1869 à 1878

Mariages extraits de "La Vie Rémoise" d'Eugène Dupont

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1869

Ils sont nombreux les élus de ces agapes populaires, mais combien imperceptible apparaît au regard de l’annaliste l’ombre du souvenir projetée vers le présent par ces existences humaines, – véritable poussière d’êtres dont les jours s’emplirent de gestes quasi puérils, de paroles plutôt creuses, d’actions presque vides d’intérêt, dans un souffle sans chaleur et des fonctions peu rémunérées. Parmi tant de noms à égrener, il n’en est guère dont l’éclat retienne quelque attention !

Accrochons-nous au nom de Auguste Stengel, ce cordonnier de la rue Montoison, 27, qui, à l’âge de 30 ans, épouse une indigène de Château-Porcien, Marie Élise Müller, lingère dans le voisinage. Tout de suite, nous voyons un homme au teint rosé, aux rares cheveux grisonnants bouclés, et avec des lunettes d’or sur le nez ; grand de taille, un peu voûté, il gravit péniblement les 300 degrés de l’escalier de pierre, aux marches usées par des générations, qui conduit aux tours de la Merveille, dont il est devenu le chef-sonneur, à la mort du préhistorique Génin. C’est lui qui tinte la «romaine», – «la-do-la-si-la-sol-la-fa !» – et donne le signal de la mise en branle des bourdons. L’existence de ce pacifique citoyen français chiffonnait sans doute l’aimable tribu des Boches, car leurs meilleurs bombardiers s’escrimèrent certain jour de septembre 1914 à débarrasser nos rues de cet atome : Stengel fut l’une des dix-sept victimes de la bombe dite des Loges-Coquault. C’était de «la belle ouvrage » !

Cet autre nom, Léon Dufour, que va-t-il suggérer ? Épelons le tableau des mariages affiché à l’Hôtel de Ville : Léon Barthélemy Dufour, trieur de laines, 22 ans, rue des Salines, 17, et Victorine Turquin, tisseuse, impasse des Cloîtres. Sont-ils assez de par-en-haut, ceux-là ! Aussitôt, cent cous de, bilots se tendent et font coin-coin. J’entends les Bilots de Saint-Remi, les ouailles d’Ambroise Petit.

«Dufour ! basse profonde admirable, monsieur ! un des piliers de notre orphéon. Voyez ces médailles étincelantes qui tintinnabulent sur notre glorieuse bannière, dominatrice des batailles ! il en a sa part !» Et les échos de Saint-Maurice vont répéter à la postérité que Léon Dufour avait belle allure sous son surplis blanc endossé sur la veste civile, et qui laissait voir un bas de pantalon en drap gris ou de salopette bleue, sur des brodequins à clous et à lacets. Avec Sagnier et d’autres, il faisait sa partie dans cet impressionnant et émotif De Profundis du chanoine Hardouin, réservé aux funérailles des plus huppés de la paroisse. Il chanta aussi pour les très-pauvres incurables de Saint-Marcoul qu’une mort compatissante arrachait enfin à leurs infirmités, – pour ces «vieux cafuts» confiés, en ces dernières années d’avant-guerre, aux soins de cet autre qu’on appelait le docteur Harman !

Certains soirs de festivités, les passants voyaient se former, au coin d’une rue ou au milieu d’un carrefour, un groupe de silhouettes indécises, arrêté subitement au cri de l’une d’elles : « Font un chœur». C’était Dufour qui avait poussé le cri. Et nos échos rémois retentissaient du fameux air des Montagnards ! « Les Montagnards (bis) les Montagnards sont là ! » Ceux des nôtres qui se couchent à l’heure des poules ne le savaient que trop, hélas ! qu’»ils» étaient là !

On le vit cet éphémère, au zénith de son papillonnement, présider avec autorité et distinction (oh !!!) la société d’amateurs de chant qui se réunissait tous les dimanches, – au café Bolâtre, dans Fléchambault. Après avoir poussé sa «goualante», d’une voix caverneuse servie par des lèvres lippues, il détaillait le tableau de service : « La parole est à Mme Landois pour la Chanson des peupliers et à M. Cellier, pour la suivante, qui sera le Temps des Cerises».

Ah ! de combien peu s’orne la vie des masses !

Arsène Dégodet, pensionnaire actuel à la Maison de Retraite, – quartier des veufs –, épouse Angéline Maurin, couturière en robes. Il fut au service des lainiers Millart, et Renard & Garnier, de la rue de l’Université ; puis, on le vit terminer sa carrière active sous le tablier de concierge et la basane de tambourinaire au Lycée de Reims.

Eh ! Messieurs les Labadens, auriez-vous oublié Arsène ?

Ceux-là brillent d’un certain éclat, si modeste soit-il ! parmi le nombreux contingent des Pagniots-Ronds, en 1869.

Pénétrons dans le clan des classes moyennes, où nous ferons une cueillette plus abondante.

Le cadet des Cavarrot, Guillaume, mécanicien à la Compagnie de l’Est, épouse une méridionale de Souillac (Lot).

L’aîné de cette brillante famille fut officier supérieur de l’armée française. Le benjamin est bien connu de tous les Rémois : ancien élève de l’École des Arts-et-Métiers, il dirigea de longues années le peignage de laines à l’usine Collet frères & Meunier. Retiré du textile avant la guerre, il s’occupait du placement des vins à la maison Prat. II faisait partie de l’Union chorale et de la Croix-Rouge. Passé maître à la «manille», les habitués du Café Louis XV assistaient enthousiastes à ses combats contre un adversaire redoutable, son ami Marcillac, des tissus, pour le «manillon» duquel il montrait une passion gastronomique excessive. Baptiste Cavarrot est décédé il y a peu de mois, brisé par les émotions de l’horrible et trop durable guerre. Mlle Cavarrot, institutrice à l’école de la rue Courmeaux, fut, sous les affres du bombardement, le bras-droit vigilant et dévoué de notre Cardinale laïque, Mlle Fouriaux. Leurs services à toutes deux ne seront pas oubliés d’ici longtemps.

Les Chandon et les Sarret, gros ferrailleurs de la rue Hincmar, 5, marient leurs filles, – celui-ci avec Jacques Establie, voyageur «dans la partie» à Paris, et celui-là avec le lieutenant Destrée, du train des équipages, à Commercy.

Eugène Neveux, le roi des trombones à pistons et à coulisse, renonce au célibat, après avoir fondé, avec le professeur Bouché et sous les auspices d’un futur roitelet d’Araucanie, le bouillant Achille, de la dynastie rémoise des Laviarde, la fanfare de l’Union, – appelée à rassembler en une société fraternelle les mille éléments disparates qui emplissaient individuellement, ça et là, dans nos courées et nos mansardes, de leurs couacs sonores, les échos du troisième canton. Nul mieux que Neveux ne devait, par la suite, filer le «largo» de la «Romance de Lakmé», à la Municipale de Bazin, par les belles soirées d’été musicales à la Patte-d’Oie, sous le feuillage reverdi des ormes de Lévesque de Pouilly.

Apparaît la silhouette en tablier blanc de Julien Carraud qui va fonder la maison d’épicerie et comestibles Carraud-Mortelette, place Royale.

Suivent celles de deux compagnons du Tour de France : Jean Triaud, mécanicien à La Villette, qui se stabilise chez les frères Reinneville, rue de Cernay, 40, et Brouillaud le maçon, lequel a une épaule plus haute que l’autre, ce qui ne l’empêchera pas d’être un jour conseiller municipal de notre bonne et hospitalière ville.

Homme pieux et discret, très ardent à nos luttes politiques, et qui ne se faisait pas faute d’épiloguer, tous les soirs, sur le coup de cinq heures, devant le «communiqué» du Crédit Lyonnais, rue Carnot, en présence d’un public au sourire sceptique et moqueur : Valicourt, ex-chantre à Saint-Remi, ex-scribe à la Mairie et gros-major des Chevaliers du Balai, – mort victime de l’hubris germanique, sous le poids d’un 210 qui voulait aplatir le commissariat de la place Suzanne, où cet indéfectible Rémois s’était abrité, avec sa femme et sa fille.

Hélas ! que d’oraisons à faire au long de ce martyrologe !

Et puis c’est Missa de la Rivière-Brûlée, Charles de son petit nom, bon vivant et laveur de laines très apprécié, porteur d’un nom aimé entre tous. La «sacrée goutte» le tortura pendant des années sans dompter ses goûts épicuriens.

La figure ovale, à barbe blonde et aux yeux bleus sur un teint vermillon, de Guillaume Haeüsler, nous fait risette sur l’écran. Employé de filature en 1869, il habitait, avant d’épouser la fille du boucher Trischler, rue de l’Université, à l’angle de la rue de Contrai, la maison basse du «Cadran Solaire», rue de Venise, 50. Un toit de tuiles s’abaissait en pente roide sur l’appartement de l’unique étage, laissant une ouverture à fenêtre vitrée pour la mansarde où jadis le poète élégiaque Pierre Dubois avait poli ses premières rimes et où Haeüsler abritait ses espérances, en attendant mieux. Un Alsacien de la laine, Charles Hickel, ne se rappelait pas sans émotion qu’à son arrivée à Reims, après l’exode de 1871, que, lui aussi, avait occupé cette modeste demeure, quand il entra au service de E. Gadiot, – peignés, blouses et écouailles, rue Legendre, 5.

Dans le «Matot-Braine» de l’an 1910, – annuaire devenu rare à la suite des incendies de Reims et de l’exode de ses collectionneurs –, feu Henri Jadart donne une description sommaire de ce cadran éteint sous la vétusté, et de ceux que possédait notre ville au siècle dernier. Il y en avait un d’eux, superbe, dans la cour d’un immeuble au n° 2, rue de Luxembourg. Un autre rue Nanteuil, 3 et 5(dans la cour également), ancienne demeure de Maxime Pérard, l’agent de change. Place Saint-Timothée, 8, chez l’horloger Richard-Bona. Puis, rue Linguet, 21, où demeura Tuniot l’architecte. Ce cadran datait de 1880. Un sixième exista rue du Jard, 80. Victor Lambert en fit installer un septième à l’angle de sa maison de la rue Dieu-Lumière, 66, face au soleil levant. En 1870 disparut le cadran qui se trouvait place Godinot, presque à l’angle de la rue Saint-Symphorien. On voyait encore, en 1919, sur la maison des seigneurs de Muire, une longue tige de fer inclinée, vestige certain d’un cadran solaire en ardoise disparu.

On résisterait trop difficilement à intercaler ici les détails vraiment intéressants fournis par notre regretté M. Jadart-Givelet, sur un cadran solaire horizontal qu’avait fait construire Mouginot le père dans sa maison de la rue Martin-Peller, n° 38.

«Ce cadran, installé là vers 1898, provient du château de Craonnelle, dont il décorait les parterres. C’est une pierre d’ardoise octogone d’environ 0 m 35 de long, gravée finement, établie sur un piédouche à socle en pierre, avec une inscription en latin, précisant que ce cadran montre le temps vrai et moyen. Les chiffres des heures se déroulent avec l’accompagnement de la ligne méridienne, et les mentions des deux solstices et de la ligne équatoriale. Ce cadran possédait un appareil à lentille destiné à concentrer les rayons du soleil sur un petit canon qui devait, par une explosion, indiquer l’heure de midi ».

En 1869, tous ces aimables cadrans marquèrent des heures vraiment paradisiaques pour nos nouveaux promus du conjungo, et c’est à ce titre qu’on leur devait une telle mention. En bénéficièrent encore cette année-là le fils au père Bouchard, le maître-maçon de la rue Marlot, et aussi cet agent d’assurances de la rue Saint-Guillaume, qui devait avec le concours d’une aimable concitoyenne, Mlle Camus, faire don, trois ans plus tard, – alors que le jeune couple était venu habiter rue Caqué, 4, – à la noble Cité et Université de Rheims, de celui qui, de nos jours, fut sacré – l’heureux mortel, peut-être immortel demain ! – Prince des Poètes, par les têtes chevelues du Mont-Parnasse : signons-nous à ce nom de Paul Fort, glorieux déjà, superglorieux dans le futur.

Et admirons au passage le cortège somptueux des mariages riches, aux toilettes étincelantes, aux équipages piaffants et enrubannés.

En tête, le meunier d’Isles-sur-Suippe, Désiré Demogue, et sa jolie épousée Marie-Louise Pilton, qui seront les ascendants directs de cet autre Rémois, René Demogue, élève de l’École de Droit, créateur, avec l’abbé Haudecœur, curé de Pouillon, de cette «Revue de Champagne» dont la publication fut interrompue par la guerre, mais sera reprise incessamment sous les efforts d’érudits mécènes, – professeur à la Faculté de droit de Lille, avant-guerre, et depuis à l’Université de Paris, où il occupe la chaire illustrée par les Bufnoir, les Saleilles, les Ambroise Colin. Feu Alfred Gérard, créateur d’une importante bibliothèque au n° 15 de la rue Chanzy, si malheureusement détruite, l’a désigné comme exécuteur testamentaire, en vue d’aider à créer à nouveau, dans le même immeuble restauré, une Bibliothèque agricole, ouverte à ceux qu’intéresse ce genre d’études.

Mme Demogue-Pilton est décédée à Chenay, le 16 avril 1921, ayant pu revenir, dès l’été de 1919, dans cette vieille maison de famille où elle habitait en 1914.

Le champagne est représenté dignement par Georges Goulet, rue Large, 21, et Mlle Martinet, de Paris.

Les tissus, par Émile Collomb, rue du Carrouge, 6, et Mlle Legros-Vinchon, de la place Royale.

La laine, par Albert Laîné, rue de Thillois, et Louise Drouet, fille de Drouet-Bonnaire, marchand de bois, boulevard des Promenades, 31, et alliée à la famille du maréchal Drouet d’Erlon.

La laine et le vin, par Léon Morizet et Mlle Blanche-Eugénie Delius.

Enfin, l’armée française et l’édilité rémoise par Charles Jourdain de Muizon, ex-lieutenant d’infanterie, retiré au Goda, près Cauroy-lès-Hermonville, et Marie-Clotilde Dauphinot, nièce du maire de Reims, rue du Cloître, 9.

Reims témoignait ainsi, par toutes les classes de sa nombreuse et belle famille, sa volonté de durer.

Et Reims, en 1922, vit encore, malgré les Boches, et toutes sortes de contingences opposantes !

1870

Déroche ouvre le ban des mariages : il est le fils de la populaire Catherine, reine des Halles, qui le laissa orphelin dès 1864 ; mais le rejeton des Angots rémois, mécanicien à la Compagnie de l’Est, ne consent pas à la disparition de la dynastie : il épouse Olive-Joséphine Roze, blonde épanouie de 18 ans, orgueil de la rue Dorigny, dont la «papinette» bien emmanchée dominera de ses éclats le brouhaha du Marché-Couvert : Catherine Déroche est ressuscitée !

L’émule de Totor Delvincourt et son co-piston solo à la Municipale, Lambin, qui sera à toutes les batailles, à toutes les victoires sous le grand capitaine d’harmonie Gustave Bazin, abandonne les solitudes du veuvage pour s’adjoindre une compagne dressée à l’école de Paris, laquelle aura pour mission de le bichonner et le cajoler en un «home» coquet de la rue Neuve, n° 56 : pigeon à barbiche pour blanche colombe au fin duvet.

Bazin qui est un bon drille, fort sociable, est de la noce ; c’est lui qui ouvre le bal, au piano, par son endiablé «Premier Pas», quadrillé par Louis Dineur et orchestré d’après son opérette, par le musicien Cazé. Il est de toutes les noces de ses collaborateurs, à celle de son clarinettiste, Just Honoré, peintre en bâtiments ; le beau-père Chemin prête aux danseurs sa grande salle et son jardin à labyrinthe de l’Embarcadère. Le jeune couple vint habiter au n° 31 de la rue du Jard.

Non loin de là, rue Brûlée, 66, un tout jeune professeur de piano, Joseph Roger, beau blond frisé, coqueluche du monde féminin artistique, entraîné par l’exemple, s’empresse auprès de sa voisine, la jolie frangère Carrut, et ces deux charmants tourtereaux qui ont à peine 40 ans à eux deux, volent de leurs jeunes ailes à peine emplumées dans l’azur du conjungo. Doux moments ! heureuse époque de la vie, où le passé paraît n’avoir jamais existé et l’avenir plongé dans l’éternité ! Peu après la guerre, Roger tenait le piano d’accompagnement sous les Loges, dans un coquet café-concert où les promeneurs s’arrêtaient volontiers pour prendre un bock et entendre les joyeux refrains d’une chanteuse endiablée, à l’œil fripon, aux mollets finement moulés et à la «façade» avantageuse, du prénom Hortense. Les distractions de ce genre étaient plutôt rares à cette époque : il fallut attendre longtemps encore avant que le Casino et la boîte à Poterlet pénétrassent dans nos mœurs avec leurs concerts-buvette à l’instar de Paris.

Puis, c’est Lartilleux, le pharmacien de la place Saint-Timothée et Mlle Thierrard, insulaire de Dieu-Lumière.

Paul Legros, chemisier-mercier, place Royale, n° 7, et une Laignier de la rue de Vesle, n° 8.

Le déjà poussif Édouard Langrand, d’une vieille famille ouvrière rémoise, qui s’apparente avec les Gellier-Lagarde, jardiniers, rue des Moulins, 5, en épousant leur fille Irma. Édouard était le fils des Langrand-Devaux, tisseur de la fabrique, et pendant de longues années, jusqu’à l’heure d’une retraite bien gagnée, il sera employé à la comptabilité dans la maison de laines Eugène Gosset et Albert Paroissien, aux côtés d’Edmond Villemet et de Adolphe Feller.

Un fabricant parisien de chapellerie, Paul Masson, qui a atteint son demi-siècle, se range sous la douce autorité du divin Hymen, fils de Bacchus et de Vénus, et le proconsulat de Mlle Gérard, fille de l’imprimeur de la rue de la Grue.

C’est Gribaumont qui maintenant nous invite aux noces de sa sœur et de son copain le fumiste Nerden, lequel se prépare à quitter la rue de Venise, 46, où le célibat commençait à lui peser, pour transporter ses poêles et ses tuyaux, avec son épousée, au 53 de la rue Neuve, afin de se rapprocher de son beau-frère, menuisier rue de Contrai, 16, et du ferblantier Nerden-Mersenne, au 102 du Bourg-Saint-Denis : il avait l’amour de la famille au cœur. Les deux Nerden sont éteints depuis, mais nous avons revu Gribaumont, solide au poste, rôdant et piétinant, sans cesse revenant à la charge, jamais découragé, – pendant le grisâtre mais passionnant hiver 1918-19 –, aux guichets improvisés de la Mairie de Reims, à l’École Professionnelle, arrachant bribe à bribe, aux avares distributeurs municipaux, le carton bitumé et le papier huilé dont il avait, comme mille autres, si grand besoin pour intercepter la pluie et les zéphyrs acharnés contre sa maison dépenaillée de la rue des Augustins. Ah ! cette ténacité de nos vieux Rémois pour arracher à la destruction finale ce qui subsistait de leurs chers foyers, tant tourneboulés et effilochés par les crachats de la ferraille boche ! Quel poète en rimera jamais les strophes épiques ! Et vainqueur du destin contraire, tu triomphes aujourd’hui, cher inusable piéton de nos rues ! et ta face rougeoyante, et ton nez florissant, frémissent à la vue de la nouvelle cité qui sort enfin de terre, souriant à nouveau à ses enfants de la veille et du jour. All right ! Gribaumont : ils ne nous ont pas eus !

Mais, mettons un frein à cet enthousiasme sénile, car d’autres réintégrés et non des moins notables chuchotent à nos oreilles des noms vraiment aimés. Tel celui d’Achille Rohart, fils de cet ancien fabricant de couvertures de la rue Hincmar, 21, Pierre Rohart : il épouse la belle-fille de Théodore Camet, en son vivant professeur au Lycée et chroniqueur au «Courrier de la Champagne».

Un mariage somptueux : Laigniel-Lavastine, de Louviers (Eure), fils de Laigniel-Delangle, conseiller à la Cour d’Appel de Rouen, et Caroline Rauert, des champagnes.

Puis, en fabrique, le piquant et sec Charles Desmarest, compétence hors pair, digne rejeton des Desmarest-Benoist, de la rue Legendre, et qui habite rue du Levant, 10, chez le papa Nitzsché (Dieu vous bénisse !), là où seront plus tard les Caille et les Bray, tout contre l’impasse conduisant aux ateliers du Petit-Saint-Pierre, cette filature des Walbaum & Cie, dirigée par Billaudel, dont il sera le successeur indiqué. Le jeune Desmarest épouse Marie-Louise Ponsin, native d’Écordal, habitant rue des Poissonniers.

Il y a aussi des épousailles moins éclatantes mais aussi certaines et valables d’un Wallon d’Athies et d’une Dervin de Beine.

Celles de Verdelet le bimbelotier de la rue de l’Étape, qui, contrairement à ce qui se pratique d’habitude, portait ses lunettes, non sur le nez, mais sur le front, sans doute pour que rien ne s’interposât entre l’hésitation de ses clientes et les effluves convaincants de son regard magnétiseur.

