionnels un ténor nouveau – qui fera fureur, – Gense ; le baryton Itrac ; la soprano Barwolf et la dugazon Verger, qui débutent le 22 septembre dans Lucie de Lammermoor.

Soirées passionnantes en perspective ! L’aristarque du parterre, Herbé le jardinier, frisé comme la chicorée légumineuse se déclare satisfait et tous respirent.

Le drame commence le 10 août, avec La Voleuse d’enfants. On aura Dalila et Le Sphinx d’Octave Feuillet ; puis fera son apparition l’horrible mégère, la Frochard, bourreau des Deux Orphelines... et les mouchoirs à carreaux se mouilleront de larmes en étouffant des sanglots hoqueteux.

C’est La Chaussée qui est au pupitre comme chef d’orchestre. On peut dire que Blandin avait eu cette année-là encore plus de flair que d’habitude et la main toujours heureuse. Il nous amène la Fargueil, dans Miss Multon. Et c’est à cette époque que notre concitoyen, le ténor Richard, débute à la Monnaie, de Bruxelles, dans La Perle du Brésil à la demande de Félicien David.

Le 30 septembre, inauguration du Cercle musical et artistique, avec Bünzli, Alexis Baudet, le petit Brié et le frétillant Chauvry, accotés du prosaïque Léopold Bombaron, ronfleur émérite – lesquels exécutent, non point en bourreaux, mais en professionnels à la roue, le Quintette de Boccherini.

Rose Bünzli, future épouse Delaunay et le ténor local Bourguignon, chantent un duo de Faust et Grison affronte Henri Dallier, dans une rumeur d’osselets entrechoqués avec une variante de Robin des Bois.

Il semblerait que les uns et les autres ont bu le vin doux de la récolte en cours. Elle n’est pas mauvaise ni trop chère, la purée septembrale champenoise : Bouzy pèse 13° et ne demande que 800 fr. pour ses 200 litres. Les habitués de nos auberges à vin de pays se régaleront l’an qui vient : Chamery est à 35 fr. la caque, Sacy à 40, Villedommange, le royal Villedommange ! à 50 et 60 fr. C’est pour rien ! Mieux... ou pis : Sézanne a fait du pichenet rouge qu’il annonce urbi et orbi à 70 francs les 210 litres.

Quelle orgie en perspective, mes frères ! Si la tête est dérangée par ces nectars ambroisiens, si le franc-licheur de chez Frossart ou du café du Commerce, ou encore de chez Rolin de la rue Rogier, voire de chez la mère Arnoux, rue Ponsardin, – qui débite du Cernay blanc à 0.80 c. le litre, biscuits Petitjean en plus, – ne se sent pas sûr de la fidélité de ses guiboles flageolantes, on ne sera pas en peine pour le ramener à demeure sans accident, sans accident, chute ou rencontre désagréable du garde-champêtre verbaliseur.

La Compagnie des Petites-Voitures vient, sous Magniez, d’installer ses dépôts dans le faubourg Cérès, et finalement, sur l’emplacement libéré de l’usine des Trois-Piliers, où jusque-là on avait fabriqué du noir animal, genre cirage Rivière. On y compte cinq écuries, dont l’une abrite 30 canassons à l’œil vif et au jarret vigoureux que guette l’astucieux et narquois Leroy, des boucheries hippophagiques. À côté, sellerie, maréchalerie, magasins à fourrage et 50 voitures.

Un bureau de location, relié électriquement avec le dépôt des Trois-Piliers, est installé place Royale, entre le bureau de tabac de Mme Willemet, le kiosque à journaux de la mère Baudet et le mystérieux mur de Brunette fils, l’architecte. Dieu sait combien de siècles on l’y verra à cet endroit ! jusqu’à l’achèvement de la place Legendre par la construction des bureaux de la Société Générale, en 1911.

Et ils feront fureur, ces sapins, à ce point que, à l’occasion de la fête de Saint-Brice, les cochers travaillent trois jours de trois nuits de suite sans pouvoir relayer et aller se coucher !

Y a pas à dire ! Reims s’habillait tout à fait en grande dame à la mode de Paris !