Lemot, Achille dit Uzès

(1846-1909)

Achille Lemot fait partie de ces Rémois célèbres pour avoir été un dessinateur de talent. Mais c’est surtout par son « épouvantable aventure » qu’il est passé à la postérité. Cet artiste devint faussaire par amour... et héros de cour d’assises !Eugène Dupont fut le premier auteur à s’intéresser à la personnalité d’Achille Lemot. Et c’est normal, puisqu’ils étaient parents.

Mais c’est surtout à Auriant, le critique bien connu du Mercure de France, que nous devons la meilleure étude et la plus sérieuse. Plus récemment, le colonel Marcel Arnoult, qui, lui aussi, lui était apparenté par sa grand-mère, née Louise Lemot (1846-1920), a commis un article sur Lemot. Celui-ci n’apporte rien de nouveau, si ce n’est les quelques éléments que je lui ai communiqués. Le colonel Arnoult reprend textuellement des passages complets des articles d’Auriant, que je lui ai procurés, sans même citer leur auteur. À cela sont ajoutées quelques erreurs comme nous le verrons plus loin.

C’est au 22, rue des Cloîtres[1] à Reims que naquit Achille Lemot. René Druart a cru devoir corriger Eugène Dupont en précisant qu’il s’agissait de la rue du Cloître. Cette assertion fut reprise par Marcel Arnoult. Mais c’est bien Eugène Dupont qui a raison. Il s’agit bien de la rue des Cloîtres, devenue rue Aubert en 1873, dans le quartier populaire de Saint-Remi. Par opposition, la rue du Cloître, toujours existante, longeait alors le chevet de Notre-Dame, quartier éminemment plus bourgeois.

La naissance eut donc lieu le 31 décembre 1846, à onze heures du soir, dans la maison des Coulon-Coltin, cultivateurs aisés du quartier Fléchambault, grands-parents maternels d’Achille.

Son père légal, Simon Valentin, était absent lors de la naissance car militaire en activité de service. Sa mère, Jeanne Marguerite Coulon, était venue demeurer chez ses parents.

Lors de son mariage, en 1839, Simon Valentin, fils d’un vigneron de Nogent-l’Abbesse, était boucher au 90, rue de la Couture (aujourd’hui place Drouet-d’Erlon). Il semblerait que son absence se prolongea, car Simon Valentin meurt en Guyane française, à Saint-Augustin, le 16 mai 1856.

Sa veuve put ainsi épouser Hubert Marie Benjamin Lemot, deux ans plus tard, le temps de régulariser les documents administratifs.

Le mariage eut lieu à Reims, le 1er septembre 1858, en présence de Forest, négociant, rue Cérès ; Hubert Théophile Lemot, 50 ans, propriétaire à Reims et François Jean Melchior Lemot, 37 ans, greffier à Verzy, tous deux frères germains de l’époux.

On peut supposer que les nouveaux époux vivaient ensemble depuis un certain temps car Hubert Lemot était comptable à Reims dès 1848. Il est fort probable qu’il fut le père biologique d’Achille et dans l’impossibilité de le reconnaître. La mère étant toujours mariée, cela en aurait fait, au regard de la loi, un enfant adultérin.

C’est ainsi que Désiré Achille Valentin s’est fait appeler, en toute logique, Achille Lemot, du nom des parents qui ont pourvu à son éducation.

Hubert Lemot est mort à Reims, rue Nouvelle-d’Amour (aujourd’hui rue Clovis), le 15 mai 1864, âgé de 47 ans. Il ne fut pas inhumé au Cimetière du Nord, ni au Cimetière du Sud, seuls lieux d’inhumation possibles à l’époque. Son corps fut probablement transporté à Verzy où les Lemot jouissaient d’une certaine notoriété. Son père, Pierre Lemot (1780-1848), était greffier du tribunal de la Justice de Paix du Canton de Verzy.

On peut voir à Verzy la magnifique salle des fêtes, qui porte sur son fronton « Fondation Isabelle Jesson ». Isabelle Jesson (1830-1909) n’était autre que Mme Melchior Lemot, tante d’Achille, dont la sépulture au cimetière de Verzy est entretenue par la commune en considération de sa bienfaitrice.

Pour l’anecdote, il court toujours actuellement, à Verzy, une légende due à un malheureux amalgame. On y raconte que la salle des fêtes fut construite avec l’argent du faussaire Lemot ! Cette légende dut prendre naissance, dans les années 50. René Druart est venu à Verzy à cette époque faire des recherches sur les Lemot et n’a pas manqué d’évoquer l’ « épouvantable aventure » qui fut bien évidemment déformée.

Mme Lemot, mère d’Achille, née à Reims 12 février 1816, vivait chez son fils à Asnières en 1880. On ignore la date de son décès.

Achille Lemot revint à Reims en 1881 pour y présenter trois œuvres à la 8e exposition de la Société des Amis des Arts que se tint au Cirque. Le catalogue de cette exposition le présente comme élève d’André Gill.

Ce fut peut-être le dernier lien avec notre ville. Car si à sa mort le Bulletin des anciens élèves du Lycée de Reims lui consacra une notice nécrologique, c’est uniquement en raison de sa notoriété car il n’était pas membre de l’association des anciens élèves. Cette notice est d’ailleurs assez mal renseignée, tout comme celle parue en 1910 dans l’Almanach Matot-Braine. Elle le donne pour l’arrière-petit-fils du sculpteur François Frédéric Lemot (1772-1827), membre de l’Institut. Ce qui est faux bien sûr, de même qu’Achille Lemot, qui était par ailleurs très modeste, n’a jamais prétendu descendre du baron Lemot contrairement à ce qu’a écrit le colonel Arnoult.

La Bibliothèque Carnegie ne possède pas moins de 73 œuvres de notre artiste.

Il donna aussi pour « Le Pèlerin » un dessin de la Croix du Jard à la suite d’une lamentable affaire. On se souvient que le maire anticlérical, Charles Arnould, fit enlever cette croix au grand scandale des habitants du Jard. Ce dessin a probablement été fait d’après photographie. Achille connaissait bien l’endroit ; la croix, toujours existante, était située en face de la maison des parents d’Eugène Dupont où Achille est venu quelquefois partager leur repas.