Piaffèrent également dans la cour de l’Hôtel de Ville les chevaux de sang de Verdelot qui amenaient par-devant M. le délégué Richardot ces couples exubérants, embaumés à l’ylang-ylang et à la fleur d’oranger : Charles Sainmont et Édouard Picart, associés-bouchers rue du Jard, 26, à l’angle de la rue Brûlée, édifice branlant et valétudinaire, rapetassé en 1922, en attendant mieux, par son propriétaire, le fils de Paquot l’apprêteur. Ils épousaient, le premier une demoiselle Moine, de la rue de Vesle, et le second une indigène de La Ferté-Gaucher.

Le petit Schneiter, ouvrier horloger, rue de l’Étape, 25, avant d’être à son compte, rue Neuve, 15, serait ainsi qu’Anne-Marie, sa jeune épouse d’alors, bigrement fier de voir s’élever sur l’emplacement de son humble maison meublée les fondations d’un immeuble à destination, paraît-il, d’hôtel, qui serait l’ornement de la rue Gambetta, relevée de ses ruines.

Émile Péter, artisan de la laine, – immigré de Mützig, avec ses frères Jean-Baptiste et Michel, Édouard Schüler, trieur de laines comme eux, et un tout jeune Alsacien qui est, à cette heure, à la tête du groupe lainier qui reconstitue le peignage du faubourg Cernay.

Eugène Rousselle, que l’on a connu acheteur de laines dans nos fermes de Champagne et du Soissonnais, pour le compte de feu Alfred Gosme, «père de la laine de France» : Eugène Rousselle pénétrait ainsi et sans effraction illégale, dans la famille d’un Trischler qui fut établi boucher à l’angle des rues de Contrai et de l’Université. Entré comme pensionnaire, avant-guerre, à la Maison de Retraite, il en fut évacué avec ceux de ses collègues qui persistaient à braver les averses de bombes et de shrapnells, en 1916, pour être hospitalisé à Saint-Jean-de-Maurienne. À cette heure, il assiste avec un sentiment de tristesse mêlé de joie, comme nous tous, à la démolition des murailles de nos demeures ébranlées et à leur résurrection sous une forme et un aspect des plus modernes. Maximilien Douillat, employé de commerce, est aussi du plaisant et animé cortège, avec sa blanche Héloïse Anna Jannet, laquelle porte actuellement 78 ans et son long veuvage avec une verdeur que nous souhaiterions à nos compagnes !

Les deux dernières signatures de l’année furent apposées, sur le registre des mariages, par un jeune professeur du Lycée, Louis Élie Page, originaire de Puisieulx, habitant rue de Contrai, 40, et une demoiselle Eugénie Démoulin, demeurant place d’Erlon, 28, dans la maison de Leriche-Cadart.

La guerre avait suspendu les ardeurs matrimoniales, et le contingent annuel des mariages diminua énormément. Il n’en fut enregistré que 398, en diminution de 200 sur la moyenne des années précédentes... 1871 cependant attristée encore par des événements tragiques et l’occupation ennemie de notre territoire devait remonter à un niveau plus normal, et le nouvel adjoint au Maire pour ces aimables cérémonies, le docteur Jules Bienfait, assisté occasionnellement par son confrère Henri Henrot, vit défiler sous ses yeux émerillonnés et sa bonne et paterne face rosée 538 de ces jeunes couples à qui le destin confiait la repopulation de notre jeunesse décimée par les batailles, les maladies et les langueurs déprimantes des camps de prisonniers en Allemagne.

1871

Tel un anachronisme vivant apparaissait aux regards de la foule ce grand vieillard aux cheveux argentés et au collier de barbe blanche, le bras crêpé de noir à la suite de son veuvage récent, et qui marchait l’œil droit devant soi, posément, le faciès grave, allant à ses destins quotidiens. Lorsque, dans la plus stricte intimité, le baron de Dion maria sa fille, vers les Pâques de 1871, – époque de l’année où s’accouplent le plus volontiers nos fils et nos filles –, le défilé des équipages amenant au 75 de la rue du Bourg-Saint-Denis, les nobles hobereaux de la parenté, – témoins officieux de la cérémonie –, il sembla à chacun que l’on revenait aux temps de la féodalité. Ces vicomtes, ces marquis et ces barons faisaient impression sur le monde boutiquier et travailleur de ce vieux quartier de Reims. Les gamins suivirent les voitures jusqu’à la Cathédrale, où le suisse Bocheux, dans son somptueux costume, copié sur un modèle ayant servi au sacre de Charles X, – eut toutes les peines du monde à les empêcher de se mêler au cortège plastronnant et aux regards plongeants et dédaigneux de ces échappés du Nobiliaire de d’Hozier. Il y avait là, inclinés sous la houlette du pasteur Landriot, cette Rémoise de vingt ans, la gracieuse Marie Renée, fille du baron de Dion de Ricquebourg, ancien maire de Coulommes-la-Montagne, et de feue Henriette de Beaufort, venu de Nancy ; derrière eux, le «marieux» Richard de Vesvrotte (Gustave Henri), né à Dijon en 1845, officier d’ordonnance du général de Cissey, ministre de la Guerre, à Versailles, et châtelain de Montrichard-lès-Trouhans (Côte-d’Or), fils du feu vicomte et de Louise Joly de Béry, remariée à Gustave de Beuvrant, de Chardenoux-lès-Bruailles (Saône-et-Loire). Reims et Dijon, Champagne et Bourgogne, quel coupage génial ! Dans ce cortège médiéval, hormis le costume, un comte de Bertault, un Maurice de Gislain, baron de Bontin, châtelain des Ormes, près Joigny et Alfred de Vesvrotte, dijonnais sédentaire.

D’autres noms, moins sonores, dépourvus de particules, mais aussi fiers de leur origine et de la valeur morale dont ils étaient représentatifs, s’inscrivent à la même époque sur les registres de notre état civil, avalisés par la signature du docteur Bienfait, le nouvel adjoint aux actes, ou celle de son suppléant, le confrère Henri Henrot.

C’est toute l’industrie, tout le commerce, tout le bâtiment, tous les arts et avec eux la basoche qui vont se donner en représentation au magistrat municipal, sous l’œil bienveillant de l’archivielle Dame gauloise, Mme veuve Durocort, épouse Remi et mère des Rêmes, toujours verte malgré les ans et au cœur éternellement jeune, sous son air vieillot :

Louis Alexandre Grandval, 23 ans, préparateur en pharmacie, fils de Jean-Baptiste Grandval-Pellieux, fabricant de produits chimiques, rue Dieu-Lumière, n° 29, et Clara Marie Damide, 18 ans, native de Lille, et dont le père, César Auguste, faisait commerce d’engrais sur la route de Cormontreuil. Hier, la vénérable aïeule, Mme Damide, est allée rejoindre dans la Lumière, par le chemin des Ombres, son regretté mari, dont les Rémois avaient fait un de leurs conseillers municipaux.

Henri Midoc, 26 ans, fils de l’ex-adjoint et greffier du Tribunal de Commerce, rue du Carrouge, 32, et de Sophie Victoire Chapgier-Saint-Hilaire, épouse Louise Muiron, rue du Petit-Four, 15 ; les témoins sont Gustave Nérot-Dauphinot, cousin du marié, l’ancien avoué Alexandre Doyen, rue de Venise, 22, oncle de la mariée, Edmond Jules Bertereau, son beau-frère, et le juge de paix Isidore Lanson.

Mariage également de Edmond Pinon, fils de feu Pinon-Provin, rue des Templiers, 16, avec une Parisienne du nom de Calibre.

Voici les Villeminot : Paul, âgé de 35 ans, rue Libergier, 6, fils de Antoine Barthélemy, et feue Marie Rose Huard, décédée en l’an 1870 ; il épouse Marie Lucie Delarsille, fille de Hubert Delarsille-Fassin, boulevard du Temple, 5. Sont présents à la barre municipale : Fassin-Subé, déjà septuagénaire, Collet-Delarsille, Alexandre Sentis et Victor Rogelet, tous de la haute bourgeoisie industrielle de Reims.

Puis les Lacourt et les Mennesson : le serrurier du Faubourg Cérès, 15, marie son fils Paul avec Zoé Marie Mennesson, des Mennesson-Dupont.

Jules Berney s’en est venu à Reims où il se rendra grandement utile dans les tissus et aussi en prônant les bienfaits de la gymnastique, après avoir épousé Ernestine Darbre, de Cumières. Les bouchons sautèrent !

Chez les Paul-Batier et les Hallier, on fait coup double : Alfred Rosey, de Saint-Quentin, où il est employé d’assurances, vient se marier ici avec Pauline Hallier, fille de feu Denis, rue du Barbâtre, 6, et de Michèle Éliza Paul. De son côté, Paul Hallier, 31 ans, marchand de tissus, épouse Léonie Paul, 22 ans, fille de Paul-Batier, le plombier de la rue de l’Arbalète, 6. Que de Paul dira-t-on ? Soit ! mais qu’on réfléchisse à ceci : c’est qu’en s’épaulant ainsi dans la vie on risque moins de choir en cas de choc violent et c’est la meilleure des solidarités.

Le peintre et dessinateur Messieux, cet Apollon barbu de notre Belvédère artistique, d’une beauté ravageuse, a conquis d’emblée le cœur et la main de Camille Serrurier, avec les sympathies de son beau-père Sébastien, – retenu fâcheusement, lui, par les rhumatismes de son âge entre les bras de son fauteuil, et, de commissionnaire en tissus, devenu le comptable de son associé Auguste Gillet, tritureur et marchand de déchets de laine, rue des Murs, 4. De joyeux drilles, disciples respectables de Bacchus, consentent à apposer leur paraphe peu lisible, à la façon du grand Napoléon, au bas de l’acte qui consacre cette union et lie définitivement ces deux jeunes existences : Constant Colmart, confrère de Gillet, l’ex-fabricant Pierre Ponsinet, habitant sur la place d’Erlon, Barbier, cultivateur à Bétheniville, et le musicien Antoine Guibart, de la rue de Châtivesle, 6, qui fait danser les invités au son de son violon expérimenté.

Une autre famille d’artistes, d’un art un peu moins olympien, – des musiciens de lutrin et de bastringue –, entre en cérémonie à l’occasion des épousailles d’un de ses membres les plus connus, un grand escogriffe dont les longs doigts glissaient avec facilité sur le manche d’une contrebasse à cordes aux ronflements sonores et rythmiques : Hubert Pothier, fils de Nicolas Pothier-Saget, rue du Barbâtre, 101, s’associe une Châlonnaise, Eugénie Gillet, couturière dans la rue de Vesle. Besnard voulut bien prêter sa salle aux danseurs et l’orchestre fut fourni par les invités et la famille : tous les «copains» du Vieux-Théâtre et de la «Municipale» étaient là, d’autres aussi, notamment le long et filandreux Scrabalat, jeune trombone à coulisses qui préludait à ses triomphes du jardin de l’Embarcadère, chez le père Chemin. Aux premiers rangs du cortège nuptial trônait pontificalement, un malin sourire aux lèvres, le ventre déjà bedonnant, Henri Pothier, basse-chantante sous Étienne Robert au lutrin de Notre-Dame, digne émule de ce père Pothier, artiste chevronné au nez tuberculeux, qui passa, sans broncher, la moitié de sa vie sous les arceaux de notre nef gothique. Remi Pothier était témoin également : avec Henri, il cordonnait entre deux messes, sous l’œil du père Nicolas, qui avait alors ses 62 ans bien sonnés. Pierre Barbier, tourneur en bois, directeur de spectacle et chef du Guignol de la rue du Grand-Cerf, 25, avait tenu à assister ses amis dans l’occasion. Barbier ! les Ombres ! ne te sens-tu point, ami lecteur, remué jusqu’au plus profond des moelles par le rappel de ces soirées inoubliables où, rival du père Hutin, Barbier aidé d’une troupe d’élite, te faisait frémir aux lamentations de Geneviève de Brabant, victime de Golo, ou sursauter d’allégresse diabolique aux tourments de Saint-Antoine, ou encore aux cris de la Malade imaginaire, quand elle se plaint que l’eau du clystère est trop chaude !

Ah ! brûlantes années de notre enfance, combien vos effluves viennent ravigoter les impressions affadies de notre vieil âge !

Octave Cochinard, rouquin chevelu, ancien élève de l’École des Arts-et-Métiers de Châlons, contremaître de peignage à l’usine Villeminot, puis au Mont-Dieu, était fils de Isidore Prétextat Cochinard-Vitry, directeur de ce même établissement sous Charles Benoist-Fréminet ; il épouse une demoiselle Mazinguant, originaire de Gueux.

Passerions-nous sans remords et sous silence le mariage d’un de nos futurs architectes, non des moindres, membre et président de l’Académie de Reims il y a un quart de siècle : Édouard Lamy, 26 ans, rue du Cloître, n° 17, fils de Lamy-Dathy, ancien logeur et débitant rue de Normandie, avec Jeanne Camuzet, 18 ans, fille du vannier du Faubourg Cérès, 15.

Continuons ce relevé, par Auguste Amédée Fortel, des Fortel-Scheppers, et Renée Clémence Mahieu-Rouget, dont la mère, devenue veuve, s’était remariée avec le docteur Thomas, député de Reims.

Émile Brisset, de Vaudétré, près Heutrégiville, et son associée Marie Clémentine Fossier, fabricante de biscuits, place des Marchés, 37, fille de Fossier-Janvier.

Désiré Censier, rue Large, 38, et l’une des demoiselles de Hubert-Bara, serrurier-quincaillier, rue du Bourg-Saint-Denis, 115.

Eugène Crémont, chef d’orchestre sans emploi, au Vieux-Théâtre de la rue de Talleyrand.

Armand Petit, frère d’Ambroise, futur chef de l’Orphéon d’Alsace-Lorraine, de cette dynastie de musiciens qui a tant servi l’art orphéonique à Reims, et dont Charles et Marie Petit perpétuent les talents. Armand Petit, comptable de profession, rue Tournebonneau, 15, épousait une Grandpierre, famille bien connue de la rue Saint-Bernard.

Jacques Tortrat, 34 ans, rue Boulard, 37, – non loin d’où actuellement réside son fils l’architecte-expert, épouse Mlle Huré, de Ludes. La plus jeune sœur de la mariée devint la femme de Mauny, voyageur de commerce. Une autre sœur fut charcutière au pays natal.

D’autres encore se joignent au défilé nuptial :

Jean-Baptiste Cospin, huissier, rue des Anglais, 7, et la fille de son prédécesseur Gillot-Drouet.

Victor Kauffeisen, 46 ans, rue du Bourg-Saint-Denis, 22, que son associé dans les tissus, adjoint au Maire de Reims, marie «in extremis» à une compatriote alsacienne, du nom de Gangloff, âgée de 30 ans, et originaire de Dorlisheim, près Strasbourg. Lui-même était né à Bergheim, près Ribeauvillé (Haut-Rhin) et mourut peu de temps après.

Un autre Alsacien de la même rue, tailleur au n° 107, Antoine Lazarus, âgé de 21 ans, né à Lixhausen, épouse l’Alsacienne Caroline Beyerlein, de Lutzenhausen.

Enfin, notre vieil ami Thuillart, l’unique Thuillart qui ait jamais paru à la surface de ce Globe qui en a pourtant vu des drôles et des remarquables, l’illustre chantre à Notre-Dame de Reims, s’étant lassé du veuvage, reprend les chaînes, à l’occasion de sa cinquantaine, sous la douce et impérieuse tyrannie d’une accorte et futée sujette de Léopold II, qui venait d’avoir ses dix-huit ans aux prunes – rose à peine éclose – native de Belle-Fontaine-lès-Arlon, où ses père et mère étaient l’un charron, l’autre ménagère. Vincent Thuillart, lui, était un Picard de Berquigny (Somme). En raison de son penchant pour nos aimables crûs de l’Hermonvillois, notre héros avait décidé que la noce aurait lieu à Cormicy, que les invités seraient tous chanteurs ou musiciens et vignerons. Prouilly envoya un bon nombre de ces derniers, Pévy aussi, et comme il arrive souvent en pareil cas, une des deux demoiselles d’honneur de la mariée réussit à capter l’attention du premier, son «Valentin», Stanislas Bourlon, précisément collègue de Thuillart au lutrin de la Cathédrale, et la cérémonie recommença deux mois plus tard, juste le temps de rassembler les papiers et de publier les bans. Double fête dont Cormicy garda longtemps le souvenir et que de loin à la ronde, on vint voir avec empressement. Spectacle éminemment curieux que cette foule bigarrée alignée au passage du cortège nuptial, du côté de Cormicy où il n'y a point de maisons ! Personne n’ignore ce qu’est ce qu’on appelle le partage de Cormicy : tout d’un côté, rien de l’autre. La majeure partie de ces messieurs de la Compagnie de Monseigneur de Reims, composée de gais lurons et de francs-licheurs, ayant été invitée aux deux mariages, le pays fut en révolution à double reprise et ce furent des liesses qu’on aurait pu croire devoir être sans fin. L’Assomption était proche, hélas ! il fallut répondre à l’appel du maître de chapelle.

Ah ! souvenons-nous-en ! de ce lutrin remarquable qui avait à sa tête un chef incomparable et aimé. Les basses y dominaient : en tête et le plus ancien, Thuillart, accoté de Bourlon, Duneuf, Dècle, Demilly, dit Josué, et Wilmotte, futur marchand de charbons dans la Cour-Morceau. Comme barytons, le soliste Maus et Henri Pothier. Aux ténors, le petit père Lefèvre, soliste et spécialiste du «Dies irae» et du «Suscipe», du «Gloria». Ses collègues l’appelaient le «Prince Russe». Ensuite, Bourguignon et Remy Collard, surnommé Jean de Matha. Mary, le père Mary, bon diable, soufflait du «serpent». Boucton et Pothier père «grattaient» de la contrebasse. L’organiste du chœur était Ernest Lefèvre. De longue date, dans le quartier du Jard et de la rue Boulard, où demeurait la famille, on l’avait affublé du sobriquet enfantin de «Titi Morlet». Aux temps de sa prime enfance, avant qu’on pût prévoir le glorieux avenir qui lui était réservé, le jeune musicien avait un chien, tout petit, mais hargneux à l’excès, une sorte de cabot toujours dressé de la voix contre les paternes Terre-neuve du voisinage et les jupes des gamines. On l’appelait Titi : c’était le bon chien-chien à son petit pépère, qui croquait le premier sucre de la maison. Ernest l’adorait. Or, un jour que notre futur artiste venait de perdre aux chiques, dépité, il s’en prit, non à sa maladresse, mais à la jactance ironique de ses vainqueurs, et appelant son cabot d’une voix aigre et fuselée : « Titi ! mords-les !» Il venait de gagner son sobriquet pour la postérité !

Aux grandes Orgues, c’était Grison.

1872

Peu après cette perte pour «la Famille rémoise», on enregistrait à Reims le mariage de deux nièces du ténor Renard, natives de notre ville, et filles de Célestin Renard, frère aîné de l’artiste, qui fut contremaître chez le fondeur Lermusiaux. La veuve de Célestin, Louise Demay, est décédée en 1922, auprès d’un de ses arrière-petits-neveux, à Ferrières-la-Grande, près Maubeuge. Louise Demay, née le 22 février 1827, rue de Vesle, 69, à Reims, avait épousé, en 1845, Célestin Renard, fondeur-mouleur, natif de Paris.

Les Renard frères, installés à Reims dès cette époque, fréquentaient assidûment au «Café des Volets-Verts», tenu par Mandart, rue Neuve, 13, et transformé plus tard, à la fin de l’Empire, en horlogerie-bijouterie, or et toc confondus. En 1875, Célestin, rebuté par la présence d’un successeur à Lermusiaux, Hertzog, qui ne lui plaisait pas, surtout parce que cet Alsacien avait amené avec lui nombre de spécialistes immigrés, et qu’il voyait son autorité diminuer d’autant, quitta Reims avec les siens et s’en alla à Ferrières, où il décéda en 1894.

Les Renard-Dumay habitaient en 1872, rue Folle-Peine, 8 bis. C’est là que se marient le même jour, leurs deux filles, rentrayeuses de la fabrique : Rosalie Antoinette, 19 ans, qui épouse Eugène Pétré, et Julie Annette, 17 ans, fiancée à Charles Bankaërt, mouleur aux ateliers Lermusiaux, à Courlancy.

Du premier de ces mariages issit une fille, Blanche Pétré, qui a épousé Paul Roby, employé avant-guerre à l’usine Walbaum frères, puis mobilisé, et actuellement attaché aux services de récupération des Régions Libérées, à Mourmelon-le-Grand.

Et puisque nous avons ouvert la rubrique des épousailles, courons de rue en rue et renseignons-nous auprès des concierges ou des voisines sur ces mariés en toilette de gala qui s’enfoncent, l’œil en joie, parmi les fleurs d’orangers et les bouquets d’iris dans les équipages à ressorts de Verdelot, le loueur de la rue du Bourg-Saint-Denis, ou pour les plus huppés, dans les voitures de maîtres, blasonnées ou simplement revêtues d’initiales dorées.

Jean-Baptiste Langlet ! Ce nom, magnifié par la Grande Guerre et la défense de Reims (1914-1918), attire la plume du chroniqueur aussi impérieusement que l’aimant aspire le fer.

Il évoque une vie qui peut se définir : intégrité, honneur, devoir civique. Aussi toute une lignée de fils dévoués à la patrie rémoise, issus des profondeurs d’une classe plébéienne, en ascension vers des destins meilleurs.

L’Histoire en dira ce qu’elle doit, en temps voulu, lorsque nos successeurs voudront savoir ! La documentation locale retient seulement à cette heure ses origines et la notation de son habitat.

Donc, le I9 août 1807, Nicaise Timothée Langlet-Doriot, 60 ans, croyer, rue Dieu-Lumière, appose sa signature à la mairie de Reims, sur l’acte de l’état civil qui enregistre la naissance de son petit-fils, Jean-Baptiste Nicolas Timothée, issu du mariage de Nicaise Langlet, 34 ans, docteur en chirurgie, rue Neuve, 73, avec Marie-Jeanne Henrot, sœur de Jean-Baptiste Henrot, 21 ans, cultivateur à Liry (Ardennes), et de Élisabeth Céline Henrot, 24 ans, épouse de Nicolas Chevalier, cultivateur, audit Liry.

Le 24 février 1835, Nicolas Timothée Langlet, contremaître de fabrique, rue Suzain, 2, à Reims, épouse Thomasse Julie Bouchette. Cette dernière était née le 30 mai 1813, à Reims, de Pierre Jacques Nicolas Bouchette, 33 ans, rue Brûlée, et Marguerite Charlotte Viellart, de même âge ; les témoins à l’état civil sont Jacques Tortrat-Tisserand, 31 ans, couvreur, rue du Bourg-Saint-Denis (au n° 98 actuel de la rue Chanzy), et Remi Simon Michelet, 39 ans, tisserand, rue du Jard. L’officier de l’état civil est l’adjoint Camu-Didier.

De ce mariage naît le 7 septembre 1841, Jean-Baptiste Nicaise Langlet, qui sera Maire de Reims en 1914. Ses parents, Langlet-Bouchette habitent à cette époque à l’ancien numéro 46 de la rue du Bourg-Saint-Denis, devenu le n° 115, dans un immeuble situé exactement tout contre le Café Franchecour, là même où, en 1872, tenait boutique de quincaillerie Mouton-Hubert, caissier-comptable à la maison Givelet frères, rue de la Peirière, 3, et gendre de Hubert-Bara, ancien serrurier.

Les témoins de cette naissance sont Jean-Baptiste Thierry Langlet, employé de commerce, rue du Jard, 10, et Auguste Langlet, 31 ans, contremaître de fabrique, rue du Bourg-Saint-Denis, 46, tous deux oncles de l’enfant. C’est Jean-Baptiste Lanson, adjoint au maire, qui reçoit la déclaration.

En 1847, les Langlet-Bouchette quittent le Bourg-Saint-Denis pour aller habiter au n° 67, rue de Venise. C’est de là que Jean-Baptiste Langlet se souvient parfaitement avoir vu les flammes du vaste incendie de l’usine Croutelle, à Fléchambault, allumé en février 1848, par des ouvriers tisserands et fileurs à la main qui redoutent la concurrence redoutable des métiers mécaniques à vapeur.

La vie intérieure de cette intéressante famille va désormais s’écouler en ce quartier populaire, aux confins du Grand-Jard expirant.

C’est là même, qu’il y a cinquante ans, Jean-Baptiste Langlet, devenu un des jeunes médecins les plus recherchés de sa ville natale, unit ses destinées à celles de Louise Marie Lévêque, de Pontfaverger, née le 15 août 1842, à Togny-aux-Bœufs (Marne), et fille de Louis Hormisdas Lévêque, 56 ans, époux de Marie Clémence Vincent, âgée de 50 ans. Les témoins du mariage sont : en présence du docteur Bienfait, le frère de l’épousée, Paul Louis Victor Lévêque, médecin, rue de Vesle, 39 ; son oncle Sébastien Lévêque, médecin à Paris, cité des Fleurs, aux Épinettes ; Auguste Langlet, rue du Bourg-Saint-Denis, 96 ; et Émile Henrot, commis-négociant en laines, rue Neuve, 75.

Tout Reims sait le reste et demeure plein d’admiration et de vénération pour le beau vieillard qui, retiré à la Maison de Retraite, consacre ses dernières forces à la renaissance de notre Musée des Beaux-Arts, dont il est Conservateur, aidé par son neveu le peintre Paul Bocquet ; il espère, croyons-nous, en ouvrir les portes au public rémois et aux visiteurs étrangers dès le plus proche printemps, si toutefois la main-d’œuvre nécessaire pour le classement, le nettoyage et l’accrochage aux murs des tableaux et des tapisseries ne lui fait pas défaut en ces derniers mois.

Ce nom glorieux se refuserait d’ailleurs à jeter quelque ombre sur ceux qui vont suivre, car, parmi eux, tous appartiennent à des familles rémoises des plus honorables et qui marquèrent d’une empreinte profonde leur existence dans la cité.

Léon Lanson, vins de Champagne, boulevard du Temple, 10, fils de Victor Lanson-Kellerhoff et Adélaïde Juliette Martin, fille de Étienne Martin-Ducrocq, rue de Talleyrand, 33.

Victor Fontaine, alors âgé de 25 ans, et qui, avant d’être attaché en qualité de professeur d’allemand au Lycée de Reims, était encore au Collège de Châlons, se marie à Fismes avec Marie Victoire Hatty. Fismes fut sa retraite de prédilection, et en 1914, il se trouva appelé à y rendre de grands services à la population au moment de l’invasion. Les incendies et le bombardement qui détruisirent l’infortunée petite ville en 1918, le forcèrent à un exode qui dut lui être bien pénible ! C’était un gros et fort homme, de taille élevée, un peu voûté, portant des favoris taillés courts, en redingote et melon noirs, parfois coiffé du «haute-forme», «maroquin» bourré sous le bras. Pendant la guerre, il prenait pension à l’hôtel Véron, situé vis-à-vis sa maison patriarcale, dont le vaste jardin entretenait ses loisirs de philosophe plein de bonhomie.

Félix Devaux, pharmacien au n° 30 du Faubourg Cérès, épouse Louise Grand’Barbe, réfugiée de Metz. Devaux était originaire de Modane, en Savoie. Sa femme était fille de Louis Grand’Barbe, décédé à Metz, le 16 novembre 1860, et de Marie-Anne Burtaine, morte peu d’années avant la guerre, à un âge très avancé. Les témoins à l’état civil sont : Lucien et Édouard Grand’Barbe, frères de la mariée, le docteur Louis, rue Neuve, 68 ; Auguste Satabin, officier de santé, rue du Barbâtre, 49, et Louis Gérardin, cordonnier, rue Brouette, 5. Se rappelle-t-on l’aimable buraliste de la rue Cérès, Madame veuve Gérardin, originaire elle aussi de Metz ? Devenue veuve, Louise Grand’Barbe épousa le capitaine Bonneton, du 132e de ligne, mort depuis à Voiron (Isère).

Léon Plumet, directeur du Comptoir d’Escompte, veuf de Mathilde Garreau, décédée à La Rochelle, et Marie-Françoise Delarsille. Ont signé : Auguste Alard-Plumet, courtier en laines, le docteur Leclerc, rue du Couchant, 14 ; Pierre Fassin et Paul Villeminot.

Un nouveau venu dans la laine, à Reims, Olivier Zhendre, superbe roux à barbe soyeuse, teint de lys et yeux bleus, dont le père était décédé à la Nouvelle-Orléans (Louisiane), et Blanche Collet-Fricotel, rue de l’Arbalète, n° 9. Peu après, le négociant en laines Barbier, rue de l’Avant-Garde, se l’associait. Plus tard, leurs appartements et magasins servirent à Charles Barbelet, lorsqu’il quitta le café-restaurant si réputé de la Place Royale, pour faire le négoce des tisanes de champagne. Tous les Rémois ont dégusté ses huîtres fines, ses escargots préparés divinement, arrosés de l’exquise «tisane» à 2 francs la «champenoise». Ces heures paradisiaques se sont évanouies dans la profondeur des âges ! il faudra des générations pour reformer une équipe vraiment rémoise disposée à renouer ces traditions de fraternité devant la dive bouteille qui ont fait des Rémois d’hier et d’avant-hier, un ensemble homogène, sociable et joyeux, d’une collectivité se sentant les coudes et communiant sous les espèces du jus de la treille, dans l’amour de la vieille cité rémoise, berceau de l’Histoire de France.

Des agapes officielles et somptueuses fêtent l’union de l’Antinoüs qui préside aux destinées administratives de notre ville, en son hôtel de la Sous-Préfecture, rue Saint-Étienne, 14.

Léon Grenier, à la fleur de ses 32 ans, et la belle veuve Andrès, Isabelle Forest, toute jeune encore, dans son hôtel de la rue Cérès, 32. La bénédiction nuptiale est donnée en la Chapelle de l’Archevêché, par Jean-François-Thomas Landriot, et les vœux de l’État transmis par le préfet Jousserandot. Madame Léon Grenier était fille de Édouard Forest, du champagne, et Amélie Marguet.

Le chapitre épousailles s’allonge et on n’a que l’embarras du choix pour évoquer les noms archiconnus de tous les Rémois d’alors, et des survivants actuels.

Paul Élie Salle, fils de Salle-Champagne, et frère de Jean-Baptiste Élie, du Bourg-Saint-Denis, 43, et Irma Froment. Eugène Camuzon, fabricant, et Blanche Lhoste, fille du directeur des Longuaux. Jules Martin, d’Heutrégiville, fils de Césaire-Victor Martin, décédé à Sedan, et neveu du peintre Louis Menu, rue du Jard, 22, celui-là même que, sur la fin de l’Empire, les gens du quartier appelaient le «Rouge», car on le savait d’opinions républicaines. Le «rouge» d’alors est une couleur qui, depuis, a fortement pâli, sans doute parce que nos générations débiles ont dû s’obliger à mettre de l’eau dans leur vin, afin d’éviter la goutte ou l’artériosclérose. La nouvelle épousée a nom Camille Baudesson, fille de Baudesson-Contet, rue des Moissons, 31.

Et puis, voici le joyeux fumiste... fumiste en tant que farceur – Léon Hécart, fils de l’excellent peintre bien connu, et vendeur aux tissus à la maison Edmond & Auguste Givelet frères, rue de la Peirière, 3 ; il épouse la nièce du «père Bon Dieu», déjà cité, Marguerite Lhoste, fille de Lhoste-Hannesse, rue Saint-André, 14. Hécart le peintre habitait alors rue de l’Esplanade, n° 14 ; en cherchant bien, on retrouverait non loin de là, dans la même rue, les demoiselles Hécart, vestales du nom, qu’abrite dans son immeuble restauré d’hier, Albert Theiss.

On retrouve parmi les témoins au mariage Jean-Baptiste Hannesse, de confiseur devenu négociant en vins, rue du Barbâtre, 44, le menuisier Tailliet et Edmond Givelet, 48 ans, «patron» de l’impétrant. Jovial et plein d’entrain, Léon Hécart mena la vie aux limites les plus raisonnables, après avoir laissé le souvenir d’un des meilleurs vendeurs de mérinos écru, beige ou blanc, flanelle et bolivar, que la place de Reims ait jamais connu, parmi une phalange nombreuse dont le palmarès s’allongerait indéfiniment.

Sachons nous borner ! et reprenons le fil.

Pol Charbonneaux, des Charbonneaux-Billuart, maître de verreries, rue de Châtivesle, 1, et Lucie Hubertine Collet, fille de Collet-Sausset, rue Pluche, 22.

Le bon et joyeux vivant Jules Houbart, des Toiles et Sacs... dont on est heureux de voir revivre parmi nous l’aimable silhouette en la personne de son fils... se glisse dans le vignoble réputé de Verzy et en ramène la compagne de sa vie, Mademoiselle Oudart. Les Houbart frères habitaient alors rue du Faubourg-Cérès, 25, non loin de Lhuire, leur beau-frère. Qu’est devenu le délicat poète rémois du nom de Jacques Lhuire, dont les essais prometteurs et les productions déjà remarquables avaient circulé, il y a deux lustres et davantage, entre les mains de ce que Reims possédait d’intellectuels ?

Côme Georges Bellot, laveur de laines à Courlancy, fils des Bellot-Berguenheuse, de Cuisles, épouse la fille de Victor Guyotin-Ragot, de la rue du Cardinal-de-Lorraine, 17. Elle était la nièce de Pierre Guyotin, ancien couverturier, rue du Bourg-Saint-Denis, n° 14, âgé alors de 73 ans. Signent à la mairie : Charles Bouquet, rue Rogier, 7, et Victor Lapie, rue Noël.

Charles Louis Biébuyck, négociant en tissus, rue Colbert, 5, originaire de Thielt (Flandre occidentale), et une fille de Chauvet-Sépierre, ancien boulanger, rue du Barbâtre, 77.

Des tissus également, Alexandre Désiré Duquesnel, fils du docteur Bonaventure Duquesnel, maire de Méry-lès-Maignelay (Oise), et Gabrielle Laignier, des Laignier-Dufey, rue du Cadran-Saint-Pierre, 10.

Des foules se précipitent ! ouvrons nos colonnes au libraire Victor Geoffroy, place Royale, et Marie Masson. Geoffroy était la veille encore gérant de la «Coopérative» rue Pluche, où il avait succédé en 1868 à feu Pierre Dubois, poète et chroniqueur rémois.

Au capitaine Fernand Robillard, du 124e de ligne, rue Salin, 4, fils de l’ancien vice-président du Tribunal Civil, et qui décédera peu après son mariage.

À Gustave Delautel, 40 ans, rue de la Grosse-Écritoire, et Mlle Pestiaux.

À De Guerne le boucher, au n° 7 de la rue des Telliers.

À Ligeri Féry, de Buré-la-Ville (Meurthe-et-Moselle) qui vient épouser à Reims la très achalandée et aimable charcutière de la place d’Erlon, Irma Simonet.

À Jean-Jean et Lafleur, «alias» Jean-Baptiste Péter, trieur chez Dauphinot et plus tard contremaître de la profession chez Lelarge, et Adélaïde Charbogne, la belle Adèle de la rue des Moulins.

Enfin, à la fille au père Génin, le sonneur de Notre-Dame, une rougissante couturière de vingt ans, qui épouse un Parisien de la rue Au Maire, ébéniste de profession, du nom de Van Lierde. Nous avons vu ce jour-là Génin, respectable vieillard, pâle et fuselé, semblant devoir rendre à l’instant son ultime souffle, le col engoncé dans une énorme cravate blanche à la Louis-Philippe et sa redingote soigneusement dégraissée et repassée, conduire sa radieuse fille à l’autel de la Vierge, pendant que Grison violentait ses pédales, écrasait l’ivoire de ses boudins de chair, invoquait Borée et ses ouragans, trombonait la tempétueuse «Marche nuptiale» de Mendelssohn, et que là-haut, dans la Tour Nord de la Merveille, des gnomes intrépides, suspendus à l’arcature des charpentes et exaltés par l’âme impétueuse de l’ancêtre Quasimodo, carillonnaient allègrement en l’honneur de la mariée et de leur vénéré chef d’orchestre. Fête intime à la Cathédrale : les Angelots et les Séraphins voletaient d’une nef à l’autre, les Saints et les Saintes avaient dessiné au coin de leurs lèvres le plus divin des sourires, et dehors, la foule des statues de pierre, rois et reines, évêques et martyrs, prêtaient une oreille attentive aux éclats lyriques de la Maîtrise. Au sortir de la cérémonie, le maître Génin poussa un soupir, en murmurant : « Et maintenant, je puis mourir !»

1873

Laissons maintenant la parole à l’adjoint Bienfait, drille au teint coloré, sous une barbe grisonnante bien taillée, au ventre bedonnant, ceinturé de tricolore, qui déclare unis, au nom de la loi, des couples frémissants de jeunesse et d’espérance.

Arthur Albert, dégraisseur de laine, rue de Contrai, 6, beau garçon de 27 ans, et demoiselle Cotréaux, de Laon.

Édouard Boulogne, apprêteur chez son père, tenancier de bains et lavoirs publics rue Neuve, 80, a 23 ans, il est un des solistes réputés de la Musique municipale, comme ses frères Alexandre et Alfred. Les bains Boulogne furent transférés, il y a une vingtaine d’années, même rue, en face la rue de Venise et l’épicier Larive.

Le petit Habran, alerte figaro au nº 94 de la rue du Bourg-Saint-Denis, auquel succéda Jamart-Bigelot.

Victor Paul, 29 ans, plombier, rue Large, 11, et Marie Léonie Noiret, 26 ans, originaire des Alleux (Ardennes). Paul fut, plus tard, contremaître pendant 35 ans, chez Amédée Houlon. Sa fiancée était ouvrière à la maison Censier, rue de l’Arbalète, 11.

Thubé fils, ferblantier, rue de Mars, épouse Juliette Parmantier, d’Ormes.

Un employé de la laine, au service de la maison Renard & Garnier, rue de l’Université, et du nom de Jules Dupont, se marie à Sedan, où il est alors placier en blousses et déchets, avec Angélique Renault, de la rue des Francs-Bourgeois.

Léon Fontaine, maître ramoneur, rue des Capucins, 33, et une demoiselle Jurion, de Saint-Lambert, près Attigny.

François Rothier, l’excellent et regretté photographe, auquel les Rémois sont redevables de tant de clichés précieux qui permettront aux annalistes de l’avenir la reconstitution par l’image du Reims disparu : il avait 21 ans et habitait rue du Cerf, 31, quand il épousa mademoiselle Caoussin, modiste, rue des Carmes, 19.

Rothier était fils de Édouard Rothier, serrurier, et de Célinie Andréenne Muzerelle, sœur d’un machiniste au théâtre.

Son fils cadet a repris l’atelier paternel, place Saint-Maurice, et en maintient la renommée et l’achalandage, dans le respect de la tradition.

On sait que le fils aîné de Rothier est devenu l’un des plus fameux barytons des scènes lyriques mondiales et le vaisseau du Metropolitan Opera de New York retentit actuellement des échos charmeurs de son admirable organe.

Olive Gavroy, décédé en janvier 1923, à l’Hôpital général, à l’âge 73 ans, était en 1873, commis au Mont-de-Piété tenu par sa tante Mlle Lahaye et son cousin Victor Doré le bossu, quand il épousa Hyacinthe Lheureux, fille aînée du gérant des cokes de la Compagnie du gaz, rue du Bourg-Saint-Denis, 68.

Tout le monde a connu le comptable Ernest Jailliart, dont la veuve, Mlle Cordier d’Épernay, tenait vers 1900 et années suivantes, le bureau de tabac en face le Lycée, rue de l’Université, dans un immeuble qui était la propriété de Charles Richard, futur adjoint au maire de Reims : encore un consacré de l’ineffable Bienfait.

Avec lui, Jules Modaine, caviste, rue du Jard, 8, et Blanche Déroche, rue Coquebert. Avec Driguet, Modaine fut un des protagonistes les plus achalandés de nos foires locales pour le tir aux volailles, dont ils sont l’un et l’autre les intronisateurs en notre ville. En avons-nous sacrifié de ces décimes sur l’hôtel de ces banquistes fameux ! Canards, poulets, oies et lapins, coin-coin ! à deux sous la planche ! Tournez... crcrcrcr… le numéro 17 a gagné ! Gardez vos planches... et l’on recommence !...

Le train de l’hyménée s’emplit. À la dernière heure, les wagons de première et de deuxième classe se garnissent de voyageurs distingués :

Paul Osouf, de Compiègne, rue Saint-Symphorien, 4, fils de Remi Henri Osouf, maître de poste à Paris.

C’est Jules Houlon qui a ceint l’écharpe pour l’unir à Lucie Francart, fille d’Augustin, décédé en 1867, à Ivry.

Victor Portevin remplace Houlon devant l’estrade municipale pour marier le berrichon Pochonnet, de Dun-le-Roi, avec une fille de Gaillet-Gaudoin, commissionnaire en tissus, rue Cérès, 39, en présence du fabricant Jules Auger, rue Saint-Yon, 5, et de Nicolas Bigot, courtier en laines, demeurant encore alors à Paris, rue de l’Entrepôt.

À la suite, c’est Alphonse Houpin, des Houpin-Mongrenier, rue de Venise, 5, avec l’héritière de Edmond Leleu-Bonvial, faubourg Fléchambault, 2. Sont présents à la barre des témoins, en attendant la table du banquet où ils vont faire bonne et joyeuse figure : Natalis Houpin, Ernest du même nom, Numance Othmar Delamotte et le médecin Adonis Faille, qui a déjà 40 ans, et habite rue du Petit-Four, 7. Ah ! les bonnes pièces... et qui ne se sont pas embêtées dans la vie !