Voici ce qu’en dit Eugène Dupont dans son « Panorama de quelques âmes rémoises », où l’on constate que l’auteur ne connaissait pas précisément son lien de parenté avec Achille :

À l’état civil 1847, sur les naissances inscrites le 3 janvier, celle-ci, du 31 décembre 1846 : Désiré Achille Valentin, fils de Jeanne Marguerite Coulon, 30 ans, rue des Cloîtres, 22, à Reims (rue Coulvier-Gravier[2]), épouse de Simon Valentin, boucher, militaire en activité, 28 ans. Témoins : Jean Nicolas Coulon, oncle, 29 ans, cultivateur, même maison, et, de même, François Simon Reusse, employé, 27 ans.

Le « Mercure de France » du 15 septembre 1933 publie une très intéressante histoire sur Achille Lemot (ce Valentin). Achille Lemot était un dessinateur et illustrateur de talent, ex-élève du Lycée de Reims, comme boursier, sous les auspices de son oncle Nitzsché, professeur d’allemand, époux d'une Guinot, de Liry (Ardennes). Le 1er septembre 1885 décédait à Reims le tenancier des Bains froids Guinot, à Fléchambault, Pierre Napoléon, né le 7 janvier 1804, de Nicolas Guinot et de Marguerite Anne Lemot. Napoléon avait épousé en premières noces Félicité Baudson, de Liry, et en secondes et troisièmes noces, les sœurs Jeanne Catherine et Marie Célinie Lampson.

Achille Valentin, dit Lemot, était petit-cousin des Dupont-Aumont[3], qui le reçurent à leur table rue Chanzy, 79, à Reims, et bien avant, au temps de ses classes, rue du Jard, 26. Cette parenté se justifie par la présence, en qualité de témoin, et de cousin germain, de Hubert Lemot, arpenteur, en l'église Saint-Sulpice, de Liry, le 31 janvier 1821, au baptême de Sophie Dupont, fille de Jean François Dupont et de Véronique Petit. Impossible de retrouver d'autres traces des Lemot à Liry ; les archives de ce village ardennais, ultime réduit des Boches, en 1918, avant la déroute finale, ayant été incendiées pendant la lutte mémorable pour la prise ou la garde de cette petite forteresse.

On peut conjecturer que Hubert Lemot eut une fille qui épousa à Reims un Coulon, lequel aurait eu une fille qui épousa Valentin[4]. Hubert Lemot aux assurances de Louis Joseph Dupont, était l’aïeul d’Achille Valentin[5]. Louis Joseph Dupont se souvenait d’avoir eu la visite d’Achille peut avant le procès qui lui fut intenté pour faux en billets de banque.

Le sort de Simon Valentin reste obscur ; il était soldat au moment où sa femme donna le jour à Achille Désiré. Que fut exactement ce Valentin ? Quelles sont les raisons qui font de lui un militaire en activité de service à 27 ans, en 1846 ? On avait renvoyé les classes mobilisées par Thiers au moment des affaires de Syrie, puisque Louis Joseph Dupont, qui avait fait partie de ses contingents, était de retour à Reims avant 1845, date à laquelle il épouse rue de Venise, 5, Victoire Aumont, rue du Jard, 28. L'enfant provenait-il réellement de ses œuvres ? En tout cas, nulle signature à l'état civil du père, absent. Les Coulon avaient peut-être recueilli une épouse abandonnée, ou séparée de son mari pour une cause indépendante ou non de la volonté des époux ? Conjectures, recherches à faire. Qui s’en chargerait ? Une Lucienne Ercole, qui, récemment, s’attacha à étudier les raisons du succès mi-galant mi-intellectuel de cette autre fille du peuple de Reims que fut Jeanne (Marie-Anne) Détourbay, comtesse de Loynes, dite « La Dame aux Violettes ».

L’article du « Mercure » sur Lemot est du 15 septembre 1933, signé M. Auriant : « Le Prototype de la Sapho de A. Daudet ». Le graveur Flamant du roman fut Achille Lemot, et il fut aussi le premier portraitiste de Léon Bloy.

Il était beau-fils[6] du professeur Nitzsché, et boursier au Lycée de Reims. Après avoir fait campagne en 1870-71 à l'armée du Nord, sous Faidherbe, il eut des relations avec la « Sapho » de Daudet, qui l’entraîna à fabriquer de faux billets de banque. Au sortir de prison, il illustra des journaux, dont le « Pèlerin », qui, en 1923, donne son portrait, et des spécimens de ses dessins. En 1884, le père Bailly, de « La Croix », fit sa connaissance à Montmartre, au « Chat noir », et se l’attacha. Bailly fournissait le schéma, et Lemot le croquis qui les illustrait en en leur donnant un tour plaisant, et il les rehaussait en couleur. Lemot est mort en septembre 1909. Dans un de ses croquis, il se représente, en 1906, 50 ans plus tard, en pèlerin à la porte du Paradis, caché derrière le père Bailly : celui-ci, devant rédiger la « petite Gazette du Paradis », avait emmené avec lui son dessinateur !

Voir article de M. Auriant, « Mercure de France », 15 septembre 1933. Lemot est le prototype du graveur Flamant, dans la « Sapho » de A. Daudet. Il fut le premier portraitiste de Léon Bloy. Voir les « Cahiers n° 1 », 10e année, septembre et octobre 1933. En juillet 1871, Lemot fait connaissance d’une « figurante » au Théâtre Montparnasse, Augustine-Reine Attagnant, et pour subvenir aux besoins coquets de la belle, il commet des faux. Le 26 juin 1874, ils passent en Cour d’Assises, à Paris. Augustine est condamnée aux travaux forcés à perpétuité, et Lemot à 10 ans de réclusion : ce n’était pas un verdict de clémence ! Il sera libéré en 1881. Au « Chat noir », Lemot signait : « Uzès ». Le portrait de Bloy est dans les « Cahiers », novembre-décembre 1925. En 1885, pour la couverture du « Pal » de Bloy, ce dessin : « Le Pal », encadré de quatre suppliciés, que contemple Bloy, costumé en Turc et fumant sa pipe.

Ainsi Eugène Dupont avait eu connaissance de l’article d’Auriant publié dans le « Mercure de France » dès 1933, mais c’est en 1948 qu’Auriant nous donne dans « Quatre héros d’Alphonse Daudet », et toujours au « Mercure de France », les deux articles suivants sur Achille Lemot où il le nomme par erreur Pierre Achille au lieu de Désiré Achille.

LA VRAIE « SAPHO »

Au coin de la rue Royale, à la terrasse d’un café, Caoudal et Déchelette évoquaient, devant Jean Gaussin, le passé de Fanny Legrand.

« – ... Et vous savez son épouvantable aventure...