Suit, empressé à son tour, – et il n’est que temps, car le train va partir ! – Alphonse Prévost, fils d’un cultivateur, et la fille de Lallier-Malinet, plombier, rue Coquebert, 19 ; parmi les gens de la noce, on se montre le capitaine en retraite Bussière, le marbrier Auguste Coquet, le peigneur de laines Jonathan Holden, et Alexis Malinet, de Beaumont.

Allons, dépêchons, on ferme les portières, et ces retardataires s’engouffrent dans l’express pour Cythère :

Eugène Alexandre Fisson, directeur de caves, rue de Contrai, 9, et Joséphine Mathilde Lantein, rue du Faubourg-Cérès, 73.

Encore un traînard, et ce n’est pas étonnant : Gustave Cliquot, le plus voisin de la gare, puisqu’il est logé boulevard des Promenades ! Allons ! ouste ! Il enjambe le marchepied avec sa gracieuse et jeunette fiancée, Jeanne Aubert, de la rue du Petit-Four, 13.

Un coup de sifflet et l’on part !

1874

Si les deuils avaient été nombreux et cuisants, les fêtes conjugales apportèrent à nos concitoyens du réconfort et de la consolation : leur chiffre dépassa la moyenne habituelle.

Il y aurait tout un in-8° à remplir avec la généalogie, même la plus sobre, des familles qui s’unirent alors par le mariage leurs enfants.

Bornons-nous à des noms relevés çà et là parmi les plus connus de nos générations d’avant-guerre. Modestes ou ronflants, ils éveilleront des souvenirs agréables en nos mémoires assoupies.

Jean-Baptiste Namur, de Vaux-Monteuil, artiste peintre, rue du Jard, 11, épouse une institutrice de l’école du faubourg d’Épernay, Marthe Canelle de Lalobbe.

Un luthier récemment immigré de Metz, Émile Bournier, place d’Erlon, 15, et une fille de l’apprêteur Leleu, à Fléchambault.

Charles Arnould, – toute une histoire locale à écrire ! – et Jeanne Hélèna Schmidt. Né à Reims le 17 juillet 1852, il était fils de Antoine Arnould et Céline Pagnier, rue du Barbâtre, 15. Sa future avait pour parents Michel Schmidt, de Châlons, et Barbe Loutsch, habitant place du Château-de-Porte-Mars, 3.

Suit de près Alexis Baudet, employé des tissus, chez M. Édouard Nonnon et fils de Baudet-Desprez, ferblantier. Musicophile passionné, il fut l’un des violonistes réputés de nos quatuors locaux et de la Philharmonique. Il épouse Marie Estelle, fille de Poissinger-Charpentier, mesureur de tissus, rue Cérès, 36. Ratifient à l’état civil : Henri Chauvry, professeur de violon, rue Brûlée, 42, Narcisse Farre, de l’ancienne Philharmonique, Léopold Nocton, rue des Anglais, 4, et Pierre Bourbon, rue de l’Échauderie, 7.

Un fils d’adoption de Reims, l’une de ses fiertés locales, Henri Jadart, de Rethel, et Louise Marie Givelet, fille aînée du fabricant Edmond Givelet et Louise Alexandrine Bouquet-Baumes. L’érudit Jadart, conservateur de la Bibliothèque municipale de Reims, était fils d’un juge de paix du canton d’Asfeld. Les témoins sont : Charles et Auguste Givelet, Charles Honoré Doyen, de Sainte-Vaubourg, et Eugène Alexandre Hureau, président du Tribunal à Rethel.

Dans la laine, Jules Saint-Aubin, 24 ans, fils de Sébastien, courtier en laines, 59 ans, rue Buirette, 54, et de Florence Antoine Mercier, 47 ans. L’épousée s’honore, à raison, du nom de Victoire Léonie Lecointre, fille de Jules Auguste, 56 ans, ex-négociant, rue du Barbâtre, 45, et de Louise Sophie Arlot, du même âge. Apposent leur signature à l’acte officiel : Charles Léon Arlot, gérant de l’Indépendant Rémois, rue Caqué, 18, Paul Douce, notaire, cousin de l’épouse, 30 ans, impasse Pluche, 2 ; Jean-Baptiste Mercier, de Rethel, et Jean-Baptiste Ninet, rue Clovis, 29.

Henri Hildevert Toussaint, dit Jules, fils de Toussaint-Ladeuille, et Joséphine Landragin, née à Rethel, de Landragin-Ridremont, trieur de laines, dit Sans-viande, à cause de sa maigreur ascétique. Les témoins sont de la classe des petits commerçants : il y a Petit-Grêlé, dit Petit-des-Bourgs, pour le distinguer de son frère Auguste Petit, perceur de rues, épicier comme lui ; un autre épicier du côté féminin, Émile Landragin, à Fléchambault, et le père Moussard, maréchal-ferrant, rue de Contrai.

Dans le triage également et issu de Clovis Gouvernal, qui construisit l’un des premiers immeubles du faubourg Cernay, – Alfred Gouvernal, dit Alphonse, revenu habiter de nos jours, après l’exil, sa maison de la rue de Strasbourg, avec sa femme Léonie Gérard, fille de Gérard-Delhougne, coquetier, rue Boucher-de-Perthes, 14.

Le fondateur des établissements Goulet-Turpin : Octave Modeste Goulet et Eugénie Angélique Turpin, fille de Turpin-Cuiret, négociant en chiffons dans le faubourg Cérès. Un oncle du côté masculin, Pierre Goulet, était marchand épicier, faubourg de Laon, 50. Cette profession ne manquera pas de thuriféraires – elle le mérite.

D’autres encore, – la liste serait interminable, mais ne ferait pas reculer l’annaliste si le papier imprimé ne s’avérait hors de prix !

Un régisseur-acteur de notre théâtre : Pierre Le Comte, né à Chancy, près Genève, d’un père instituteur. Le Comte habitait en meublé dans le Bourg-Saint-Denis, au nº 91 ; c’était un grand gaillard, au nez bourbonien, toujours en longue redingote, un peu voûté et les cheveux noirs plaqués aux tempes. Ont signé : ses voisins Jérôme Cérac et le sous-chef d’orchestre Julien Ysaïe, – ce dernier habitant alors dans la maison de Vermonet, au nº 96 de la rue, où un autre mariage a lieu entre Sophie Marie Clémence Brouhet, sœur de l’abbé Brouhet, et le comptable Désiré Gerbé, rue Montoison, 29.

Un chantre à Notre-Dame, belge d’origine, et futur charbonnier : Jules Wilmotte, rue d’Anjou, 9, et la fille de son poteau au lutrin, le profond et insondable Bourland qui habitait rue des Tournelles, 4, une cambuse en crépi et lattes qu’un beau soir les gamins du quartier virent flamber à l’instar d’un feu de paille, et devant lequel ils dansèrent comme des cannibales en nouba.

Un autre charbonnier, belge aussi et venu de Chiny-Arlon, Jules Naviaux, rue Brûlée, 72 ; veuf de Amélie Belva, il épouse Virginie Dussard, et il aura pour témoins de sa récidive ses alliés, le maître ramoneur Claude Fontaine, rue Neuve, 4, et l’épicier marchand de vins Cérac, rue du Bourg-Saint-Denis, 103.

Un musicien saxophoniste et clarinettiste hors concours, venu en ligne droite de la Garde républicaine : Louis Célestin Niverd, un petit bonhomme à la peau du visage grêlée, aux yeux vifs et rieurs, jauni sous le harnais et qui était l’un des fils, le benjamin du vieux Niverd, de Vouziers, ménétrier de talent qui finit ses jours dans nos murs, à la Maison de retraite.

Un relieur de bouquins, un artiste : Adolphe Alexis Joubert, rue du Bourg-Saint-Denis, 61, dans l’atelier de son père, et demoiselle Millet, rue Savoye, 41. Devant les mêmes établis luttèrent d’émulation, avec les Joubert, ces fins habilleurs de livres qu’on appelait Charles Pothé, décédé depuis et Provost, lequel nous est resté, heureusement.

Un Boche... eh ! oui, un alboche non encore promu au glorieux surnom de ses compatriotes à venir, Jules Othon Riethmüller, de Postdam, jardinier fleuriste de sa profession, la veille encore feldwebel dans un régiment d’occupation allemande à Reims et dont Cousinet, l’afficheur public de la ville, fait sans vergogne son gendre.

On verra plus tard le naturalisé ouvrir un étalage de fromagerie, rue du Bourg-Saint-Denis, sous le patronage du glorieux nom lorrain et français : Jeanne-d’Arc. L’héroïne aura servi à illustrer bien des sauces, hélas ! Ces sacrilèges devraient être interdits ou châtiés !

Et encore l’industrie rémoise : Paul Petit, fils de Petit-Delbourg, faubourg Cérès, 25, et Mlle Élambert-Colombier, rue du Marc, 15.

Cet enfant de Chevillon (Haute-Marne), Édouard d’Hé, rue Royale, 9, qui entre dans la famille des Wirbel et des Benoist par son mariage avec Marie Henriette, fille des Wirbel-Levent. Son patron, le marchand de laines J. Barbier, Isidore Benoist, déjà âgé de 77 ans et Jean-Baptiste Corneille, des cuirs, signent à l’état civil.

Papa Guérit-Tout, la providence des coquelucheux et des biberonneux en bas-âge du quartier des Loges-Coquault, autrement dit Jean-François Leroy-Larcher, patriarche à barbe blanche, au chef branlant, sous un teint de rose-thé et à la parole chevrotante, chantante, bénissante, poète de cuisine qui faisait rimer Saint-Imoges avec pâte de guimauve ; ce brave septuagénaire marie sa superbe fille Amélie, dans la fleur de ses 22 ans, à un barbon-essayiste qui atteint la cinquantaine, fonctionnaire distingué à la Compagnie de l’Est, un Lemarié de Nogent-le-Rotrou, qui va être le marié de Reims, patronné par le chef de gare Désiré Mennessier et son commissaire de surveillance Emmanuel Nancy, indigène passager de la rue Salin, au nº 7.

Et, en cette même rue Salin, remarquable à des titres divers, on verra défiler les voitures somptueuses des noces de Louis Robillard, fils de feu Henri Robillard-Henriot, de son vivant président du Tribunal civil et Émilie Berthe, des Clicquot-Fuzellier, au boulevard des Promenades, équipages fleuris, enrubannés et aromatisés où le passant aguiché distingue, à la volée, dans le galop sous les fouets cingleurs de pégases aux naseaux fumants, la haute et joviale bourgeoisie rémoise, fonctionnaires, magistrats, as du vin et de la laine, lettrés et artistes, phalange décorée et richissime qui prête assistance aux témoins officiels, les Billet, les Henriot, les Lucas et ce fringant Antoine de Celles, attaché au ministère de la Guerre.

Heureux temps, tamisés depuis par tant d’épreuves et qui, dans la profondeur des années, apparaissent voilés sous le fin et vaporeux taffetas de cette poussière en laquelle se transmuent choses et gens !

1875

Huit jours auparavant, le réjoui et docte abbé Deglaire, avait été installé à la cure de Notre-Dame de Reims.

Des temps nouveaux allaient commencer pour l’Église diocésaine et le Bulletin du Diocèse entrait dans l’une des phases les plus remarquables de son apostolat.

Sous le geste bénisseur de ce consécrateur de choix, de nombreux couples s’empressèrent, autour de la cathédrale et notamment au samedi de Pâques – jour choisi entre tous pour les hyménées :

Édouard Victor Changeux, employé de banque, fils de Changeux-Pierquin, de Villers-Allerand, et Émélie Heidsieck, des Heidsieck-Henriot, ayant pour témoins, Jules Palloteau, Henri de Boullenois de Senuc, de la verrerie de Loivre, l’aïeul François Henriot, avec l’oncle Louis, agent général de La Providence : on ne pouvait s’épouser sous de meilleurs auspices.

Notre futur banquier, Edmond Chapuis, né à Gray en 1852, fils de Chapuis-Limasset, et Anne Philippe, âgée de 20 ans, fille de Philippe-Niclosse, rue du Jard, 41. Quatre témoins non des moindres : Alfred Chapuis, A.-T. Limasset, directeur de l’École préparatoire au Lycée, le docteur Chéruy, d’Hautvillers, et l’ancien fabricant, François Loth, rue du Jard, 96.

Charles Laval, teinturier, rue Brûlée, 3, fils de Laval-Chatelain, brasseur et Zélie Houlon, fille de Jules Houlon-Demogue, marchand de fers, rue des Tapissiers.

Alfred Lefort, alors principal chez Me Léon Ducloux, notaire à Paris, et fils de François Lefort, inspecteur des ponts et chaussées, rue de la Peirière, 23. Paul Pinon, Louis Lochet et Bertin Bazire, conseiller à la Cour d’appel de Paris, sont témoins de son mariage avec Marie Maireau, fille de Gustave et Sophie Duplessis.

Veuf de Gabrielle Augustine Hébert-Gillet, Pierre Théodore Dubourg-Maldan fils, négociant en vins, rue Rouillé, 5, épouse Clémence d’Anglemont de Tassigny, fille de Adolphe de Tassigny, ancien garde général, et de Julie Delbeck, place Royale, 13.

Pierre Eugène Fortin, de Neuflize, directeur du tissage Gabriel Stef, rue de Courcelles, 47, et Stéphanie Marie Laplanche, fille du luthier Laplanche-Deforge.

Albert Paroissien, alors âgé de 26 ans, et fils de V. Paroissien-Achez, fabricant, rue des Capucins, 94, épouse Marie Angélique Henriette Osouf, 20 ans, de Compiègne, fille d’un maître de postes à Paris, décédé en 1855. Témoins : Robert Anatole Paroissien, son frère ; Osouf, ex-loueur de voitures à Compiègne, et le négociant en laines Eugène Gosset.

Jules Rome, avoué, rue de Talleyrand, 45, fils de Rome-Lundy, adjoint au maire, et Mathilde Martin, fille de Martin-Ducrocq, et veuve d’Achille Senart.

Pour ses débuts à la Merveille, l’épicurien Deglaire avait écrémé le lait de la ferme rémoise, et sa cave de la rue Notre-Dame vit affluer les champenoises, les bordelaises et les bourguignonnes dont il est coutume de combler la paroisse où s’accomplissent les rites sacramentels du mariage religieux.

Il y avait de quoi épanouir les faces rubicondes de plus d’un fabricien de Notre-Dame, de ceux qui, au titre d’amis de l’archiprêtre et de ses bons crus, participaient aux joies pascales ou mensuelles du presbytère !

Les autres paroisses ne furent point négligées d’ailleurs, et les noces y furent nombreuses et aussi remarquables à des titres divers.

Saint-Maurice ramène en son giron l’avoué Édouard Cabirol, d’Auboué (Meurthe-et-Moselle) et Irma Gerly, fille d’un boulanger du Barbâtre, Gerly-Muzerelle.

Saint-Remi aura Léopold Philippe, de la Neuville-aux-Bois, rue Dieu-Lumière, 2, et Eugénie Assy, – la petite brunette Nini – laquelle aide son père Alexandre Assy, fort occupé aux soins de son auberge populaire, « Au Lapin-Gras », à l’angle de la rue des Créneaux près de la Brasserie « À la Grosse-Enclume ».

La coquette église de feu Thomas Gousset, s’orne en l’honneur de Gabriel Scrépel, fils de Scrépel-Roussel, filateur et adjoint au maire de Roubaix, aux côtés de Hélène Germaine Houzeau, des Houzeau-Besnard du Val.

Saint-André, lui, s’est réservé Edmond Sarazin, né à Gueux en 1845, fils de André Sarazin-Aubry, ancien cultivateur, rue Clovis, 20, et Jeanne Léonie Dubois, 23 ans, fille de Dubois-Gillet, fabricant de peignes et lames, rue de Cernay, 24.

Saint-Jacques – la Madeleine rémoise – a un faible pour les artistes ou ceux qui les approchent :

Louis Lapchin, qui sera l’un des piliers de notre Philharmonique au pupitre des premiers violons, en même temps que l’un de nos plus sélects chapeliers, vient de Valenciennes, habiter au 34 de la rue du Cadran-Saint-Pierre, et de là se précipite dans les brancards de l’hyménée pour y tirer le char de la vie conjugale, accompagné de Irma Chavalliaud, fille de Chavalliaud-André, ancien cabaretier, boulevard des Promenades, 89. Présents à l’état civil : celui qui sera l’un des plus glorieux enfants de Reims, le sculpteur Léon Chavalliaud ; son oncle Léonard, buraliste à Paris, rue du Bac ; l’hôtelier de la rue Buirette, Martial Chavalliaud, et les Lapchin, Jules, bonnetier à Saint-Amand-les-Eaux ; Léon, chapelier à Saint-Quentin.

Sous la même nef antique, défile fièrement le cortège nuptial de Mlle Didy, de la rue de l’Arquebuse, qui a consenti à prendre pour époux Janouix, dit le beau Joseph, l’escargotier renommé de la rue Hincmar, et qui n’était encore alors que garçon limonadier chez Courtin, au Café de la Banque, place de l’Hôtel-de-Ville.

Joseph Janouix eut sa marque de champagne et non des plus mauvaises, quoi qu’il ne fût lui-même que d’origine nivernaise, né à Cosne, et n’eût jamais piétiné le raisin de nos coteaux champenois.

N’oublions pas le bel et élégant Maugin, fils de Maugin-Vernier, fabricant, rue Hincmar, 12, qui épouse la plus belle fille de Reims – du moins au dire de la génération de nos compatriotes qui la connurent à l’époque – Louise Augustine Templie, issue d’un trieur de laines Louis Templie-Rousseau, de Château-Porcien.

Maugin fut de longues années vendeur et acheteur de tissus à la maison Amouroux & Miltat ; il était devenu une curiosité locale par sa façon de porter les favoris et sa longue redingote, allongeant outre mesure sa haute taille. Il était d’une souche de fabricants de tissus par son père et son oncle Joseph, du Barbâtre.

Les témoins de l’épousée furent Valentin Templie, propriétaire, rue Simon, 23, et le marchand de vins Dérozier, rue de La Salle, 16.

C’est à Saint-André qu’eurent lieu les noces religieuses de Paul Laignier, employé de filature, fils de Laignier-Saguet, filateur à Faverolles et de Marie Rousseau, fille de Rousseau-Toison, fabricant de cardes, rue Ruinart-de-Brimont, 13.

1876

Heureusement, dès le printemps, de nombreux mariages rendront l’espoir aux statisticiens de la repopulation, et on assistera à de gaies fiançailles, prétexte à de plantureux festins.

Dans les chaumières comme sous les toits de nos confortables homes bourgeois, les cœurs battent à l’unisson, lors même que les esprits divergeraient en des sens divers et plus ou moins classifiés.

Et le plus modeste des marieux comme la plus mutine des jeunes épouses, dont l’avenir aura ses épreuves, ses aléas, ses joies et ses certitudes, entraînera dans le sillon de son cortège pédestre autant de regards admiratifs et de murmures louangeurs que les grands de ce monde, à qui la vie semble promettre des délices inoubliables et sans fin !

À tout seigneur tout honneur !

Le Rémois le plus populaire de nos quartiers excentriques et, en temps de foire pascale, sur la place d’Erlon, où il avait un éventaire et une lyre à crochets nickelés qui lui servait à fabriquer sa pâte de guimauve et ses berlingots : Fréminet, l’immortel Fréminet. Eléonor Victor pour les dames, confiseur-ambulant, ayant pénates dans une courée, rue Saint-Sixte, 6.

D’où venait-t-il ? Quels étaient ses auteurs responsables ? Qui donc commandita cette gloire locale, surgie entre nos murs à l’improviste, comme d’une cour des Miracles ignorée de nos fouineurs et rôdeurs de ruelles imprécises ?

De taille moyenne, maigre comme un chat de gouttière, le museau imberbe et pointu d’une musette, des yeux en anus de pic-pic, des chicots en guise de dents. Une peau de cabillaud, déferloqué des pieds à la tête, il apparut un matin portant, sur sa poitrine, comme un saint sacrement ou une boîte de facteur, une sorte d’éventaire lilliputien, suspendu à une ficelle passée derrière sa nuque, où s’agglutinaient des bâtonnets de pâte sucrée à la mélasse, qu’il offrait aux passants sous le nom de berlingots, à un sou pièce.

Incontinent, ce fut le succès ! Des bandes de ferlampiers s’accrochèrent à ses talons cagneux et eurent tôt fait de mettre à sac ses provisions. Fallait voir et entendre cette marmaille plus ou moins morveuse criant à la chienlit entre deux sucées de cassonade gluante !

Trop de clients d’un coup, Fréminet prit peur, et, pleurnichant, peut-être de joie et d’orgueil, se calfeutra en son sanctuaire de Dieu-Lumière. Après mûre réflexion, il se dit que, sans doute, ses concitoyens s’habitueraient peu à peu à sa silhouette mal contournée et disgracieuse, et, en présence de l’empressement de la clientèle, il lui sembla sage de se fortifier dans sa résolution de vaincre en intensifiant sa production.

Pendant les mois d’hiver et en attendant le soleil de Pâques, il parcourut nos rues tapissées de boue et de neige, se garant de la pluie dans les corridors ou sous les chartils ouverts, ne rentrant au laboratoire qu’à la nuit complète.