« – Quelle aventure?... demanda Gaussin, la voix étranglée ; et il se mit à tirer sur sa paille, en écoutant le drame d’amour qui passionna Paris, il y a quelques années. Le graveur était pauvre, fou de cette femme ; et de peur d’être lâché, pour lui maintenir son luxe, il fit de faux billets de banque. Découvert presque aussitôt, coffré avec sa maîtresse, il en fut quitte pour dix ans de réclusion, elle six mois de prévention à Saint-Lazare, la preuve de son innocence ayant été faite... »

Le drame d’amour que rappelait Déchelette avait réellement eu son épilogue à la Cour d’Assises de la Seine, dix ans avant la publication de Sapho.

Le lundi 26 juin 1874, un jeune homme et une jeune femme venaient s’asseoir sur le « banc d’infamie », un garde municipal grisonnant entre eux.

Lui, un beau gars, 28 ans, de taille moyenne, vêtu d’un paletot marron, pâle sous ses cheveux noirs, rejetés en arrière. Elle, vingt-cinq ans, une fort jolie brune, au teint rose, la peau satinée, les traits délicats, ses cheveux noirs ramenés en petits frisons sur le front, coiffés d’un chapeau à plume noire ; son manteau garni de fourrures, les manches en dentelles, s’entr’ouvrait sur une robe de soie noire.

Un couple très agréable à regarder, et qui semblait tout à fait déplacé, en cet endroit, – un couple fait pour l’amour.

L’amour, précisément, l’amenait là.

L’accusé, ces messieurs de la presse le connaissaient bien. C’était Lemot, le dessinateur, un brave garçon jovial, un confrère très sympathique. Par ses portraits-charges, dans le Monde pour rire[7], des célébrités parisiennes, politiques, littéraires ou théâtrales, il s’était taillé, durant les deux dernières années de l’Empire, une petite réputation boulevardière[8]. Les copains l’appelaient « Lemot pour rire ». Au journal de Paz, il tenait aussi la rubrique des « tribunaux comiques ». En cet instant, il devait les trouver plutôt tragiques. Le 8 août 1870, il avait publié sa propre charge. Les cheveux flottants sous le képi, sac au dos, accroché au sac son crayon dont la pointe embrochait une boule de son, le garde mobile Lemot, empoignant d’une main la crosse de son chassepot et sa pipe, quittait, la larme à l’œil, les bureaux du Monde pour rire pour le monde où on se battait. Un mois après la Commune, il reparaissait sur le boulevard, décoré de la médaille militaire. Sergent-major dans l’armée de Faidherbe, il avait été blessé à Saint-Quentin. La guerre avait tué le Monde pour rire. Lemot ne retrouva pas sa situation perdue. Les temps étaient durs. Il plaça des croquis à droite et à gauche[9]. Il était jeune, son talent pas encore formé. Il n’avait pas connu les honneurs d’un portrait-charge par Gill, avec, au verso, sa biographie. La Gazette des Tribunaux allait combler cette lacune.

Sur une table, les pièces à conviction s’étalaient : une presse à copier, une liasse de billets de banque, une boîte, un soufflet, etc.

Pour conserver l’amour de la jeune personne assise à ses côtés, Lemot s’était fait faussaire.

L’acte d’accusation l’affirmait, par l’organe du greffier, lequel, ô ironie, se nommait Commerson, comme le fondateur du Tintamarre :

« Pierre-Achille Valentin, dit Lemot, né à Reims (Marne), le 31 décembre 1846..., s’éprit, en juillet 1871, d’une folle passion pour la fille Attagnant... Pour satisfaire aux exigences d’une vie de désordre et aux caprices de sa maîtresse, Valentin ne tarda pas à se livrer à des dépenses trop considérables. La gêne survint dans ce ménage irrégulier, et c’est elle qui paraît avoir poussé l’accusé au crime... »

C’était également la conviction du président Douet d’Arcq qui procéda très adroitement à l’interrogatoire de l’accusé, exposant les faits, énumérant les charges, accumulant les preuves dans l’implacable réseau desquelles se débattait Lemot.

Au mois de juillet 1871, Pierre-Achille Valentin, dit Lemot, rencontre Augustine-Reine Attagnant, figurante au théâtre Montmartre. La demoiselle a déjà eu plusieurs amants, et de l’un d’eux une fille. Elle est largement entretenue. Cela n’empêche pas les sentiments, au contraire. Elle a un « béguin » pour Lemot qui devient « ce qu’on appelle un amant de cœur ». Ce rôle lui répugne. Il aime trop sa maîtresse pour souffrir de la partager avec un autre. Elle aime assez son amant pour lui sacrifier le « monsieur ». Ils se mettent ensemble. Leurs réserves s’épuisent et, comme dit Commerson (le greffier), la gêne survient. Augustine, de temps à autre, attrape un bout de rôle à son théâtre, mais elle n’y touche point d’appointements. Les toilettes coûtent cher. Elle regrette son coup de tête. La chaîne dédorée lui paraît lourde à porter. Lemot s’épuise en vains efforts pour trouver l’argent qu’elle réclame. Il en est désespéré, il écrit à sa maîtresse que c’est à se fendre la tête contre les murs. Il n’ose pas se présenter devant elle, ni affronter ses reproches, ni subir le chagrin qu’il lui cause. Si elle persévère dans sa résolution de le quitter, il aura le courage de s’y soumettre. Ils se revoient au restaurant du Petit Journal. Augustine se laisse fléchir, accorde un délai de grâce. Tout finit par s’arranger. Lemot est engagé par M. Léon Sault, directeur de l’Aquarelle-Mode, 5, rue du Quatre-Septembre. Il dessine des modèles de toilettes[10] et gagne 4 à 500 fr. par mois. Les amants vont s’installer rue Marie-Antoinette[11], n° 2, dans un logement de cinq pièces. Augustine entend ne se priver de rien, comme du temps où elle était entretenue. À ce train, la paie de Lemot fond bien avant la fin du mois. De nouveau, c’est la gêne, et la rengaine des récriminations. Augustine menace de s’en aller, cette fois pour tout de bon Lemot s’affole. La passion lui fait perdre la tête. Dessinateur habile, il est aussi bon graveur. Rue Dancourt, chez la dame Faugeron, une presse à copier lui tire l’œil. Il la marchande, la paie sept francs et l’emporte. Il prend le calque d’un billet de vingt francs[12], le mord sur une plaque de zinc, manœuvre la presse : L’essai est manqué. Il jette la plaque ratée dans un égout, non loin du théâtre Montmartre, et recommence. Ce coup-ci, cela peut aller. On s’y tromperait presque.