La recette quotidienne, dépouillée des débours de fabrication et de matière première, achetée dans les sicqirsales, ouvrait des horizons alléchants.

En avril 1875, il s’installa, en véritable commerçant et banquiste patenté, sur le champ-de-foire, vis-à-vis le Café des Arcades, à l’angle de la place d’Erlon et tout contre la baraque somptueuse des Fantoches-Holden.

Dès lors, on ne le blaguerait plus, on ne le chinerait plus ! Une large table à croisillons montée sur roues, où s’adaptait une plaque de marbre et une lyre à crochets furent les engins de son industrie.

Il fallait le voir, étirant à longues brassées la pâte moelleuse, argentée, aromatisée à la menthe, pétrie d’abord de ses maigres doigts jaune-asiatique soigneusement lavés, ongles ratissés et désendeuillés. Le pauvre diable, à l’instar des femmes-phénomènes qui exhibent au public leurs énormes mollets, avec invitation à tâter, montrait ses mains au scepticisme injurieux de gouaille populacière qui ne le lâchait pas d’un lazzi !

À dater de ce glorieux jour, ce fut le triomphe. L’apothéose eut lieu le jour de ses noces, auxquelles assistèrent 3.000 personnes de tous sexes, âges et professions, accourues de Sainte-Anne, de la cour Bailla, de la cour Pilaire, du Rousselet et des Créneaux, de la rue d’Oseille et de la place Suzanne, de tout ce haut pays rémois où grouille depuis des siècles la descendance gauloise.

La basilique de Saint-Remi ne fut pas assez vaste pour cet auditoire irrespectueux, et des chapelets d’êtres humains s’égrenèrent sur les degrés du temple, sur la place et jusque dans les fonds de Fléchambault ! Un feu d’artifice, le délire d’une foule en liesse qui se termina par l’envoi de pois chiches, de côtas de chicon, de croûtons de choux, et de trognons de pommes sur la robe immaculée de la vestale sacrifiée !

Quel était donc le cœur désabusé, désintéressé, dévoué ou privé de toute consolation ou d’espoir qui consentait ainsi à faire le bonheur de ce martyr de nos rues ? Fréminet avait 37 ans, et une gracieuse jeunesse lui faisait don de la chair fraîche de ses 20 ans, de son amour novice... et de la malice de ses yeux ! Miracle du cœur et des sens abusés !

On appelait cette héroïne du jour Zoé Legrand, et elle faisait des ménages à Hermonville, centre de bons vins rouges et de tartes au lait remarquables. Ah ! combien autre était apparu aux foules le berlingotier, depuis ses fiançailles ! Fallait-il l’admirer glorieux de sa veste blanche propre comme un sou neuf, de sa calotte de coutil blanc immaculé et à ponts, repassée au borax et à l’amidon cuit, – une vraie casquette plate de mitron de palace –, de son pantalon gris et sans pli –, car Fréminet n’est point un Brummel ni un prince de Galles ! – de ses souliers à clous cirés, lacés proprement !

De la mairie à l’église, un cortège bruyant et vibrant de clameurs accompagne les époux par les rues animées du centre, le Bourg-Saint-Denis, la rue Neuve, le Grand-Cerf et la rue Saint-Julien, dite de la Bonne-Femme. Le flot populaire n’abandonnera sa proie qu’au seuil même du nid conjugal, où l’aubade se prolongera jusqu’à l’extinction des feux.

Et soudain, du parvis de la basilique un chant grave s’élève, sur l’air martial de la Sonnerie aux Champs !

V’là Fréminet qui passe,

Tout bossu, tout tortu, tout malfichu,

Sa culotte est décousue,

On voit le trou de son c… !

Que nul n’en ignore ! la véritable popularité, c’est cela, pas autre chose !

Le lendemain, tout Reims glosait de cette cérémonie, unique dans les fastes locaux depuis le sacre de Charles X.

La guimauve avait lassé la mode, ou des concurrents nombreux vinrent détacher du confiseur ambulant sa clientèle capricieuse.

Le peuple brise ses idoles... ou les compisse ! et on vit Fréminet devenir camelot de presse, criant les journaux dans les rues. Puis, soudain, et ce fut une rumeur de vingt-quatre heures ! on apprit que le corps livide de ce triomphateur d’un jour, venait d’être repêché dans le canal, vis-à-vis l’auberge aquatique du Martin-Pêcheur, au bas du Mont-de-la-Reine.

Que sa mort fût accidentelle, criminelle ou volontaire, le public rémois ne savait qu’une chose : c’est que ce type si local disparaissait à jamais de nos rues pour rester néanmoins dans la mémoire des survivants d’alors.

Que le paradis des humbles lui soit une récompense et une compensation aux misères de sa vie terrestre !

Emboîtant le pas à Fréminet et ses frères en villonnie de renommée mois élargie, mais curieux à plus d’un titre, voici le tapissier Adolphe Grévisseaux, de la rue du Châtelet, fils de Grévisseaux-Petitfrère : ce Rémois a 20 ans, toutes ses dents, une tignasse frisée à toute épreuve, une voix de baryton agréable, mise au service des orphéons locaux.

Grévisseaux sera chantre paroissial, fera sa partie avec le ténor Sagnier dans le quatuor funèbre fourni par le « De Profundis » de Hardouin, et nous fera pleurer sur nos morts et sur nous-mêmes.

De son alliance avec la toute jeune Élise Duval, fille de Duval-Laporte, issira certain reporter actuel des plus sympathiques au service du Nord-Est, après l’avoir été du Courrier de la Champagne, ce légendaire aïeul, mort en donnant la vie, – combien précaire ! – au Télégramme du Nord-Est.

Saluons ce vétéran des armées de 1870-71, Arthur Dagot, né en 1852 dans la rue du Cimetière-de-la-Madeleine (en l’ex-demeure du bourreau Samson, il y a un siècle et quart !).

Serrurier de profession, bientôt après contremaître aux coffres-forts Bauche, fabricant lui-même avant de prendre sa retraite, rue de Venise, 72, il épouse Berthe Eléonore Véron, de Courcelles. Un Véron de cette filiale sera directeur, avec Villain, de l’usine des Longuaux.

Dagot est trop vivant, et bien vivant certes ! pour qu’on puisse prendre sur soi de dire tout le bien qu’on pense de cette longue carrière de travail, de droiture, de dévouement civique : il ne le permettrait pas, mais ça se dira et s’écrira quelque jour, lointain encore, mais certain !

Étienne Tuot, gringalet s’il en fut, mais musclé et nerveux, dont le sosie serait, si on veut, Louis Vincent, de la rue de Contrai (décédé en juillet 1925) était tonnelier rue Ponsardin, 28, quand il épousa une vieille demoiselle du nom de Fourneaux, laquelle n’a cependant que deux printemps sur la tête de plus que lui : ce ménage assorti ne devait perdre de sa pondération que par les préoccupations inhérentes à une entreprise de vin mousseux champenois, dont la prospérité dura autant qu’un feu de paille.

Et, que si nous gravissons maintenant d’un échelon l’échelle sociale, nous saisirons par un des pans de leur habit à queue un certain nombre de Rémois de la classe bourgeoise moyenne.

Il y a en ces milieux de surface calme, aux fonds parfois agités, surabondance de candidats au conjungo : l’église et le notariat vont absorber des bouchées doubles.

Plaçons en tête du cortège ce fringant Théophile Miel, originaire de Pernant (Aisne) qui, après avoir épousé Rose Eugénie, fille de Jacquier-Jayet, prendra, tablier blanc sur le bras, la gérance de ce restaurant des mieux achalandés : Le « Chat Friand », de la rue Nanteuil. Témoigneront du plaisir qu’ils prennent à cet hyménée le comptable Adolphe Tuniot et le frère de la mariée, Adolphe Isaïe Jacquier, rue Cérès, 7.

Le futur commandant du génie Étienne Cavarrot, de Souillac (Lot), tout comme le manilleur Marcillac était de Châlon-sur-Saône, vient d’Arras, où il est garnisonné, épouser à 30 ans la toute jeune Vicogne, orné de ses seize printemps.

Le violoniste Eugène Mathiot, bel Antinoüs à l’ample tignasse brune rejetée sur l’arrière-front, né à Robert-Espagne (Meuse) en 1843, se fait unir par l’adjoint Raymond Aubert à la fille du musicien Maurice Arnoux, patriarche à cheveux blancs au 72, rue de Talleyrand. Mlle Marie Arnoux a 31 ans, est de Bar-le-Duc et professe le piano. Mathiot, lui, habitait rue de Vesle, 59.

L’union fut de courte durée, l’Antinoüs étant coureur. Trop beau, Puijoly ! Deux artistes de renommée différente signent au livre du destin ; papa Antony (Aloys par romantisme exagéré), chef de nos Régatiers rémois, partie concertante, et ce grand homme de conservatoire, le violoniste Maurin (J.-B.).

Les chiffons et métaux fournissent au contingent nuptial Jean-Marie Sarret (mort en 1925), d’origine auvergnate, ayant magasins de ferraille à vendre rue Hincmar, 5, et fils de feu Géraud Sarret-Gimel. Il épouse sa cousine Marie Mélanie Chandon, née à Reilhac-lès-Aurillac. Clic-clac ! enlevez le sac, fouchtra !

Le tout petit père Boulogne, des bains et lavoirs publics, au 80 de la rue Neuve, marie l’une de ses jolies filles, Jeanne Florentine, 17 ans, avec un interne à l’Hôtel-Dieu, le carabin Autain.

Leur très élégante et héraldique descendante directe fera de vains efforts, depuis 1920, pour relever de terre, sur leur dernier emplacement, rue Neuve, 51, les Bains-Boulogne, étant donné d’une part que les dommages de guerre n’apportent pas le pécule indispensable, d’autre part qu’une rue nouvelle va se creuser là, venant de la rue de Venise, en direction de la rue Gerbert.

Par suite de ce concours regrettable de circonstances, notre population rémoise du 3ème canton se voit privée, pour jusques à quand ? d’un de ces indispensables établissements où, la semaine de travail terminée, elle allait se reposer à bon marché de ses fatigues et sacrifier aux dieux de l’hygiène.

En tout et pour tout, le Reims d’après-guerre, qui ne manque ni de bistrots ni de maisons à gros numéros, n’a plus à sa disposition que le lavoir de la rue de Vesle et la maison municipale de douches, rue de Bétheny, installée par la municipalité sur l’emplacement de l’usine Ohl. Ceux qui ont dans leurs somptueuses demeures à la mode, une salle de bains dernier genre, trouveront sans doute que la douche est suffisante aux petites gens. Tout le monde n’est pas de cet avis !

Des Vieux de la Vieille font des comparaisons qui ne sont pas à l’honneur de notre République démocratique et sociale, – section de Reims.

Sous l’Empire, il y a trois quarts de siècle, Édouard Werlé et ses chérifs avaient créé à Reims un lavoir public, agrémenté de salles de bains, où, pour 0.20 c. la population ouvrière et les petits employés pouvaient à bon compte s’offrir à discrétion, un bain chaud salutaire.

Cet établissement fut détruit par les Boches, mais l’État remboursa à la Ville les dommages de guerre qui y étaient afférents, pour le remploi. On a remployé par des douches, et le reliquat a servi, en partie, à reconstruire un manège d’équitation. Ceci équivaut-il à cela au point de vue démocratique et social ?

Une cité industrielle voisine de Reims, Sedan, a la bonne fortune, elle, de posséder un établissement de bains publics à bon marché, construit sur un terrain municipal avec les fonds de la Caisse d’épargne. Sedan n’a pas de prétention à devenir capital régionale : c’est peut-être à cette modestie que ses habitants de la classe pauvre doivent cette supériorité hygiénique. Notre tour viendra sans doute, tout comme a poussé la queue de notre chat !

Faisant le tour de la fabrique et du négoce. Galas sans fin, équipages reluisants et panachés, riches cadeaux, astragales et festons ; tout le petit commerce est sur ses boulets.

Henri Rogelet, fils de Charles, rue Ponsardin, 7, épouse Émilie Barbe, de Trigny. Le jardinier de ces châtelains sera le père, en ce délicieux village vinicole, du futur évêque de Dijon, Mgr Landrieux, né à Trigny, et décédé récemment.

Félix Godbert, fils de Godbert-Bourgeois, rue des Marmouzets, 5, épouse une Saumuroise, Louise Amélie Morin, rue du Cadran-Saint-Pierre, attachée à un comptoir de vente aux rouenneries et tissus Verdelet-Lamare. Le marié a 31 ans, la mariée 22. Signent à la mairie le marchand de blousses Louis Paris et l’oncle Alexandre Auguste Godbert.

Auguste Nouvion, large face réjouie et malins yeux sous le binocle à monture dorée, met tout le négoce rémois en rumeur par son mariage avec Mlle Jacquet, fille de Nicolas Jacquet-Gabreau. Il est fils de Nouvion-Louis, maire et industriel à Pontfaverger. Les témoins sont le cousin Jules Gabreau et l’oncle Jean-Baptiste Poullot, d’une part ; et d’autre part, Alexandre Nouvion, de Bétheniville et l’ex-architecte Godfrin, – le père Godfrin, l’homme aux cadenettes rival de Bauche senior ; tout deux longs comme un jour sans pain et maigres comme des chacals, à profil mazarinesque, portant beau et consolidé sous perruque et collets noirs.

On peut adjoindre Victor Besnard, lieutenant des Pompiers, à ce duo typique, pour la sveltesse et l’élancé des jambes, minces fûts gothiques comme on en admire d’en-bas au sommet de nos tours de cathédrale, comparables plutôt à des flûtes de boulangerie.

Mariage de Michel Bouchez, d’Heutrégiville, et d’Émilie Bouché, fille de Bouché-Gagnereaux, défunt depuis 1870. Témoins : l’oncle Eugène Bouchez, directeur de fabrication, rue Jacquart, 15 et Philibert Gagnereaux, lainier, esplanade Cérès, 13.

Le patriarche Edmond Givelet, fabricant de tissus place Belle-Tour, marie sa cadette Louise Augustine à Édouard Binet, de Rocroi, avocat nancéien, ami de Raymond Blondel, professeur de droit, et neveu, par cette alliance, de Charles Prosper et Auguste Givelet.

Non loin de là, cet autre fabricant de la rue des Trois-Raisinets, Frédéric Lelarge, associe ses efforts à tant d’autres de nos concitoyens que préoccupe la repopulation de Reims et conjugue sa benjamine Marthe Marie avec le confrère roubaisien François Roussel, d’Amboix-lès-Lille, fils des Roussel-Destombes ! Les deux grandes cités de la laine sont représentées à la cérémonie nuptiale par Alfred Auger, ex-associé de Frédéric, assisté d’un Parisien, Pierre Ernest Brioud, et les deux oncles du Nord Screpel et Roussel

Le Carlier de Veslud, intéressé de commerce, entre dans la danse avec une enfant de Cormontreuil, Mlle Bracq.

Paul Berthe, rue Clovis, 60, avec Mlle Manceaux, même rue, 13.

Et Jules Hourlier, quinquagénaire encore verdoyant, fabricant rue Sainte-Marguerite avec une maîtresse de pension pédagogique, Mlle Fournaise, de Neufchâtel-sur-Aisne.

Et nous nous enfonçons de plus en plus dans la laine et le tissu avec l’éternel jouvenceau que sera Henry Mennesson, né à Reims, le 4 février 1840, des œuvres de Jules Mennesson-Dupont, ancêtre décédé aux Mesneux dès 1874, laissant derrière et à côté de lui un arbre généalogique des plus remarquables où s’inscrivent les noms de 358 descendants et ascendants, – témoignage le plus curieux des puissances de reproduction de certaines familles chrétiennes aux mœurs patriarcales, dont la devise est celle du Christ : Croissez et multipliez !

Le tronc de cet arbre porte le nom de Louis Dupont, époux de Cécile Duquesne, né en 1795, mort en 1872 .

Mais c’est du coton pour fournir à la miche d’une telle postérité ! Le nouvel adhérent à cette propagation de la race des honnêtes gens ne faillira pas lui-même aux traditions, et nombreuse et belle sera sa postérité.

Veuf de Louise Adrienne Cécile Duchâtaux, et père de famille déjà adoré, le bel Henry, au teint de lys, aux yeux d’azur, à la barbe d’un blond vénitien, et aux lèvres sensuelles, passionné et agissant, homme de foi et d’œuvres, plein d’optimisme et de hardiesse, sachant retomber sur pieds aux jours d’épreuves, Henri épouse sa belle-sœur dont il fera une mère touchante dévouée, Marie Joséphine Duchâtaux, fleur printanière poussée dans les jardins de Merfy où résident l’été Victor Émile Donat, son père, et sa mère, une Dupont, rameau de ce fameux arbre généalogique unique en notre ville.

L’hiver, la maisonnée se réfugie au 36 rue Hincmar. Henry Mennesson, qui avait quitté Reims devant l’invasion (1914-1918), y rentre en 1921, pour habiter – en sa verte vieillesse privée de ses consolations familiales par la mort de son épouse et d’un Gonzague, fils patriote mort pour la France sous la robe sacerdotale –, un immeuble personnel de la rue Coquebert, 85. Henry Mennesson est décédé en 1925.

Un autre lainier, adapté plutôt aux œuvres mécaniques de la fabrication, l’ingénieur Victor Marteau, décédé à Reims, en 1924, fils cadet de feu Marteau-Vanier, et industriel à l’usine des Romains (rue Ernest-Renan), épouse Marguerite Blanche Jacquemart, des Jacquemart-Ponsin, place Godinot, 4.

Musicien accompli et fin lettré, Victor Marteau fut un violoniste remarquable et dévoué aux œuvres locales. La bibliothèque municipale de Reims, reconstituée, s’est enrichie d’une partie de sa collection de livres.

Témoins à l’état civil : Narcisse Brunette, architecte de la Ville, l’oncle Henri Paul Jacquemart, négociant en laines, rue du Barbâtre, 22, et ces indéfectibles Rémois rémoisants : le luthier des Guarini, Émile Mennesson ; le juge suppléant et futur doyen du barreau, Louis Mennesson ; et l’ex-fabricant Louis Joly, rue Libergier, 20.

Le berrichon Nicolas Bigot, apôtre de la laine de France, né à Dun-le-Roi (Cher), commis-voyageur en laines, qui rivalisera plus tard, sur notre place avec les Gosme, les Favart, les Pauporté, les Thuillier, les Leget, les Goulet, les Hippolyte Picard e tutti quanti, épouse l’une des plus jolies reinettes de notre 3ème et sympathique canton, un somptueux Titien aux cheveux flamboyants et à la chair d’une Danaé, mûrie par un soleil trente-quatre fois apparu à notre zénith, la belle et imposante Léonie Adélaïde Allognier, fille de ce luron Joseph, établi serrurier-mécanicien rue Neuve, 95, non loin de l’officine du pharmacien Henrot, habitué des aîtres paternels.

Beau couple, admirable entre tous par une plastique digne de la statuaire ! Nicolas avait 43 ans, mesurait 1 m. 75 de haut et possédait une musculature d’athlète, sous un teint brun et chaud. Léonie était pleine de charmes, enrichie d’une carnation à la Montespan, et virile à souhait.

Certain matin, rue de l’Esplanade, où Nicolas Bigot avait établi ses bureaux et magasins, dans une sordide bagnole qui tenait debout par miracle, où il faisait empiler sous des plafonds vétustes un monticule de toisons enrobées et liées, le maître de céans, descendu en cave vers l’heure de midi, pour en remonter la boisson du déjeuner, – une bouteille d’un Fleury-la-Rivière que lui avait fourni, en barrique, son confrère Legros, dégustateur émérite de nos vins champenois –, tarde à réapparaître à la lumière du jour.

La matrone s’inquiète, puis descend à son tour, dans le sombre et humide caveau. Que voit-elle ? Son mari étendu à terre, devant le fût au robinet ouvert et laissant échapper sur le terri son nectar inappréciable : l’homme ne donnait presque plus signe de vie.

Point d’hésitation, ni d’horreur, ni de cris, ni d’appels ! Léonie Allognier s’empare d’un ciseau qui ne quittait jamais le tablier attaché à sa ceinture et d’un geste rapide, fend l’oreille, au lobe même, du moribond. Un jet de sang, la vie renaît avec le souffle, les yeux s’ouvrent : Nicolas est sauvé.

Le vin du fût également, car, pendant que la main droite de l’héroïne coupait la chair encore palpitante, sa main gauche fermait le robinet trop prodigue de son nectar rouge et aromatisé !

À cette union assortie assistèrent, des premiers, le fabricant de molletons Ernest Pochonet ; Charles Catala, lainier qui sera peu de temps après l’associé du beauceron Alfred Gosme, rue Legendre, 4, et l’huissier Delozanne.

La belle Allognier décéda longtemps avant la guerre, dans le faubourg Cérès, là où fut longtemps l’auberge de la Providence, non loin de l’Esplanade ; elle faisait partie des ambulancières de la Croix-Rouge.

Nicolas, resté seul, cessa peu à peu de s’occuper d’affaires et décéda en 1914, quelques jours avant la néfaste guerre.