Le 13 mai 1873, les journaux insèrent l’avis suivant :

« Depuis quelque temps, il circule un assez grand nombre de billets faux de 20 francs. Le signe auquel on peut avoir recours pour les reconnaître est que ces billets portent tous le même numéro, le contrefacteur n’ayant probablement qu’une planche.

« Ces numéros sont 525 et Z. 1.256.

« Le papier est un peu plus fort, la gravure un peu moins nette que dans les vrais billets. »

Ces faux billets sortent du n° 2 de la rue Marie-Antoinette.

Le président Douet d’Arcq fait une pause. On le sent bien disposé à l’égard de l’accusé, plein de compassion pour lui. Il est ému par sa jeunesse, et comme peiné du châtiment qu’il lui infligera à la fin de la journée. Valentin, jusque-là, a fait preuve de vertus bourgeoises. Il lui parle avec douceur, s’ingénie à obtenir ses aveux. Valentin nie. Les billets qu’on lui représente, il ne les connaît pas, pas davantage les gens qui les ont émis. M. Douet d’Arcq l’adjure :

« Valentin, écoutez-moi bien. Vous vous êtes lancé dans une voie périlleuse, celle des dénégations absolues... Vous avez derrière vous des circonstances qui, sans la faire disparaître, atténuent cependant votre faute. Vous avez été, je le répète, bon soldat et bon fils. Vous pouvez espérer. Réfléchissez. Vous avez subi des entraînements, vous avez écouté une folle passion. Vous avez oublié votre honnêteté. Il y a eu un moment de trouble dans votre âme ; descendez dans votre conscience, déclarez la vérité ; c’est un conseil que je vous donne ».

« Je nie », répond Valentin d’une voix faible. Le président n’insiste pas. Il poursuit. Le 31 mai au soir, le chapeau rabattu sur son visage afin de le dissimuler, Valentin pénètre dans la boutique de Mme Folain, herboriste, 104, rue Lafayette, fait l’emplette d’une boîte de poudre insecticide et d’un soufflet, et paie sans anicroche avec un faux billet de vingt francs. Il récidive, le dimanche soir, au « tabac » de la rue de Lévy, mais la débitante, Mme Guinard, refuse son billet comme faux. « C’est malheureux », dit simplement le client, « c’est mon patron qui me l’a donné », et il le retire.

Les faux billets continuent à circuler. Des alentours de la butte Montmartre, ils s’égarent jusqu’à la Villette.

Le 14 juin, passage Verdeau, chez la demoiselle Élise Schaak, marchande de faux bijoux, Valentin choisit un bracelet dit porte-bonheur, qui ne devait pas lui en porter. La demoiselle Schaak, prétextant qu’elle n’a point de monnaie, envoie son frère avec le billet chez le changeur. Le frère revient bientôt accompagné du commissaire de police qui arrête Valentin. Valentin proteste de son innocence, il soutient que le billet est bon, qu’ayant touché le matin même sa paie, il l’a reçu des mains de M. Blanchon, caissier de l’Aquarelle-Mode. Le commissaire se rend auprès de M. Blanchon, 30, rue de Neuilly, à Clichy. M. Blanchon confirme la version du prévenu. Des billets de vingt francs tout neufs, pareils à celui qu’on lui montre, il en a dans sa caisse, ayant été en personne changer un billet de cent francs à la Banque de France. Le commissaire est ébranlé, d’autant plus que M. Blanchon lui fournit les meilleurs renseignements sur Valentin. Pour la forme, il perquisitionne au domicile du dessinateur et à son atelier, n’y découvre rien de suspect et le relâche. M. le commissaire manquait de flair. Dans l’atelier, il avait frôlé un pupitre fermé par un cadenas qui eût dû intriguer sa curiosité. Il renfermait ce qu’il cherchait, une liasse de faux billets de vingt francs, que Valentin, le surlendemain, en allant reprendre son travail, précipite au fond des goguenots. Valentin n’a pas de chance. Le hasard veut que, trois jours plus tard, on enlève les tinettes de l’immeuble. Le vidangeur Metz, qui les a débardées et portées au dépotoir de Bobigny, avisant un paquet, épais de dix centimètres, le ramène au bout de son croc. C’est le corps du délit. Il le lave à grande eau, trie les billets, brûle ceux qui sont décolorés, et en remet 22 au commissaire de police qui les fait parvenir au Parquet. Là, on constate que ces billets sont identiques au billet Schaak, portant la même date : 26 novembre 1872 et les mêmes numéros : 525 et Z. 1256. Pour que les jurés en aient le cœur net, le président les fait passer sous leurs yeux. Pendant ce temps, il s’efforce d’amener Valentin à avouer. Il fait sortir un instant la « fille » Attagnant.

«Voyons, Valentin ! Elle n’est plus là, cette femme. Vous n’avez pas de grands ménagements à observer envers elle. À peine étiez-vous depuis huit jours en prison, qu’elle a pris un nouvel amant ; un industriel de bas étage. Ne vous perdez pas complètement pour elle. Vous devez vous en rendre compte. Ces premières charges sont déjà bien lourdes contre vous, les autres vont suivre... Vous ne dites rien ? Pourtant, il semble qu’on peut lire sur votre figure attristée. Dites la vérité. Un loyal aveu vous concilierait certainement l’indulgence ».

« J’ai avoué tout ce que j’avais à avouer », répond Valentin.

Le président : « Allons, c’est malheureux. Gardes, faites revenir la fille Attagnant ». Augustine revenue à sa place :

Je dois vous faire connaître ce qui s’est passé en votre absence, lui dit M. Douet d’Arcq ; j’ai engagé de nouveau Valentin à dire là vérité, il prétend qu’il l’a dite ».

Il reprend l’interrogatoire.

À la suite de la découverte, toute fortuite, de Bobigny, le Parquet charge un magistrat spécialisé dans ces sortes d’affaires de débrouiller celle-ci. Ce magistrat fait faire au domicile de Valentin une nouvelle perquisition par un autre commissaire de police, un malin celui-là. Quand il se présente rue Marie-Antoinette, il surprend Augustine Attagnant en train de boire du café et de fumer des cigarettes en compagnie de Désirée Courtecuisse, veuve de Désiré, l’acteur des Bouffes-Parisiens, et, présentement, employée au Théâtre des Batignolles à 98 francs par mois. La mère d’Augustine est là, elle aussi, en tablier blanc, les manches retroussées, occupée à laver la vaisselle. Fort civilement, elle offre une tasse de moka à M. le commissaire, qui préfère fureter tout de suite dans le logement. Il déniche – fallait-il que son collègue fût aveugle ! – et saisit une presse à copier, des lettres, des notes, une boîte de petites fioles contenant des couleurs, spécialement du bleu, un lot de photographies, « telles qu’on en trouve dans de pareils lieux », enfin une boîte de poudre à punaises et un soufflet. Le butin était d’importance.

Le 19 juin, Valentin, qui cherchait à émettre un de ses billets dans un débit de tabac, est arrêté pour la seconde fois. On le confronte avec sa maîtresse et avec les témoins qui se sont fait connaître. Ceux-ci le reconnaissent formellement, mais lui prétend ne les avoir jamais vus. Il nie toutes les charges. Mais la malchance s’acharne contre lui. Durant l’instruction, le 21 juillet ; un égoutier qui extrait du sable de l’égout du boulevard Rochechouart, sis en face de la rue Virginie, à quelque cent mètres du théâtre Montmartre, découvre une plaque de cuivre gravée, qui va grossir le lot des pièces à conviction. L’ingénieur civil Ermel est commis à l’effet d’examiner ces objets. Sous la loupe, les billets révèlent tous les mêmes défauts que le billet Schaak. La presse à copier a dû servir à tirer des billets de vingt francs. La plaque rejetée par l’égout est une plaque d’essai défectueux, elle présente des maculatures, des plans qui indiquent l’endroit où sont inscrits les mots : La loi punit…, etc. Sur la presse, des traces correspondent à l’endroit des deux médaillons. Pour la mise en train du tirage, le contrefacteur a employé des hausses de papier : elles ont imprimé sur la presse deux portées plus brillantes. Ces conclusions confirment les présomptions, qui sont assez graves pour qu’on décide d’envoyer Valentin en Cour d’Assises. Il va passer en jugement, quand, le 31 octobre, le Procureur de la République trouve cette lettre dans son courrier :

« Je crois qu’il est du devoir d’un honnête homme d’informer la justice pour sauver un innocent et faire reconnaître un coupable. La maîtresse de Lemot (Valentin) a fait à quelqu’une de ses amies des confidences tendant à faire croire que Lemot ne serait pas le contrefacteur, mais l’émetteur inconscient. Ce qui est plus grave, c’est la proposition qu’elle a faite à la fille Bâle, dont je ne connais pas l’adresse. Elle a passé plusieurs billets faux à sa couturière ; on rapporte qu’une fois reconnus faux, elle les aurait déchirés et remboursés ».

L’ « honnête homme » ne signe pas. Le procureur de la République requiert un supplément d’information. Mme Mathieu, couturière, 8, passage Laferrière, révèle qu’au mois de juin, Augustine Attagnant lui a fait une commande sur le montant de laquelle elle lui a donné un billet de 20 francs, dont le papier lui avait paru un peu fort. Quelques jours plus tard, devant jouer à son théâtre, elle réclame sa toilette. Mme Mathieu lui demande une nouvelle avance. Augustine remet deux billets de 20 francs à l’arpète. Se prétendant malade, elle envoie sa mère prendre livraison de sa robe. Mme Mathieu refuse, disant que les billets de 20 francs de sa fille étaient faux. Presque immédiatement, Mlle Attagnant vient elle-même. Elle donne 20 francs à Mme Mathieu, reprend ses deux billets. « Puisqu’ils sont faux, ils ne repasseront plus », dit-elle, et elle les déchire et en fourre les morceaux dans sa poche. On finit par retrouver la fille Bâle, dite Soupçon, qui s’est mise en ménage avec Paul Vilain, marchand de passementerie, 44, rue Ramée. Elle affirme qu’au mois de mai, la fille Attagnant, la sachant gênée, est venue la trouver et lui a suggéré un moyen de se débrouiller. Elle avait trouvé, disait-elle, une liasse de billets de vingt francs (entr’ouvrant son sac, elle lui en montra 150), elle croyait qu’ils étaient faux ; elle en avait déjà fait passer plusieurs dans le quartier Montmartre, il s’agissait d’en émettre dans un autre quartier, celui des Écoles. Si Louise voulait se charger de l’opération, la moitié du bénéfice lui reviendrait. La fille Bâle avait demandé à réfléchir. Elle raconta tout à son amant qui lui conseilla de rompre avec son amie. Depuis lors celle-ci n’avait eu de cesse qu’elle ne l’eût retrouvée pour lui faire jurer le secret. À la suite de sa déposition, on arrête Augustine Attagnant qui vivait avec Lazare Lehman, marchand de soldes à Montmartre.

« Eh bien, Valentin ! si la fille Attagnant avait des billets faux à mettre en circulation, c’est qu’apparemment c’est vous qui les aviez fabriqués », conclut le président, qui passe à l’interrogatoire d’Augustine.

Celle-là, il ne la ménage pas. Il semble prendre plaisir à l’humilier, à l’outrager. Il a l’air de lui en vouloir personnellement. C’est une créature de boue. Ça fume des cigarettes ! C’est la fille de marbre, l’irrégulière, la femme fatale, celle pour qui se damnent et se perdent tant de fils de famille. Ses pareilles, il les a vues glorifiées sur la scène, comme dans certains romans. Il en tient une sous la main, il ne la lâchera pas. Elle paiera pour les autres. Il s’applique à la noircir ; cette concubine, à la perdre dans l’esprit du jury, cette fille, à la faire passer non seulement comme la complice, mais comme la vraie, la seule coupable.

La petite femme sent l’hostilité qui l’entoure. « Oh ! pauvre charité, on te rencontre rarement sous l’écarlate ! », pourrait-elle s’écrier comme la Vittoria Corombona de Webster : Nullement intimidée, elle tient tête à l’adversaire, déploie dans sa défense du sang-froid, de l’énergie, de l’intelligence. Aux questions traîtresses, elle répond brièvement, posément, parfois légèrement ironique, mais toujours distinguée dans son langage comme dans son attitude. Elle ergote, et elle nie. Elle n’a point émis de billets, nul témoin ne l’a vue en émettre. « Tout ce qui vous approche a des billets faux », raille le président, qui la prévient :

« – Je ne ferai pas, pour obtenir vos aveux, les efforts que j’ai cru devoir faire quand il s’agissait de Valentin.

« – Vous n’avez pas besoin d’en faire.

« – Vous contestez tout ?

« – Mais certainement, monsieur le président.

« – Eh bien ! Nous allons entendre les témoins ».