Il était réputé l’un des plus honnêtes parmi les honnêtes négociants de la place, et l’un des plus compétents. D’une petite fortune péniblement et lentement acquise, il ne lui restait que des bribes échappées aux mains du syndic d’une faillite locale.

Glanons encore quelques souvenirs sur les traces qui vont s’effacer de cette phalange de hardis champions de la famille rémoise : ce solide et trapu Henri Halbardier, 32 ans, d’origine belge, alors commis-quincaillier à l’enseigne Au coin de Saint-Jacques, rue de Vesle, 44, avant d’en devenir le gérant, et qui épouse une demoiselle Barré, veuve Chapellier.

Halbardier sera plus tard, et encore en 1914, directeur du lavoir de laines Lelarge & Cie, rue de Courlancy, avec Menu pour contremaître. Pendant la Grande-Guerre, on le connut président de la Commission de ravitaillement du 1er canton de Reims. Sportif, gymnaste et pirogueur de valeur.

Le capitaine du génie Caruel, d’Albertville (Savoie), épouse Cécile Givelet, sœur de Marie et Louise Augustine, déjà mariées.

Le beau-frère de Henry Mennesson, Paul Duchâtaux, filateur qui créera l’usine de soie et coton au Petit-Bétheny, épouse Mlle Oudin, fille de l’industriel de Bétheniville.

Edmond Rachel, des tissus, rue Cérès, 16, va se marier à Saint-Masmes, avec une demoiselle Cornet.

Et avant d’abaisser le rideau sur ce panorama en réduction des cortèges nuptiaux de l’année, jetons un regard hâtif sur ces silhouettes prises au vol : Emmanuel Petit, 41 ans, fabricant, rue Sainte-Marguerite et Mlle Ponsinet, dont le père est doreur et encadreur au Carrouge ; puis sur cette étoile filante de notre firmament, le méridional Bernard Cistac, artiste-photographe, rue Saint-Jacques, 37, épousant une demoiselle Carrère, de Montréjean (Haute-Garonne).

1877

C’est aux archives de l’état civil, – section mariages –, qu’on peut le mieux consulter le thermomètre du bonheur, ou de ce qui en est l’image, dans la Famille rémoise.

Plus les unions y sont nombreuses, plus se justifient tous espoirs en la prospérité de la cité dans son avenir le plus proche, et se mesure le degré des joies passagères que réserve la vie à ses belles heures.

Le baromètre 1877 est au beau ; la colonne mercurielle du thermomètre s’amincit, grimpant lentement mais sûrement vers le zénith des bonheurs relatifs.

Le bon vin de la récolte champenoise précédente va contribuer à l’entrain et à la gaîté, ainsi qu’à l’expansion de cet esprit léger et vaporeux qui est le don français par excellence.

Avec quel orgueil l’adjoint Henri Henrot va apposer en fin d’année son paraphe illisible sur les recueils-jumeaux où sont relatés, au jour le jour, d’une cursive élégante et réglée, sévèrement esthétiquement uniforme, les nom, âge, profession, demeure, lieu de naissance, ascendance et origine, des nouveaux conjoints, et des témoins bénévoles de ces serments laïques toujours prêtés avec foi par une jeunesse pleine d’ardeur et de générosité, insoucieuse encore des lendemains.

Timides et rougissants la plupart, respectueux des formes et coutumes, les voici sages comme des images. Assis au milieu de leur escorte familiale endimanchée, sur les banquettes larges et chaudement rembourrées du municipe, en cette salle quadrangulaire qui a déjà vu défiler tant de cortèges froufroutants et babillards, – solennelle, brutalement éclairée par les larges baies de la façade sur rue de la Grosse-Écritoire.

Devant leurs regards, le frais panneau allégorique où l’un de nos peintres symboliques a reproduit les scènes bucoliques de l’hymen au temps de nos ancêtres gallo-romains. Derrière, les dos souvent voûtés des aïeux et des pères appesantis sur la banquette de cuir ; là-bas, au fond de la vaste salle, la curieuse mosaïque romaine exhumée de nos Hautes-Promenades.

L’heure a sonné. Tout le monde est présent, invités, témoins et mariés devant l’estrade et la longue table, couverte d’un épais tapis, contre quoi viennent d’apparaître l’officier d’état civil et son secrétaire.

Parfois, après l’appel des coupables et la réponse au questionnaire rituel, qui est un oui émis soit en cocorico sonore, soit en gloussement timide, le maire adresse aux époux et aux parents un laïus frappé à la glace ou fondu à la crème, commençant par le rappel des vertus des ancêtres et se terminant par des souhaits de bonheur dans la fécondité.

Tous se lèvent, libres enfin. Les émotions se donnent carrière jusqu’au marchepied des voitures nuptiales qui vont emporter des estomacs affamés et disposés à l’allégresse vers les tablées chargées de fleurs et de victuailles, où étincelle la verrerie appelée à donner asile aux nectars divins échappés de généreux goulots.

Heure unique, heure décisive, devant laquelle s’ouvrent les portes béantes du destin ! Depuis des siècles, elle sonne sans répit et sonnera jusqu’à la fin des temps civilisés. Après ? L’amour aura toujours sa minute et imposera ses lois à ce qui restera d’humanité vivante !

Butinons avec une curieuse ardeur en cet enclos fleuri où la plus orgueilleuse des pivoines ne saurait éclipser de sa pourpre aveuglante et provocatrice l’humble et caressant violet de la sauge.

Un artiste peintre de talent, parisien dans les moelles et fils d’un talentueux et coquelucheux acteur de la Comédie-Française, Louis Delaunay épouse la jolie et distinguée Rose Bünzli, future vedette de l’Opéra-Comique, pour le moment encore élève du Conservatoire après l’avoir été de son père, le vieux mérovingien chevelu Bünzli, professeur de violon, rue de l’Échauderie, 6.

Bünzli était venu habiter Reims après la guerre, précédé d’une réputation artistique qu’il ne laissa pas déchoir : sans contredit, il fut le meilleur et le plus aguerri des violo-nistes que nos régents musicaux aient jamais entretenus dans leurs bergeries harmoniques.

Tel autre, romantique échevelé auprès de ce classique sobre et sévère, ce Joseph Ginet, cette tête folle et rieuse, si sympathique aux mélomanes amoureux de la fantaisie et de tout ce qui prend allure de bohème amusante, émule de tous les acrobates du violon, pâle reflet d’un Paganini ou d’un Sarasate, le trémolo de ses doigts faisant baver les chanterelles, gymnasiarque ahurissant de la quatrième corde filetée d’argent, caboche à tignasse mal peignée, lèvres écarlates aux chairs épaisses, teint d’abricot de la vallée du Rhône, face plate et large, citoyen débraillé, blagueur et sans souci à la fleur de ses 27 ans, lité plus de jour que de nuit dans un meublé rue de Tambour, 20, – ce Quasimodo des sons harmoniques et de la mentonnière d’acajou a conquis le cœur d’une robuste campagnarde éprise, au temps de Pâques, de son talent giratoire et de sa faconde grasseyante, une demoiselle Rœllinger, de Courtémont-Varennes, laquelle s’était ravisée au moment de coiffer Sainte-Catherine.

Regrettons à jamais cet épisode de la vie locale, car, à peine les noces à la tisane Barbelet terminées, Ginet disparaît avec sa Brunehilde vers les horizons fuligineux de ce Saint-Étienne de Loire où l’on fabrique en série, pour le malheur de nos contemporains, ces joujoux redoutables dont se sert cette armée toujours grandissante du crime qui alimente les rubriques sanglantes de nos gazettes pour concierges et midinettes.

Dans une sphère moins éthérée mais où il se trouve vraiment à sa place, le bouffi Ernest Rondu, aux joues gonflées et écarlates, rasées de prêt et rebondissantes, qui font de son visage épanoui aux yeux de veau à fleur de tête un amas assez semblable à ce que nos charcutiers baptisent : tremblant, sorte de fromage glacé tout en couennes de lard épicé et gainé de bouillon en gelée, – Rondu se décide à prendre femme, – à temps, car il s’approche de la trentaine.

Tout le vieux Reims l’a connu, et un peu du nouveau vraiment, car il n’est mort qu’en 1921, et son cortège funèbre emplit de sa rumeur d’orchestre et de parlotte irrespectueuse la rue de Venise et celles qui conduisent à Notre-Dame et au Cimetière du Nord : il était un bon gros pépère réjoui et bafouilleur, il n’eut que des amis ; son trombone, astiqué soigneusement au tripoli, pétaradait follement aux soirées de la Patte-d’Oie comme aux revues mensuelles des Sapeurs-pompiers.

Pilier indestructible de la Musique municipale, dont il fut à l’origine, un de ces chefs de pupitre sur le tuf desquels reposait la confiance du chef des chefs, Gustave Bazin, Tartarin musical dont le numéro est périmé à jamais, Rondu maniait avantageusement le rabot, la varloppe et la belle-mère en son atelier sonore de la rue de l’Isle où chacun, patron et coteries boit-debout ou pots-à-colle en allées et venues continuelles de l’établi au comptoir à Gadiot le chanteur, à l’angle de la rue Saint-Symphorien, les pieds alertes sur un tapis de copeaux, chantait, sifflait ou condamnait à perte de souffle, dans le brouhaha des camions de teinturiers, apprêteurs ou mesureurs sillonnant sans relâche ces rues étroites, enfumées par la légère vapeur des eaux tinctoriales se poursuivant dans les ruisseaux.

Rondu, avec les ans, allait devenir presque une personnalité en nos temps progressistes où le démos élève au pinacle ou présente à l’appareil photographique de l’actualité ses vibrions les moins attendus ou soupçonnés.

Le jeudi 9 juin 1921, Rondu les Bajoues décédait subitement, après avoir vécu 71 années bien tassées, et sans doute s’estimant heureux d’avoir eu son compte.

Huit jours avant cette fin, il montrait, le cœur attristé, à d’autres vieux débris rémois que le vent capricieux de la victoire avait ramenés sur les monticules calcinés de ce qui fut leur Reims, la cavité de son nombril affaissé et la ceinture lâche de son pantalon.

Pauvre gros ! Enterré avec tous les honneurs dus à son grelot d’officier d’Académie (de laquelle, grands dieux !), à ses fonctions ténues et si peu ardues de trésorier de la Musique municipale, et à ses titres accumulés de membre titulaire de ladite société harmonique et du bataillon des Sapeurs-pompiers, vice-président de la société de se-cours mutuels : L’Humanité, époux regretté de Mlle Gan.

Rondu avait parfois la blague macabre. Un jour que légèrement éméché au sortir du débit Rolin, rue Rogier, où l’on avait vidé entre voisins plusieurs chopines de rouge de Cauroy-lès-Hermonville, il était entré en coup de vent, face violette et lèvres en éruption, dans un atelier de triage de laines, rue des Moissons, au peignage Isaac Holden, pour serrer la main à son collègue tromboniste Henri Cadot, lequel s’acheminait vers la triste fin des tuberculeux, quand celui-ci, surpris de cette visite impromptue, lui demanda à brûle-pourpoint : Tiens ! mon vieux fromage de couenne, que viens-tu faire en ces lieux ? – Eh ! eh ! riposte le terrible joufflu, j’y viens prendre la mesure de ton cercueil !

Tous deux d’ailleurs devaient disparaître en musique de notre circulation pour être conduits processionnellement à leur dernière demeure avec accompagnement en sourdine de la traditionnelle Marche funèbre de Chopin.

En pareille circonstance, Gustave Bazin fut obligé de se parjurer : n’avait-il pas promis au tromboniste Cadot de faire jouer par ses musiciens, à l’arrivée de sa dépouille mortelle au Cimetière du Nord, l’une des plus entraînantes polkas de son répertoire !

Ah ! Ils l’avaient joyeuse et funèbre à la fois, la blague, nos vieux Rémois, en ces allègres temps à jamais périmés sous le sceau tragique de la Grande-Guerre !

Cet autre musicien aux Pompiers, et de cette même équipe trombonnière, Émile Carette, 25 ans, peintre en bâtiments, portes et persiennes, rue d’Anjou, 8, entre par le mariage dans le paisible foyer des époux Guérin, tapissiers rue des Fusiliers, 10.

Le jeune ménage établira ses pénates au 38 de la rue Marlot, dans l’immeuble appartenant aux parents de la mariée, puis s’en ira s’installer définitivement rue de Thillois, non loin de la chapelle privée vouée au culte de Vénus, où avait exercé si longtemps la prêtresse Désirée, morte tragiquement, sous le couteau d’un assassin.

Deux jeunes déesses de la bourgeoisie rémoise pénètrent d’un pied ferme et léger dans le champ de l’administration préfectorale française, refuge parfois des plus notoires recalés de concours : elles visaient simplement la maîtrise de ces salons où sont appelés à fréquenter les hauts fonctionnaires de l’État.

L’une d’elles associe le nom des Brimont à celui des Laizer, moins connu mais de généalogie plus ancienne : Yolande, fille d’Adrien de Brimont, épouse à Meslay-le-Vidame (Eure-et-Loir) un ex-sous-préfet à particule nobiliaire, marquis d’âge mûr...

Mlle Lucie Ohl, fille de l’industriel de la rue de Bétheny, liera son sort à celui du sous-préfet de Blaye, Stouls.

À nous, chapeaux à plumes et à claques, minces fourreaux à la fine épée flexible, jamais dégainée, pantalons raides et sans pli à bande blanche, jaquette arrondie aux palmes argentées !

La fabrique, le gros et le menu commerce, le doctorat et la phormacerie, la judicature et les petits métiers se mettent en branle.

En tête, le quincaillier, Alexis Émile Archambault, du faubourg Cérès, 12, en ce haut immeuble où s’installeront plus tard les presses du Franc-parleur rémois et de la Voix du Peuple, voire l’Armée du Salut, et où habitera le professeur d’agriculture Moreau-Bérillon ; il épouse Clémence Marie, fille de l’ancien épicier de la rue de Cernay, Marchand-Limoges.

Le bel et frisé Charles Cordier, fuselé et haut comme la Tour Saint-Jacques, commis-greffier à la justice de paix du premier canton, rue des Carmélites, 21, et Mlle Tourtebatte, de la cour Morceau.

Camille Schneider, successeur du pharmacien Jules Henrot, rue Neuve, 75, épouse une alerte brunette de 22 ans, Eugénie Esteulle, fille de Esteulle-Müller, l’un des créateurs et protagonistes du peignage anglais à Reims, rue des Moissons.

Aux mêmes Pâques fleuries a lieu le mariage d’un espoir de la Faculté, ce docteur Moret, dont le père tenait un débit de boissons à l’angle du boulevard Cérès et de la rue Houzeau-Muiron. Mort jeune, Moret a laissé le souvenir d’un des meilleurs praticiens et diagnostiqueurs que notre école de médecine ait engendrés...

Tragique, sera d’autre part, la fin de ce Camille Rogelet, qui, à la fleur de l’âge et au seuil d’une vie lumineuse et embaumée de ses plus doux parfums, parsemée de fleurs et de ris, épouse l’héritière cossue d’un de nos plus importants négociants en tissus, Berthe Radière, sortie du pensionnat des Oiseaux et qui échange la cage paternelle contre la cage conjugale.

Joies, festivals et astragales de ces années d’abondance promises dureront, hélas ! ce que durent les roses. Les affaires sont les affaires, et malheur à celui qui perd le nord ! Plus on s’est élevé dans les considérations des hommes, plus alors la chute sera profonde et la fin cruelle !

D’autres fiancés seront plus heureux, et ces Daphnis et ces Chloés éprouveront l’ultime allégresse de se retrouver, côte à côte, aux confins de la vieillesse, transmués en glorieux Philémons et en victorieuses et altières Baucis !

Tels Alfred Hourblin, des tissus, rue du Cloître, 6, et Mlle Déhu, du boulevard Cérès, 7.

Henri Lanson, des champagnes, 25 ans, impasse du boulevard du Temple, et sa voisine Caroline Clémence Marie Lelarge, à qui les âges renvoient les échos des flons-flons du Bal-Besnard, sis anciennement sur l’emplacement même où vont se fixer les pénates et les destins de ce nouveau ménage, qui entre dans la vie sous les plus riches auspices.

Et à leur suite, Ferdinand Lambert et la jeune Palloteau.

Georges Gabreau et Mlle Poincenet, toute rondelette et joyeuse.

L’immense Jeanson, un futur as de la fabrique, tête ronde, moustache à la gauloise et gros yeux à fleur de tête, demeurant rue d’Anjou, 12, qui a conquis le suffrage et la main de Mlle Clément, au 10 de la rue des Telliers.

Une marieuse en renom de la rue du Bourg-Saint-Denis, 24, Mme Andrieu-Appert ajoute à son tableau de chasse les noms de Georges Morand, son neveu, courtier en blousses et filés, rue Neuve, 49, affligé d’un pied-bot, et l’impérieuse beauté campagnarde Louise Liégeois, fille unique d’un gros cultivateur d’Hauviné (Ardennes).

Jacquier, du Louis XV, veuf prématuré à 30 ans, reprend femme en Normandie, à Limeray.

Le sexagénaire Pierre Olin, dont la femme est morte de la veille, n’attend pas d’avoir détaché le crêpe noir de son haut-de-cale pour se présenter à nouveau devant M. le maire et M. le curé de Saint-Jacques, accroché au bras d’une dame Marthe de 37 ans, répondant au nom euphonique d’Agrappart.

Le fils du père Reigneron-Allain, tailleur sur mesure, rue du Bourg-Saint-Denis, 111, à la barbichette conquérante, est, tout comme son pétulant paternel, un jean-bout-d’homme, et il se conforme à la règle établie depuis des siècles en épousant une jeunesse qui a la tête et le chignon de plus que lui, une demoiselle Lemoine, originaire d’Argenteuil, pays d’asperges.

Jean Halewaeters, maréchal-ferrant à l’angle des rues Clicquot-Blervache et Faubourg-Cérès, qui a marié peu de temps auparavant sa sœur au pétulant Édouard Grand’barbe, se décide à son tour à dire adieu aux vieux copains qui faisaient avec lui la partie de piquet chez le cabaretier d’en face, Baillot, et rompt avec ce monotone célibat : il a déjà 39 ans, le moment est venu de bien faire, en laissant dire. Mlle Caurette, de Courcy, est de son avis et voici un foyer de plus en nos murs, un solide, avec des murs qui ne seront pas en torchis.

Une jeune directrice d’asile tout récent au boulevard Carteret, Mlle Mathilde Deschamps, se fait le truchement matrimonial par quoi, Briquet, professeur au collège de Vitry-le-François, deviendra citoyen rémois et générateur de sous-Briquet en notre cité avide d’aimer et de choyer le plus grand nombre possible d’enfants. Bonne acquisition pour le Lycée, qui s’empresse d’accaparer ce couple bien assorti et devant lui faire honneur !

Le sculpteur Wendling, rue des Anglais, 17, ramène de Pontfaverger Mlle Lacomme pour l’assimiler aux autochtones.

Le bel et imposant Georges Dauphinot, vedette de la jeunesse bourgeoise de notre ville, fils de l’ex-maire devenu sénateur, rue du Cloître, 15, épouse en grande pompe à Paris, rue de la Faisanderie, la fille du général Appert, ambassadeur en Russie.

Lisons encore sur le tableau des mariages apposé contre le mur intérieur du vestibule, à l’Hôtel de Ville, tout près l’antichambre où stationnent les appariteurs, les noms de l’avocat Paul Laignier, 26 ans, impasse Saint-Pierre , et Marie Léonie Simon, 21 ans, des peintres-décorateurs de la rue de l’Université.

Gustave Adolphe Haueur, médecin, et Mlle Grisard, de Pontfaverger. Le quartier Saint-Julien sera en fête et en rumeur pendant les jours qui précèderont la cérémonie nuptiale à Saint-Remi, car les parents du marié sont des citoyens forts connus de la rue Saint-Julien, où ils louent en meublé, pas trop cher et à des ouvriers de la fabrique, sur l’emplacement de l’église Saint-Julien, disparue à la Révolution, et que le bombardement a remise à jour, en partie.

Fléchambault va avoir aussi ses heures de liesse et de brouhaha ; il y aura foule au seuil du Bal-Français à l’instant solennel où le jeune Henri Bellavoine, revenant de la chasse, présentera aux familiers et au voisinage sympathique son épousée rougissante et tout de blanc vêtue : Mlle Leroy, fille du populaire détaillant de biftecks de canasson, rue Neuve.

Dans ce quartier sociable où tous, petits et grands, riches et pauvres, idiots ou intelligents, lettrés ou ignorants, simples et superbes, bancals, bancroches, borgnes, tigneux, licheurs ou buveurs d’eau, dévots ou mécréants, anciens bonapartistes ou néo-républicains, graine de socios ou figurants de sacristie, se saluent, s’abordent le sourire aux lèvres, s’entre-défendent, s’entr’aident ou s’entre-mangent, en rigolade, pour de rire ; ces unions locales, d’une rue à l’autre, sont de mode et ancrées dans les mœurs.

La guerre a eu beau fracasser toutes ces vieilles demeures et disperser aux quatre vents de l’exil leurs habitants ! Tous les survivants sont là, impulsifs et amitieux comme devant, sans façons et, comme la mère Angot, forts en g… plus qu’en biceps, reprenant coutumes et méthodes ancestrales, et celui qui a vu, entendu, qui sait, retrouvera là, intacte, la physionomie de Par-en-Haut, telle qu’avant la tourmente : là, on sent battre le cœur de Reims, et là notamment, on retrouve le langage, les visages et les gestes d’antan !

La noce à Bellavoine scellait une fois de plus l’alliance de Fléchambault avec la grande rue centrale qui relie la cité de Saint-Nicaise à la ville des archevêques.

Constant Bellavoine et Leroy père, fiers de leur progéniture et de la situation sociale qu’ils ont acquise à la force du poignet dans ce quartier de purotins travailleurs, ne se possèdent plus ; c’est un délire !

On dansera deux jours, et deux nuits s’il le faut, sous l’ancienne tente du Bal-Besnard transplantée en ces lieux aquatiques et riverains du Canal et de la Vesle, au son du crin-crin et du tambourin, au vacarme de l’orchestre où trône Alexandre Boulogne, piston réputé, enfant du quartier, sous l’archet tremblotant et à la mèche amaigrie du père Dubois, gringalet à moustache argentée, dont le programme s’orne de danses assorties, mais où brillent en première ligne la Polka du Hameau et la Polka de l’Enclume, musique de Parlow, morceaux obligatoires et réclamés par nos titis et nos gustines de Tournebonneau, des Tuileries, du Pistolet, et rues adjacentes.

À tour de bras, l’enclume raisonne, marquant le pas en crevant les tympans, et couvrant de sa voix de fer les cocoricos du trombone, les beuglements de l’ophicléide, les coins-coins de la clarinette, et le grincement des cordes de l’unique violon, dit conducteur tout en ne conduisant rien ; car là, comme en d’autres lieux, le chef suit le soldat. Le plus étrange, c’est qu’on ait confié à la petite-caisse, breloquée par l’efflanqué et déplumé peintre en bâtiments Louis Coutier, caliborgne au nez pointu en pierre à aiguiser les faux, qui frappe d’un marteau têtu l’enclume mal ensoclée achetée jadis à la mère Mairesse, chiffonnière rue Neuve, ou à la mère Turpin, du faubourg Cérès. Constant n’aurait-il pas dû embaucher quelque forgeron ou serrurier du quartier pour accomplir cette besogne ? Beaumarchais aura toujours raison.

Reims se peuple de nouvelles recrues : Louis Alfred Plateaux vient de Faverolles pour reprendre la charcuterie de Pruneaux, rue de l’Université, 25 , et installer au comptoir sa voisine Zénaïde, fille de Gaudefroy-Gatinois, d’Aumenancourt, cabaretier au coin de la rue des Murs. Bon vin de pays, billard à bandes complaisantes, clients assortis et recrutés aux alentours, fidèles et bien payants !

Si Plateaux n’a pas de bossus dans la famille, il va en avoir un, en la personne réjouie et spirituelle de son beau-frère, dont l’épaule droite surmontant l’épaule gauche recèle en sa convexité des trésors d’ironie et de gaîté, et dont le bout des doigts fourmille sous l’esprit qui y afflue.

Une figure bien rémoise et bien connue dans la corporation des employés de bureau, Édouard Callaudeaux, 29 ans, fils des Callaudeaux-Caillet, vanniers, rue Marlot, 2, épouse une jeunesse du même âge, Euphémie Hortense, belle et grande, blonde comme un champ d’épis en messidor, fille du quincaillier Ledru-Bertin, rue Neuve, 28, auquel succèdent Thibault et Hayon-Védie, – ce dernier mort à Reims, en 1917, et remplacé par les Syren.

Un grand nom rémois ! Une grande famille rémoise, liée aux Goulet du champagne de la laine : le spirituel et actif Henri Picard, – fils de l’ex-avoué Paul Picard, et neveu de ce lainier émérite, Jules Picard, en même temps que du patriarche au teint rose et au collier blanc Henri Goulet –, épouse Louise Baudet, 21 ans, fille de Hubert Baudet-Le Roy, notaire, rue de Vesle, 21.

Henri Picard allait commencer la plus belle carrière à laquelle on put prétendre dans les laines et devenir le rival et l’émule à la fois des hautes firmes qui menèrent au loin la réputation du textile rémois, les Wenz et les Gosset, avec les Prévost, entr’autres, – carrière toute d’activité et d’esprit d’entreprise, interrompue prématurément en 1909, à la suite d’une crise néphrétique, alors que Henri Picard venait à peine de dépasser la soixantaine.

...Et l’on aimerait, à la suite de ces noms fort connus, les autres n’ayant jamais émergé jusque-là de l’ombre épaisse du prolétariat anonyme, aligner et subodorer à la trace tant d’existences éphémères, associées au destin de Reims, qui aidèrent à sa grandeur et assistèrent à son noble martyre... mais il faudrait consacrer une vie entière, de l’encre à flots, des plumes à discrétion, en acier, comme les doigts qui s’en serviraient, du papier azuré par rames, avec une patience de bénédictin soutenue par un renfort de bénédictines ou de chartreuses !

1878

Et c’est de ces éléments distractifs plutôt restreints que les jeunes couples nouveaux de l’année vont se gargariser aux lendemains éblouis de leur union, alors que la lune de miel éclaire de ses pâles reflets les sentiers remplis d’ivresse de leur aurore conjugale.

Parmi ces heureux à qui l’avenir mystérieux et souvent décevant ouvre les portes de ses mystérieux arcanes, on peut sans risquer d’écorner la vraisemblance, citer tels et tels dont les papas sont venus au monde avant eux et qui trouveront à glaner dans leurs bourses de voyage nuptial les petites sommes nécessaires à chacun pour payer sa place au théâtre de la vie rémoise, – notamment ceux-ci aux noms bien connus :

Ce bon gros Fleury, vermillon et réjoui, à la tignasse blonde frisée, Étienne pour les dames, Alexandre pour les messieurs, pharmacien au 91 du Bourg-Saint-Denis. Né en 1849, comme Albert Dazy, comme Gustave de Bohan, comme Henri Dallier e tutti quanti, à Corbeny, du chapelier Fleury-Bocahut, il épouse une brunette sémillante et intelligente : Henriette Élise Deborre, fille aînée de Jean Henri Deborre-Sens, ex-fabricant de chapeaux de paille.

Président à la cérémonie nuptiale : un oncle, Jean Pascal Deborre, dans les paillons également, place des Marchés, 34 ; Nicolas Martin, cabouletier de 4e zone au faubourg de Laon, et, côté médicaments et aliments de chauffage pour faire bouillir la marmite conjugale, le vieux Camille Dubourg-Maldan, directeur de l’École de médecine, rue des Capucins, 25, et le confrère Goubaux, rue de Tambour, 16.

Quand Deborre père eut marié sa cadette au pâtissier Dalit, À la Renommée des Brioches sans vaseline (affirmait-on !) il se retira de la vie bruyante du centre pour terminer ses jours là-haut, à la Haubette en une véritable thébaïde.

Saluons un nom voué aux destins les plus honorifiques (qui l’eût cru ?) : Roche (Eugène et Casimir), fabricant de bascules, rue du Bastion, 5, né à Braine en 1851, de Léon Roche-Labarre, marchand de nouveautés, prend pour épouse Augustine Louise Froment, native du faubourg de la Chapelle, à Paris, en 1857, de Charles Toussaint Froment-Coutte, fondeur.

Leur fils Charles Roche, devait être le premier maire de Reims d’après-guerre en 1919. Roche père fut mêlé longtemps aux luttes politiques locales, étant l’une des personnalités les plus agissantes du parti radical à Reims.

Les témoins à ces noces furent le frère aîné Léonor Émile, l’oncle Alexandre Coutte, cheminot de l’Ouest, au Havre ; Julien Lefebvre, marchand de vins à Vanves-Malakoff et Ernest Bailly, des Bascules et Balances, avec série de poids, à Paris, 4, rue de la Ferronnerie.

La laine s’empresse dans les sacristies paroissiales pour serrer les mains à ces jeunes tendrons que nos curés ont arrosés de leurs bénédictions : d’abord, le bel et rose Endymion aux cheveux d’or, Olivier Zhendre, veuf de Blanche Collet († 1875), lequel prend en secondes noces Alix Constance Varin, fille de Varin-Cellier et belle-sœur de Stéphane Ducancel. Zhendre est associé au poussah Barbier, rue de l’Avant-Garde.

À la suite, le pétulant et sympathique placier de la maison Wenz, Moyen, 23 ans, fils de ce Jean-Baptiste Moyen, impasse du Parvis-Notre-Dame, 7, qui servait sous Henri Gavroy et Joseph Hubert, au Lion-d’Or ; sa femme sera une demoiselle Marie Génin, fille de feu Louis Génin et Marie Pellier, ourdisseuse.

L’oncle Génin, savonnier, rue de Venise, 63, fournira au lavabo. Quant à Émile, frappé de veuvage, il s’en guérira en épousant la pimpante soubrette Simonnot, fille d’une ouvreuse à notre Théâtre et tenancière du bureau de location des spectacles, rue Tronsson-Ducoudray.

Dans les laines également, la souche Payard avait donné naissance à celui qui porta aux nues la réputation des cristalleries de Baccarat, Charles Émile Payard, qui, veuf de Marie Bichelberger, décédée à Étival (Vosges), se remarie avec Louise Guyotin, rémoise pur sang, fille de Victor Guyotin-Ragot, ex-fabricant de couvertures, rue du Cardinal-de-Lorraine, 17.

Témoins : le préposé en chef aux octrois, Coutier, le teinturier Georges Bellot, le docteur Edmond Seuvre et Garnot, fabricant de cardes, rue de la Peirière, 8.

La fabrique rémoise fournit ses inscrits à la conscription conjugale de 1878.

Au premier rang, un futur maire de Reims, Maurice Noirot, rue des Filles-Dieu, 10, et Marie Amélie Hennegrave, de Bétheniville.

Noirot était originaire de Brelan-sur-Ource (Côte-d’Or) où son père exerçait le commerce de laines brutes en qualité d’acheteur à commission pour la firme Ad. Prévost & Gosset. Adolphe Prévost attira le jeune homme à Reims pour en faire un placier en blousses et peignés. Les débuts furent assez pénibles et le père La Perruque, en l’espèce Adolphe Prévost lui-même, mauvais juge, alla jusqu’à dire de ce néophyte qu’on n’en ferait jamais rien.

Motif de cette appréciation sévère : le jeune attrape-science n’avait pu, du premier coup, acquérir le tour de bras indispensable au fonctionnement parfait et régulier de la corde sans fin ajustée à la calande, et au moyen de laquelle les trieurs ou garçons de magasin font parvenir aux étages les balles de laine. On était dur aux jeunes en ces temps-là !

La preuve de sa valeur devait être fournie par l’alerte et avisé Bourguignon, qui fut l’un des plus notables fabricants de tissus à Reims, en coopération avec Frédéric Lelarge, et devint maire de notre ville.

Avant son mariage, Maurice Noirot fréquentait la pension alimentaire de la mère Gélu, rue Nanteuil, fameux restaurant où, de son temps, la table était présidée par le fastueux et irrésistible Christian, de la maison Goulden, assisté et entouré de ses collègues sympathiques : Benjamin David, de la firme Marteau frères, ex-1er prix de violoncelle au Conservatoire de Strasbourg, sa ville natale, – Félix Pilton, dit Tonton, amateur d’art éclairé et boute-en-train des Jeunes-Reims mondains, – Joseph Rémond, bourguignon de Bussy-le-Grand, – et ce musicien renommé Ernest Lefèvre, – Charles Stenger y apparut plus tard –, ainsi que d’autres lapins des plus fameux, qui tous firent honneur au clapier rémois. Bartès le bouchonnier en était aussi.

C’est vers cette époque que le juge suppléant à Rethel, Henri Jadart, nommé en cette même qualité au siège de Reims, vint fixer ses pénates dans notre ville et y épouser Mlle Marie Givelet : il y finit ses jours studieux et loyalement remplis, en 1922, au poste de conservateur de la Bibliothèque municipale .

Également à cette heure poussait ses premiers vagissements un enfant du IIIe canton qui, de nos jours, est à la tête du plus important organe de publicité de notre ville et directeur-propriétaire de l’Imprimerie Centrale, rue du Clou-dans-le-Fer, 11. Ce self man était d’origine des plus modestes, et s’en glorifie justement.

Son aïeul, Vincent Philippe, était habitant de Villers-sous-Châtillon, où, avant la Révolution, il épousa une jeune paysanne attachée à la domesticité du marquis Philippe de Villers. Le premier fils issu de cette union, Simon Gabriel, fut, de nos jours, boulanger rue des Créneaux, où le populaire l’appelait familièrement marquis, sans doute en souvenir de l’aïeul de Villers.

Son épouse s’appelait Alice Léontine Rogé ; elle fut la mère de Eugène Philippe, ancien boulanger, actuellement vice-président du Bureau de bienfaisance, à Reims, et du cadet de la famille, ce Rémois de premier jus, né précisément en 1878.

Jean-Baptiste Cavarrot, 26 ans, contremaître de peignage à l’usine Victor Rogelet, rue Saint-Thierry, né à Souillac (Lot) de feu Pierre Cavarrot, des chemins de fer de l’Est (mort accidentellement en 1876) et Théola (Pianola-Ocarina) Marie Hermenge, 18 ans, née à Lorient, pays de la sardine, d’un musicien à l’oreille dure, Auguste Hermenge, sous-chef de musique militaire en retraite, directeur de la remarquable Harmonie des Petits-Frères de la rue du Jard, et de Julie Guillaume. La mariée a pour cousin Claude Guérin, cultivateur et maire à Saint-Morel (Ardennes).

Camille Rousselle, employé des tissus, rue de Pouilly, 4, 26 ans, né à Auménancourt-le-Petit, – et la cadette des demoiselles Poissinger-Charpentier, Blanche Louise, 20 ans, rue Cérès, 36. Tous deux ont l’heur d’être des reconstituants de Reims et habitent en 1927, leur confortable immeuble à l’angle rues des Murs et Ponsardin.

Mlle Poissinger l’aînée, avait épousé Alexis Baudet, violoniste et commissionnaire en tissus.

Aux noces de Camille assistent Ernest Boucton, épicier à Pontgivart ; Narcisse Farre, des champagnes, de la gymnastique et des Sauveteurs ; Prosper Bourbon, bouchonnier à Reims, et surtout Clovis Rousselle, maître tisseur à Auménancourt qui faisait le messager entre ce village et les fabriques de Reims, notamment chez Charles Godet, où on lui remettait, en échange des pièces faites, les canettes de trame et les chaînes collées pour tissage.

Ce trafic dura des siècles, aussi bien pour les peigneurs à la main de la laine que pour les trameurs, fileurs et tisseurs de la banlieue de Reims, centre industriel de premier ordre.

Avec les progrès de la force électrique, peut-être reverrons-nous cette industrie pastorale et villageoise renaître dans nos régions, grâce au travail mécanique à la maison, si hygiénique et salutaire !

Un jeune auneur de tissus, Louis Protin, fils de Protin-Chardon, épicier-buvetier, rue des Trois-Raisinets, à l’angle de la rue de l’Isle, devient gendre du chanteur populaire Gadiot-de-Saint-Martin, en épousant Marie Éveline, de la rue des Cordeliers, 13.

À la barre de l’état civil comparaissent les oncles et frères Chardon, maçons en Dieu-Lumière ; cet autre Chardon, mâle superbe pourvu d’une barbe de fleuve blonde comme les blés, haut de 1 m. 80, sapeur porte-hache, aux Pompiers sous bonnet à poil et tablier de basane blanche dont l’épouse exploite, rue du Jard (angle rue Marlot), le fonds, jadis tenu par la veuve Protin, de mercerie, jouets, pièces d’artifices pour moutards, pourvoyeuse attitrée des gamins du quartier en fusées vessantes et pétantes, soleils, crapauds, romaines, flammes de Bengale et bougies de Noël, et autres éléments d’allégresse aux jours de premières communions ou fêtes publiques, impériales ou nationales.

Les Esteva continuent à faire souche de bons et indéfectibles Rémois. La majeure partie de notre meilleure citoyenneté est faite de ces alluvions.

Pierre est né à Épernay en 1853 de François-de-Paul Esteva-Menuet, lequel vint installer, vers 1860, ses pénates dans la rue du Barbâtre, 93, avec son outillage de bouchonnier. Il épouse Héloïse Collin, 22 ans, fille de Hubert Collin-Millet, marchand de laines dont les affaires ont prospéré aussitôt la guerre 1870-71 terminée, et qui a ses bureaux et magasins de blousses rue de l’Écu, 16.

Collin-Millet, qui a pour associé son frère Julien Collin, beau-père d’un lieutenant aux 132e de ligne, Bléger, eut la fantaisie de créer à Cernay une propriété comportant maison d’habitation et vaste jardin à fleurs et légumes. Comme l’eau potable était difficile à se procurer dans le village, il fit construire un élévateur hydraulique avec roue à ailettes fonctionnant sous le vent. Le coût de l’entreprise se révéla comme devant dépasser les devis prévus, et Collin ne put se retenir d’avouer soudain à ses amis qu’il avait fait une folie, – d’où ce surnom de Folie-Collin que l’on donna dès lors à ladite propriété.

Pierre Esteva est décédé pendant la guerre , mais sa veuve et ses enfants sont venus après le grand exode réhabiter leur immeuble reconstruit, avenue de la Suippe, à proximité des ateliers de bouchonnerie qu’ils exploitent rue de Chevigné.

Des parents et amis qui signèrent à l’état civil à l’occasion de ce mariage, il ne reste plus que des noms et des souvenirs, s’effaçant peu à peu de la mémoire des survivants pour disparaître en dernier ressort à l’extinction de la race.

Ils étaient quatre, comme dans la chanson : l’oncle Julien Collin, chevalier de Thélème, dégustateur émérite de nos crus champenois devant l’Éternel et le comptoir de Rolin, rue Rogier ; âgé alors de 50 ans, il habitait rue de l’Avant-Garde, 2 ; un autre oncle paternel, Jean-Louis Collin, meunier à Vouziers ; le bel et imposant Noblesse, orgueil de la Chambre des huissiers, et M. Barbier, fabricant de poudrette, priseur émérite, habitant boulevard des Promenades, 71.

Eh ! eh ! voici qu’apparaissent les silhouettes bien vivantes et bien rémoises, chéries des musiciens et des bouquineurs : Péria et Grandvalet !

Alfred Péria a 27 ans et professe le piano au n° 46 rue du Bourg-Saint-Denis. C’est lui qui vient de reprendre la salle Besnard à son compte.

Il est de petite taille, replet, teint frais et coloré, vif d’allures, le verbe jeune et pétulant, les gestes amicaux, joli de figure. Le bon petit type, et combien sympathique !

Il avait servi pendant la guerre, sous Faidherbe, à l’armée du Nord, en qualité d’engagé volontaire au 20e chasseurs à pied, avec les lainiers Jules Toussaint, Jules Dupont, Charbeaux, Émile Vermonet le peintre, d’autres encore.

Son père, Gérard Péria-Gillet était raccommodeur et marchand de souliers rue de l’Écrevisse, 13.

Veuf depuis peu de Marie Évrard, le jeune Alfred ne peut supporter l’isolement et prend une seconde femme qui sera la brune et accorte Marie Félicie Draveny, 19 ans, fille de Draveny le cultivateur en Dieu-Lumière, et qui a le sac, ce qui ne nuit jamais, surtout quand on prend de l’ambition et qu’on va se lancer dans une affaire chargée d’aléas, comme l’entreprise de bals de noces et sociétés, concerts, conférences et autres machines compliquées.

Son frère Jean-Baptiste, dépositaire de machines à coudre, rue de la Peirière, 19, et l’oncle Liénard Alexandre Draveny, garde champêtre au moulin d’Huon, lui prêteront leur concours le cas échéant, l’un en faisant le service d’ordre rue Buirette, à la salle Péria, aux jours espérés d’affluence, l’autre en faisant de la réclame-double. Pourtant, l’affaire devait péricliter, afin de faciliter les voies à ce nemrod, Jény, de Beine, à la jambe de bois, qui devait lui rendre toute sa vigueur .

Quant à Grandvalet, Victor dit Virgile, ou réciproquement, qui ne l’a connu à Reims, jusqu’aux heures mêmes de la guerre et du retour au foyer ?

Qui ne s’est arrêté de longs instants, longs et courts à la fois, devant ses éventaires de la rue du Bourg-Saint-Denis, 41, puis à l’angle du Théâtre, dans la boutique où on avait vu Villat le chemisier et où on devait voir à son tour le tailleur Bocquillon, dont le fils est actuellement installé à Cannes, rue d’Antibes ? Éditions rares et coûteuses, dont nous nous contentions d’admirer le grain du papier, le florilège des titres et faux-titres en couleurs, et les réclames tapageuses. À l’intérieur, les livres pour bibliothèques privées, ces petits bouquins graveleux qu’on ne met pas dans les mains des jeunes filles, et que tout amateur qui se respecte doit placer dans le tabernacle de sa librairie.