Défilent à la barre l’herboriste, la brocanteuse, la marchande de bijoux faux, la couturière, toutes celles qui reçurent des billets faux de Valentin et de sa maîtresse. Elles les reconnaissent. Défilent encore la dame Courtecuisse, le caissier Blanchon, l’expert Ermel, les égoutiers, la fille Bâle, et son Vilain d’amant, l’ « honnête homme » de la lettre anonyme. L’audition des témoins terminée, l’avocat général Eymard se lève pour requérir. Modéré pour Lemot, il appelle la sévérité des jurés sur sa maîtresse.

À 8 heures et demie, les jurés reviennent de la Chambre des délibérations, avec un verdict de culpabilité contre les deux accusés. Ils n’accordent de circonstances atténuantes qu’au seul Lemot. La Cour, après en avoir délibéré, condamne Valentin, dit Lemot, à dix ans dé réclusion, et la fille Attagnant aux travaux forcés à perpétuité.

Lemot pâlit encore, porte son mouchoir à ses yeux. Augustine se dresse, frémissante de colère et, d’une voix forte, s’écrie :

– Et vous ! Qui vous jugera, qui vous donnera ce que vous méritez, lâches !

On ne sait pas à qui elle s’adresse, aux juges, aux jurés, ou aux témoins.

Les chroniqueurs judiciaires approuvent le verdict. Ils plaignent Lemot et chargent à fond sa maîtresse. Les plus galants l’appellent sirène. Les mufles la qualifient d’ignoble créature, de dépravée, de misérable habituée du ruisseau. Le sieur Paul d’Orcères, dans l’Événement, romance les débats en style de roman-feuilleton.

« Ce petit artiste avait trouvé sa Fornarina, et, bien qu’il n’eût pas encore reçu les commandes des rois, il lui prodigue les bijoux, l’astrakan et les aigrettes, et pour satisfaire ses somptuosités, il s’exerce au métier lucratif de faussaire. Mais elle suivait du regard le burin du futur grand homme, et lorsque parfois ce burin hésitait, tremblait, s’arrêtait, elle se penchait sur le visage de l’ouvrier, et, frissonnant, hors de lui, sous les baisers de la courtisane, l’ouvrier continuait à graver la pierre.

« Voilà pourtant comment se perdent les plus vaillantes, et les plus intelligentes jeunesses ».

Paris, quoi qu’en ait dit Déchelette, ne se passionna pas pour cette affaire. Le dessinateur était un mince personnage. Augustine Attagnant n’était pas une lionne. L’argument passionnel de ce drame d’amour avait échappé à tout le monde. Le président et, d’après lui, le jury, les journalistes et le public n’y avaient vu que la lamentable histoire d’un jeune homme pauvre, mais honnête, détourné de la « voie du devoir » par une fille qui l’avait ensorcelé.

On pouvait lire sur la figure attristée de Lemot, mais M. le président Douet d’Arcq avait lu de travers.

Le crime de Lemot, c’était d’avoir trop aimé . Alphonse Daudet le comprit. Lemot avait adoré sa maîtresse jusqu’au crime, jusqu’à la folie. Ce n’était pas un vulgaire criminel. La passion le transfigurait. Dans ce qu’il ne disait pas, il y avait un accent de sincérité dans la passion, un respect de la femme qui le distinguait des autres. Son silence, plus éloquent que sa défense, plaidait pour la femme qu’il avait aimée, pour laquelle il en était arrivé là, et lui-même, en ce prétoire où on stigmatisait leur double honte, elle restait pour lui la bien-aimée. Le seul coupable, c’était lui. S’il avait été un homme, il n’aurait pas cédé à la tentation. Elle l’y avait poussé ? Mais non. Il tremblait de la perdre. L’amour qui l’avait fait lâche l’avait rendu fort. Au cours de l’audience, comme durant l’instruction, il avait fait tout ce qui dépendait de lui, même quand on lui eut révélé son infidélité, pour qu’elle fût épargnée. Pas une plainte, pas un reproche. Il avait eu près d’elle, grâce à elle, deux années d’un bonheur si plein, si profond, que le souvenir en suffirait pour remplir sa vie et adoucir son sort. D’avance, il y était résigné. S’il avait pleuré, au prononcé du jugement, c’était sur sa maîtresse, condamnée malgré son sacrifice, aux travaux forcés à perpétuité.

La lecture de la Gazette des Tribunaux fit une impression très vive sur le sensible Alphonse Daudet. Elle ne s’effaça point. L’affaire Lemot fut le point de départ de Sapho[13]. Il greffa l’épisode de la Cour d’Assises sur la vie romancée de Fanny Legrand. S’inquiéta-t-il d’apprendre ce qu’était devenue par la suite Augustine Attagnant ? Graciée au bout de trois ans, elle était devenue une fille pour de bon. Le Rat mort était son port d’attache :

« De grasse, elle était devenue blette, écrivait Félicien Champsaur. Le bagne l’avait un brin dégommée et lui avait fait en revanche une gloire suffisante pour qu’elle trouvât de vieux michés excités à l’idée de posséder une galérienne. En aimant, elle attrape des mouches et fredonne une valse de Métra : la Vague. C’est pour l’été. L’hiver, elle préfère Strauss : Le Beau Danube bleu. On la disait au mieux avec Frédérique, une blonde mièvre, teintée de rose et de lys, avec des yeux bordés d’anchois, qui pose chez Henner les nymphes s’estompant dans le crépuscule ».

Daudet, qui prenait ses modèles dans les journaux et non dans la vie, les retouchait : « Il voit d’ensemble et peint enveloppé, comme disent les salonniers, écrivait Paul Arène, et toujours, autour de ses paysages les plus précis, de ses descriptions les plus riches en détails et les plus serrées, flotte je ne sais quoi de vaporeux et de vague, comparable à cette brume argentée, la brume du père Corot, qui adoucit les contours, grandit les silhouettes, élargit les horizons, prolonge les perspectives et donne une poésie mystérieuse à un petit étang dans les bois ». De même, les personnages de ses romans s’estompaient dans le crépuscule de la passion.

« …Et Caoudal rappelait à Déchelette – qui avait suivi le procès –, comme elle était jolie sous son petit bonnet de Saint-Lazare, et crâne, pas geignarde, fidèle à son homme jusqu’au bout... Et sa réponse à ce vieux cornichon de président, et le baiser qu’elle envoyait à Flamant par-dessus les tricornes des gendarmes, en lui criant d’une voix à attendrir les pierres : « T’ennuie pas, m’ami... Les beaux jours reviendront ; nous nous aimerons encore !... »

Tout l’épisode est ainsi transposé, idéalisé.