Vous rappelez-vous, acheteurs discrets, la coquette et minuscule édition du Gamiani dû à la plume fraternelle et associée de George Sand et Alfred de Musset, – œuvre délicate auprès de laquelle le grossier et vulgairement aphrodisiaque Portier des Chartreux avec gravures de renfort, n’est qu’un appât disgusting and shocking, oh ! yes ! aux concupiscences de gamins vicieux.

En concurrence chaude avec Michaud, le père Grandvalet, érudit et fouilleur avisé, fut la providence de nos collectionneurs rémois, fins lettrés à la tête desquels on peut sans flatterie classer le sénateur Victor Diancourt, donateur généreux à notre Bibliothèque municipale d’une des plus richissimes et précieuses collections d’œuvres modernes et de reliures, avec gravures et dessins coloriés sortis des doigts de nos meilleurs illustrateurs, dont Eugène Auger.

Si tous les grands bourgeois que le champagne, la laine et cent autres industries ont enrichis dans Reims s’étaient constitués les mécènes de nos collections et de nos établissements philanthropiques municipaux, notre ville eût pu se flatter d’être l’une des plus huppées en œuvres d’art et revenus hospitaliers. Il y eut malheureusement trop d’abstention !

Lors, Grandvalet a 25 ans, il habite une maison toute basse, avec un seul étage et mansarde avec grenier, sous les tuiles, vis-à-vis la demeure de la Gazette du Bourg-Saint-Denis, alias Mme Andrieux-Appert.

Sa future est une mince et fluette Rémoise ; un visage au teint pétri de lys et de roses, aux yeux candides, un Gainsborough échappé de son cadre, la belle demoiselle Amanda Berthe Labassée, âgée de 23 ans, fille de feu Labassée-Savoye, rue des Capucins, 113.

Grandvalet aura deux beaux-frères : Arthur, rue Cérès, 61, et Édouard, rue des Carmes, 6, celui-ci comptable, l’autre, Labassée-Fleury, lamier et marchand de colle de gélatine.

Le petit père Grandvalet-Morlet, pas plus haut qu’une botte de garde national à cheval et ex-officier supérieur de ladite arme mobile, en 1848, avait été libraire et se retira des affaires en un petit local, bien à sa taille, jadis habité par Lacatte-Joltrois .

On se rappellera cette tête rasée, au menton en galoche et au nez de perroquet, plantée sur un long buste raide comme un piquet de tente supporté par deux petites jambes en cerceau, entre lesquelles un gosse du Jard aurait pu passer sans encombre.

Lui, Victor, était également de petite taille, et son sommet aux cheveux plaqués atteignait à peine aux aisselles de sa dulcinée. La loi des contrastes a ses exigences auxquelles Virgile Victor se soumettait sans rechigner.

Un temps, Grandvalet tint le haut du pavé comme lanceur de journaux à un sou dans nos rues : il avait assuré à Reims la fortune et la popularité du Petit Parisien. Lorsque le lancement fut terminé, on le remercia poliment de ses services, en le remplaçant, sans indemnité. Et allez donc ! Ce lui fut un coup dont sa santé se trouva un moment compromise !

Il quitta la prospère boutique accolée au Théâtre et s’installa rue de Vesle, dans une partie de cette propriété des Lévesque de Pouilly, d’aspect si nouveau en 1928 !

Grandvalet se confina en ce lieu dans le commerce des livres rares, et sa boutique vit défiler tout ce que Reims abritait en son sein de rats de bibliothèque et d’amateurs d’éditions de luxe.

Ses rayonnages avaient pris là la place d’une rôtisserie où jamais la Reine Pédauque ne risqua ses costumes ni son chapeau pointu, mais devant laquelle plus d’un pauvre hère affamé et concupiscent venait, aux heures propices, manger sa trique de pain bis en humant les parfums grassouillets de la rôtissoire rougeoyante.

Cet établissement alimentaire était en avance sur les temps, et comme certains enfants précoces, mourut jeune. Pourtant, on pouvait se procurer là, à un prix qui serait de nos jours une aubaine consolatrice, telle ou telle volaille de Bresse ou du Mans dont nos badigoinces auraient volontiers constitué leur pitance ordinaire et hebdomadaire.

Hélas ! les heures bénies de la poule au pot se sont évanouies dans l’immensité des horizons stellaires, que nos ailes ne sauraient franchir ! Grandvalet avait un oncle, Jean-Baptiste de Larne, qui était bourrelier au faubourg de Laon, nº 6, aussitôt le pont du chemin de fer et la nouvelle rue Lesage.

Une délicieuse voix de baryton d’opéra-comique sortait du larynx de ce bilot de Saint-Remi qu’on appelait Jules Fort, apprêteur de son métier et qui, au jour de ses noces, habitait rue des Créneaux, 23.

Soyons reconnaissant à cet utile orphéoniste du concours gracieux, – comme disent les affiches et les communiqués de presse –, qu’il nous prêta un jour qu’étant, – tout arrive dans la vie d’un chercheur d’aventures en route vers la trentaine ! – chef d’orchestre au funambulesque Théâtre des Variétés, rue du Barbâtre, nº 255, nous avions eu le toupet d’occuper de nos talents personnels, tant littéraires qu’artistiques, la majeure partie du programme de la représentation donnée sur cette scène de faubourg par une société d’amateurs des deux sexes dénommée : Arts lyrique et dramatique.

Oui ! avouons-le. Nous avions écrit, – s’il vous plaît ! – une saynète en prose et en un acte, intitulée : « On demande un mari », que la troupe en question représenta en 1885.

Ayant jadis rimé, dans une fantaisie dialoguée : « Les Savetiers », certains couplets mis en musique par un croque-sol de nos amis, Paul Dazy, nous en avions extrait une cavatine qu’interpréta ce même soir le chanteur Jules Fort, devant un aréopage d’aristarques tels qu’Abel Maurice, de L’Indépendant Rémois, et Ernest Lefèvre, chef d’orchestre à cette Philharmonique dont nous étions l’un des plus fidèles et utiles seconds violons.

Aux Variétés, ce violon minores avait été promu, par ses pairs, chef d’orchestre et il y maniait l’archet de façon magistrale.

On s’amusait à peu de frais et bien innocemment en ces temps virgiliens ! Ah ! oui ! Restons-en confus !

Et donnons un souvenir ému et reconnaissant au promoteur de ces joies spéciales, ce brave épicier de la rue Tournebonneau, 22, Edmond Lefebvre, qui, en 1878, une demi-douzaine d’années avant qu’il lui prit fantaisie d’instaurer un café-concert qui devait se transformer en salle de spectacle, se lance dans la carrière conjugale en épousant Eugénie Jeanne Viville, 19 ans, originaire d’Époye et fille de l’instituteur de Caurel.

Son oncle, Louis Étienne Lefebvre, était alors tenancier du cabaret populaire que lui-même allait transformer en Théâtre du Peuple.

Paul Georges Séré de Rivières, 29 ans, né à Toulon et fils du général directeur du Génie, épouse Eugénie Petit, des Petit-Moreau de Champlieux, rue du Marc, 9.

Parmi les notables qui assistent à ces agapes somptueuses et mondaines, citons Vincent de Gentili, directeur de la Banque de France à Bastia, oncle du marié, et son cousin le maire de Rivières, près Gaillac ; Étienne de Champlieux (Moreau ayant disparu du nobiliaire, comme entaché de roture), inspecteur des Douanes à Caen. Enfin, ce petit bonhomme si vivant, si causeur, si blagueur, si pétulant, à la face pleine ornée d’un nez grassement aquilin et des plus visibles, le marchand de laines Ernest Assy, cousin des Petit et septuagénaire depuis deux ans.

Victor Robinet, âgé de 30 ans, fils de Robinet-Massonnet, bonnetier, rue Libergier, 43, épouse Estelle Léonie Delhorbe, fille de Delhorbe-Rochet, de Guignicourt, et nièce du restaurateur, le bon gros Delhorbe, de la rue Trudaine, gargotier émérite où les chopinards les plus distingués de la laine comme du marché alimentaire voisin se succèdent, avant d’aller prendre la demie apéritive chez Charles Barbelet, l’écailleur d’huîtres et le rôtisseur d’escargots d’en face.

Chez Delhorbe, on ne stationne guère : on siffle et on part, et toujours le vin provient de nos crus secondaires les mieux choisis.

D’une autre union de cette fructueuse année 1878 allait surgir, ou du moins germer ce domaine d’utilité publique qui sera plus tard le vignoble de Sainte-Geneviève et reconstituera le cru de Reims proprement dit, déraciné depuis un demi-siècle.

Il y a belle lurette que Cormontreuil et Saint-Éloi n’ont plus de ceps sur leurs pentes crayeuses et sablonneuses !

Auguste Walfard, 24 ans, fils de Walfard-Galien, rue de l’Arquebuse, 3, lie sa destinée à celle de Berthe Émilie Thérèse Binet, 17 ans, fille de Binet-Copigneaux, rue de la Justice, 36. Témoins : l’oncle Copigneaux, courtier en vins rue Ponsardin, 18, et l’avocat Brissart, fils du célèbre libraire rémois Brissart-Binet.

L’ex-rédacteur en chef du journal légitimiste de Reims, La Champagne, qui s’édite dans la rue du Préau, à Reims, Henri Arsac, 27 ans, né à Largentière et rédacteur à La Gazette de l’Est, à Nancy, s’allie à une famille anglaise, dont le chef George Whitley-Hache, venu d’Amiens, professe la langue de Shakespeare et de Lloyd-George, ce vieil et macabre farceur ! dans nos écoles secondaires, et habite rue de la Belle-Image, 6.

La jeune Annette a le même âge que son époux, et naquit à Boulogne-sur-Mer, plage franco-anglaise, que les insulaires d’Outre-Manche, en leur candide et concupiscent for intérieur, considèrent comme une dépendance de la Grande-Bretagne et de l’Empire britannique, à peine séparée, et on se demande à quoi la nature a pensé ce jour-là ! – par the Channel, ce petit canal à peine assez large pour laisser circuler l’un ou l’autre des gros bateaux de la flotte de nos chers amis et alliés les Goddem.

À côté de deux noms ronflants de notre colonie champagnisante, les Goulet et les Paris, se glissent les humbles patronymes de François, appartenant au petit père Carrière, ancien perruquier retiré des rasoirs et des ciseaux rue Linguet, 4, et Félix Arthur, qui est propriété d’un Romagny de la rue des Telliers, 14, employé de commerce, élève au cours d’anglais du papa Whitley.

Et voyez la longue et maigre, blafarde et enredingotée de noir, silhouette de l’ex-pharmacien châlonnais, Félix Alexandre Soullié, sexagénaire rentier au 27 de la rue des Fusiliers, fils de Soullié-Folliet, de Cumières, lequel épousa sa nièce, Antoinette Augustine Romagny, 25 ans, fille de Romagny-Daneau, rue des Tournelles, 7.

Témoins à cette union de la jeunesse en fleur et de la vieillesse en herbe : le distingué professeur de rhétorique Prosper Soullié, propre frère de cet apprêteur de potions et marchand d’herbages purgatifs, et le cousin Biébuyck, Aloys pour nos châtelaines des environs.

Les teinturiers se mettent en branle avec le jeune Léon Détré et Mlle Bénard, d’Épernay. Détré a 24 ans, est châtelain rue de Vesle, nº 127, où il vient de passer les plus belles heures de sa prime jeunesse derrière ces murailles antiques et solennelles, revêtues d’une épaisse patine noire qui rend l’abord de cette demeure pseudo seigneuriale presque rébarbatif.

Quand donc, ont murmuré des générations de passants, les services publics feront-ils abattre ces pierres qui ressemblent à des tumuli de nécropole et ne sont pas à l’alignement ? Des lustres se sont éteints, une lutte atroce a mis aux prises des millions d’hommes armés, des milliers de tonnes de sang vermeil ont coulé et arrosé des provinces et des royaumes, des cités entières, des bourgs, des hameaux ont été incendiés et détruits sous l’avalanche monstrueuse des masses de fer forgé par les démons de Vulcain, mais le mur bosselé et craquelé et la porte désuète aux ferrures désossées a résisté et tenu bon !

Voici presque une décade que le canon a cessé de cracher sa mitraille sur le corps pantelant de la malheureuse ville, rançon du salut de la France et du Monde, et muraille et porte cochère, étage branlant et voûte prête à choir, témoignent à la face des touristes de Thomas Cook que la vieille maison des Détré est encore là pour un coup... et que les malins ne l’auront pas !

Fière et heureuse comme le diable de pouvoir faire la nique à la cambuse dégauchie et lépreuse du père Laplanche-Fortin, dont la panse inesthétique rompit si malencontreusement et si longtemps l’alignement du Bourg-Saint-Denis, et qu’un obus moins aveugle que ses petits et grands frères abattit enfin, en compensation pour la perte des façades somptueuses et rectilignes qui faisaient la gloire et l’ornement de Reims, – partant de la France –, comme les blandices du fabuliste La Fontaine !

Il n’est si grands maux qui ne s’adoucissent par un peu de bien. Toutefois, ne nous leurrons pas, et que les Détré ne se réjouissent qu’à titre bénévole : n’avaient-ils pas juré, ces exécrables Boches, suppôts d’enfer, de ne laisser pierre sur pierre de nos demeures ancestrales et de nous écarter à jamais de ce sol massacré, si cher à nos cœurs rémois !

Les Grandremy, dynastie de courtiers en laines, délèguent un des leurs, Jules, – un grand sec au nez en pierre à aiguiser les faux, au teint clair et rose de blond –, à Brimont, village pacifiquement abrité sous les sapins des collines voisines et qui ne se doute guère des échos terrifiants que son nom évoquera plus tard en nos esprits saturés d’horreur, – pour y mêler le sang urbain, un peu décoloré par une existence sédentaire et renfermée, au sang actif et bouillonnant des ruraux, et nous aurons les Grandremy-Lallemant, tête de ligne de braves gens, pieuses ouailles de nos confesseurs paroissiaux.

Les sociétés de gymnastique vont fêter les épousailles d’un de leurs moniteurs les plus réputés : Alfred Alvin, dit Alby, comme on aurait pu dire Montauban, si le hasard des naissances avait placé dans cette ville où naquit Cladel l’aïeul qui devait faire souche dans nos murs, au lieu de le faire naître à Albi.

Alfred Alvin, enfant du Jard où son père raccommodait les chaussures à la minute ! fut l’un des premiers élèves de Defrançois, dont il devint le sous-maître et l’adjoint.

Petit, râblé, vif et agile, le geste prompt et la parole brève et rare, un vrai chasseur à pied et portant le bouc en conséquence, il allait être choisi par la municipalité lilloise pour diriger un conservatoire de gymnastique dans la grande cité flamande. Il n’en est jamais revenu.

En 1878, Alfred Alvin avait 22 ans et sa future, Mlle Menu, était une jolie modiste de vingt printemps, de la rue Neuve, 112.

La rue de Contrai est en rumeur : Édouard Poix, 28 ans, boutiquier en nouveautés et rouennerie, au n° 3, épouse une rurale de Festieux, Mlle Lapersonne. Son locataire et successeur, le peintre Champrigaud, devait trouver la mort à deux pas de là, en septembre 1914.

Louis Napoléon Vély, maréchal-ferrant, rue de Vesle, 101, va fonder un ménage modèle et uni avec sa voisine du 117, Mlle Moreau. On retrouvera ce couple aimable, que les ans ni les rigueurs de l’exil n’ont point privé de leurs charmes, établis en baraque de bois, vis-à-vis le square Colbert, en 1920, et vendant aux touristes qui viennent voir comment les Boches nous ont arrangés, des devants de gilet en pain d’épice, des biscuits roses et des massepains aux amandes sortant de nos premiers fours reconstruits.

Les collectionneurs n’auront pas manqué de se procurer la carte postale illustrée représentant ces échantillons parfaits des types rémois pur sang dont il reste quelques exemplaires en notre ville cosmopolitisée : il faudra des générations pour les remplacer.

Côte à côte devant leur étalage primitif, ils sourient en fouillant du regard la foule qui passe pour y décrocher quelque visage ami d’avant-guerre. Et c’est alors des exclamations, des gestes et des racontars à n’en plus finir ! Ah ! vous voilà revenus ! nous aussi ! où étiez-vous ? avez-vous perdu des vôtres ? et votre maison ! – Notre maison, dame ! comme la vôtre, mes vieux ! en poussière. – Bah ! ILS nous les rebâtiront ? – Assavoir ! On se quitte, et au tour d’un autre.

Guerbette, successeur de Moreau-Bertèche, à l’épicerie des Loges-Coquault, prend pour épouse, devant Dieu et devant les hommes, c’est-à-dire devant le curé Deglaire et le papa Desteuque, tous deux bedonnants et joviaux à souhait et se tenant fort bien à table, – la fille à Lamiraux, le marchand de grains et sons de la rue Neuve, 54, lequel habitait en 1878 au nº 6, place Saint-Timothée.

Eugène Grassière, peintre décorateur et flûtiste à la Municipale, 25 ans, rue de Vesle, 16, se marie avec Mlle Loth, de la rue des Boucheries, 5, et reprendra bientôt le café-buvette qui se trouvait rue Chanzy, là même où se dressera plus tard la maison du docteur Seuvre.

Pierre Paul Simon, peintre entrepreneur , rue de l’Université, 9, épouse Clémence Robinet, d’Ay .

Émilie Caroline Walbaum, rue du Marc, 11, sera la femme d’un immigré, Ch.-H.-J. Noirberg, imprimeur-éditeur à Paris.

Le tailleur Édouard Charles Webert, 31, rue de Bétheny, et Robertine Lecomte, rue du Jard, 8, fille aînée d’un vieil habitant du Jard, bouddha de la couture également, papa Lecomte, dont la cadette Adèle est encore existante et bien vivante dans son Reims revigoré.

Le peintre Maussant (Arthur Désiré), 24 ans, un beau grand garçon à l’œil intelligent, à l’allure franche et sympathique, rue Neuve, 29, et Adèle Petit, 18 ans, rentrayeuse, au 55, rue du Jard, divorceront par la suite pour cause d’incompatibilité d’humeur et autres petits impedimenta de l’existence en commun.

Maussant se remariera avec Marie Delphine Lambert et s’établira rue Chanzy, 58, dans la boutique où furent jadis exposées par le gros Doyen et son successeur Gillis, les premières machines à coudre Élias Howe. Décédé vers 1900, on retrouve sa veuve rue des Fusiliers, 24, et elle décède en 1925 au 29 reconstruit de la même rue, à l’âge de 72 ans.

De la même fournée conjugale, on signalera les couples suivants, dont les noms ne sont pas tout à fait inconnus aux macrobites de notre époque si agitée :

Louis Mennesson, 31 ans, encore de ce monde et bien d’adresse, comme disent les bonnes gens, juge au Tribunal civil, et Mlle Dupont, de Douai.

Clovis Maillard, dont nous avons déjà entretenu nos concitoyens, et qui, âgé de 22 ans, épouse Mlle Marcq, de Witry-lès-Reims, séduite par sa jolie voix, sa fine moustache, sa belle petite frimousse éveillée et son rire de toute jeunesse.

Gustin, 29 ans, contremaître de plomberie, place d’Erlon, 31, à la tignasse frisée, aux yeux noirs comme une nuit du Pôle, qui sera Gustin de Bonnay, sans trait d’union, par son mariage avec Mlle de Bonnay, veuve Favier, de Château-Porcien.

Louis Dagot, 26 ans, ajusteur-mécanicien, rue Macquart, 30, et Basilide Félicie Aubry, 33 ans, sa voisine, au n° 20, même rue.

Edmond Mauduit, 23 ans, enfant de la rue Brûlée, où son père était maître maçon, élève de l’école de dessin du Frère Hector, rue du Jard, 15, et demeurant rue David, 6, époux de Mlle Maupinot, de Lavannes.

Le greffier de commerce Louis Boullaire, rue Caqué, 18, et Mlle Louise Leclerc, rue de Monsieur, 36.

Pour clore ce brillant palmarès, deux types rémois qui firent nos délices en leur temps : le commissionnaire public Gobréau, dit la France aux Français, 30 ans, rue de l’Étape, 4, patriote intransigeant que ronge la vermine étrangère et qui proteste dans la cour de la Gare contre l’intrusion de concurrents à la voix rauque et aux intonations barbares, auxquels une municipalité consciente de ses devoirs devrait refuser la plaque officielle et le stationnement sur nos voies publiques.

Et enfin le placide Jean Fageol, tambour-major au 132e de ligne, virevolteur adroit de sa canne comme un cochon de sa queue, qui fait la joie et l’admiration de nos gosses rémois les jours de revue militaire, à la tête de sa clique retentissante et disciplinée, et qui se laissa tenter par les charmes déjà mûrs et l’aiguille adroite et butinière de Mlle Zola, couturière, 44 ans, au 144, rue Neuve.

Fageol, un ban en l’honneur de vos confrères de la promotion qui prendra le nom de l’Exposition universelle 1878 ! et un roulement sourd de tambours pour l’appel des morts.

Puis, une minute de silence. C’est la mode après la Grande Guerre !