Augustine Attagnant se métamorphose en Fanny Legrand[14]. Daudet la prend cinq ans après la condamnation de Lemot, qui se transforme en Flamant. Fanny a 37 ans. Elle est encore belle. La galanterie lui a réussi. Avant de rencontrer Gaussin, elle a eu bien des amants, et des gens célèbres parmi eux. Mais celui qu’elle aime le plus, avec un sentiment mêlé de tendresse et de pitié, c’est « le faussaire Flamant, le graveur misérable, inconnu, sans autre célébrité que celle de la Gazette des Tribunaux ». Elle l’aime de ce qu’il l’a aimée jusqu’à se perdre. On ne lui ferait jamais dire du mal de l’homme qui l’avait adorée jusqu’à la folie, jusqu’au crime. Elle va le visiter en cachette à Mazas, se fait belle, parfumée pour lui. Le souvenir de Flamant plane sur toute son existence. On ne voit pas le faussaire, mais il occupe de loin le cœur et l’esprit de « Sapho », et c’est pour le suivre, à sa sortie de prison, qu’elle abandonnera Gaussin. Ils unissent dans la solitude leurs vies brisées.

Ainsi finit l’histoire de Fanny Legrand et de Flamant. Et celle de Lemot et d’Augustine Attagnant ? Deux vies brisées, les leurs aussi, que la vie sépara à tout jamais. Sa peine finie, Lemot disparut, se fit oublier. En province, à Paris ? Où que ce fût, peut-être lut-il un jour le livre que son « épouvantable aventure » avait inspiré. Pour lui, les beaux jours n’étaient pas revenus. Il dut envier le sort de Flamant, son double[15].

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P.-A. VALENTIN, DIT LEMOT, DIT UZES, ALIAS FLAMANT

Le jour même où paraissait dans le Mercure de France l’essai qu’on vient de lire, M. Léon Riotor m’a envoyé ce petit mot :

16 Septembre 1933.

« J’ai lu avec un vif intérêt votre article sur le graveur faussaire Lemot, que j’ai connu en 1883 et suivantes.

« N’était-ce pas lui qui publiait des portraits-charges un peu partout, notamment dans le Chat Noir, sous la signature d’Uzès ? Voyez donc cela ».

J’ai suivi le conseil de l’auteur de la Colle. M. Riotor ne se trompait pas. Uzès fut la dernière incarnation de P.-A. Valentin. Le Courrier français, dont il fut un des plus féconds collaborateurs, l’ayant chargé de tracer le portrait des « dessinateurs travaillant spécialement pour les journaux illustrés, publications, revues, livres, etc., ceux qu’enfin on pourrait plus spécialement désigner sous le nom d’illustrateurs », Lemot, ou plutôt Uzès, publia son propre portrait, immédiatement après celui de Willette, dans le Courrier français du 7 juillet 1885[16]. Son « épouvantable aventure » ne semble pas avoir marqué ses traits. C’est un bel homme. Il a laissé pousser sa barbe, qu’il porte coquettement taillée en pointe. Le regard est un peu triste. Le portrait était accompagné de cette lettre :

« Mon cher Monsieur Roques,

« Je vous envoie une page de croquis pour le Courrier français.

« Vous avez déjà mon portrait peint par moi-même (voyez Grandville).

« Il faut maintenant que je vous trace, d’une main sévère et juste, mon portrait moral.

« Parce que vous m’avez vu dimanche dévorer des goujons et des écrevisses bordelaises, n’en concluez pas que ma vie se passe dans des orgies continuelles.

« J’habite la campagne, une toute petite campagne[17], indice de mœurs paisibles. J’ai un chien, une tortue, des tortues même, et j’élève des poules. Nous voilà loin des débauches horribles dont vous m’accusez.

«Je travaille du matin jusqu’au soir ; je ne fais rien de bien, mais j’essaie. J’ai devant les yeux un but, bien rendre ce que je vois et ce que je pense. Mais c’est dur, je n’ai pas eu comme nourriture première les leçons des Beaux-Arts. Sans Gill, mon regretté maître et ami, qui m’a dirigé de ses conseils et de son exemple, avec une bonté et une indulgence extrêmes, j’aurais barboté toute ma vie sans savoir où j’allais. Je ne veux pas dire que je sois arrivé à grand’chose de bien, mais enfin je vois et je sens ; en travaillant beaucoup encore, j’arriverai, j’espère, à produire quelque chose dont je serai satisfait. Ce qui ne m’est pas encore arrivé.

« Ce qui arrive par exemple à grands pas, ce sont les années ; j’en ai déjà accumulé une certaine quantité et j’ai le trac de devenir un vieux bonhomme avant d’avoir entendu dire autour de moi : Sapristi, c’est bien, ce qu’il a fait.

« J’ai collaboré à un tas de journaux, en commençant par le Monde pour Rire, l’Éclipse, la Parodie, etc.[18] ; je vous ennuierais en remuant ce tas de feuilles mortes. J’ai, par conséquent, produit des tas de dessins dont le meilleur ne vaut pas quatre sous. Aujourd’hui, je fais des illustrations pour les petits bouquins, c’est gentil, ça fait bouillir le pot-au-feu, mais enfin, ce n’est pas le chemin du grand art, ou même de l’art moyen.

« Je n’ai plus qu’une chance, c’est que le Courrier français devienne un journal extraordinaire, fasse des rentes à ses collaborateurs et alors je pourrai essayer de devenir autre chose qu’un illustrateur.

« J’ai tout de même eu une médaille, la médaille militaire, mais ça ne touche que de loin à l’art.

« Une bonne poignée de main et bien à vous.

« Uzès »

Uzès était modeste. C’est qu’il se connaissait lui-même. Il ne s’abusait pas sur son talent, qui ne fut jamais d’une remarquable originalité.

Je reçus également, datée du 16 septembre, la lettre suivante :

« Monsieur, en lisant votre étude dans le dernier Mercure, je croyais que vous alliez révéler la suite de l’existence du dessinateur Lemot. Est-ce volontaire de votre part ? Ou l’ignorez-vous ? Ignorez-vous que le dessinateur Lemot vécut encore de longues années et que sous le pseudonyme de « Uzès » il collabora à des journaux d’opposition plutôt de droite ? La Libre Parole, par exemple[19]. Au moment de l’affaire Wilson (gendre de Grévy) il fit un dessin représentant Wilson sur le seuil d’une boutique achalandée de croix, d’ordres et de rubans.

« Je n’ose insister, crainte que votre lacune touchant la fin d’existence de Lemot soit volontaire.

« Salutations empressées.

« Un Lecteur »

Le dessin que décrivait ce « lecteur », qui n’était autre que Jehan Rictus, parut, sous le titre : Le Marchand de Décorations et cette légende : ...Rubans et croix à vendre, dans le Courrier français du 14 novembre 1886, et fut reproduit dans le supplément du même, le 20 novembre 1887, avec cette note de la direction :

« À la demande des nouveaux abonnés nous reproduisons ce dessin dont il a été beaucoup parlé ces temps derniers.

« Le Courrier français est le premier qui ait osé dénoncer les honteux tripotages dévoilés aujourd’hui, car ce dessin prophétique a paru dans notre numéro du 14 novembre 1886 ».

M. Rictus m’a de nouveau écrit (le 19 septembre) pour me dire qu’Uzès aurait collaboré au Triboulet illustré, de Harden-Hickey, « un journal fait un peu sur le modèle du Punch anglais ». La première page s’ornait d’un Triboulet s’escrimant sur une foule en fuite avec « le fouet de la satire »... Particulièrement durant la période boulangiste, le Triboulet donna de toutes ses forces contre la République et les chefs républicains. Et firent feu des quatre pattes, si j’ose dire, spécialement « le caricaturiste J. Blass et... Uzés ».

J’ai pris la peine de dépouiller la collection du Triboulet (1878-1887), j’y ai trouvé de nombreuses charges de J. Blass, « dessinateur d’une verve extraordinaire », selon M. Rictus[20], mais aucune qui fût signée Uzès. Tels croquis satiriques, cependant, signés d’abord « Crac », puis « Crak », et aussi « Lilio », rappellent à s’y méprendre la manière d’Uzès qui, pour collaborer au Triboulet, a pu prendre deux autres pseudonymes. « Lilio » y donnait aussi des portraits d’écrivains contemporains et illustrait d’un croquis les comptes rendus de « Triboulet au théâtre ». C’est ce qu’il a fait (le 27 décembre 1885) pour la scène X de l’acte III de la Sapho d’A. Daudet (et A. Belot) :

GAUSSIN (Damala), saisissant Fanny (Jane Hading)

par les poignets, l’entraîne.

Et tu me dis que tu n’es pas menteuse... que tu n’as jamais menti... Oh ! le joli niais... Comme on a dû rire de moi, ici !...

FANNY, effarée.

Mais...

GAUSSIN

C’est le fils de cet homme que tu me fais embrasser depuis un mois... que tu me reprochais de ne pas aimer ?

FANNY, tremblante, regardant Déchelette (Landrol).

Pardonne-moi, Jean, je n’ai pas pu refuser à ce malheureux... Que de fois l’envie me tenait de te l’avouer ! Je n’osais pas... j’avais peur que tu ne le renvoies, le pauvre petit… Tu étais si jaloux de Flamant !...

GAUSSIN, avec un rire de dédain.

Moi, jaloux de ce misérable !... Allons donc !

FANNY

Jean, c’est mal... Tu m’avais tant promis...

GAUSSIN, la regardant dans les yeux.

Oui, misérable !... C’est un misérable !

…………………………………………………………………………………………………………………

Si « Lilio » fut vraiment Uzès, son dessin est d’une amère ironie.

Last, but not least , M. René Martineau m’a transmis, le 17 septembre, les renseignements suivants :

Si Uzès est bien Lemot, il est l’auteur de quelques curieux portraits parus dans la revue de Salis : Bloy, Rollinat, Coquelin cadet, Émile Goudeau..., etc., et aussi de la couverture du Pal, la petite revue de Bloy qui eut quatre numéros.

« Ce qui me fait supposer le renseignement juste, c’est que la personne qui me l’avait donné ajoutait qu’après la disparition du Chat Noir, Lemot s’était tourné vers la Bonne Presse, ce qui concorde avec votre note de la page 578. Les portraits (!) que vous indiquez semblent bien aussi de l’ancien collaborateur du Chat Noir.

« J’ai vu, du reste, en 1898-99-1900, des numéros du Pèlerin – feuille très bonne presse – avec des illustrations en couleurs signées Lemot. Elles étaient inférieures aux portraits du Chat Noir, mais pouvaient être du même auteur...

« Autre information : j’ai publié dans le Mercure du 1er août 1928 un article : « Un personnage de la Femme Pauvre ». Il s’agit du poète allemand Wihl. À ce sujet, je me fis communiquer un dossier Wihl appartenant à la bibliothèque de Grenoble.

« Dans je ne sais plus quelle brochure, Wihl parle de ses amis peintres, les frères Lemot.

« Lemot aurait donc eu un frère... qui a dû déposer dans le procès, appelé par la défense.

« L’intérêt là est secondaire. – Mais cependant Wihl, entre 1860 et 1872, fréquentait les mêmes cercles littéraires qu’Alphonse Daudet.

« Celui-ci avait donc pu connaître vaguement Lemot... avant le procès ».

On ne saurait être plus précis que M. René Martineau. Je suis heureux de rendre hommage à la sûreté, de sa documentation.

En 1882, Lemot entre, en effet, au Chat Noir, et, dès le 28 janvier, y publie son premier dessin, Ci-gît le Château-Rouge, qu’il signe A. L. De ces initiales, il signe également ses autres croquis satiriqnes : Détournements de mineurs (27 mai 82), Souteneurs, c’est possible, soutenus, c’est sûr (10 juin 82). Concert Européen ne porte pas de signature, mais il est manifestement de sa composition. Le 15 juillet, Mort aux lapins est signé ULA, l’U et l’L entrelacés, de même que Musée Grévin : le Massacre des Innocents. Enfin, le 28 octobre, il signe Uzès la page intitulée : Le coup d’État du 2 novembre1882 (charge de Grévy). Le 28 novembre 82, Uzès inaugure avec le portrait de Maurice Rollinat la série des portraits-charges des écrivains et artistes qui collaborent au Chat Noir, journal et cabaret : Émile Goudeau, bitumier en chef du Chat Noir, Coquelin Cadet, Dom Léon Bloy, etc.[21]. De 1882 à 1886, ces portraits-charges alternent avec des croquis humoristiques d’actualité, signés Uzès. En 1887, la collaboration d’Uzès au journal de Salis se relâche. En 1888, il n’y donne ancun dessin ; en 1889 (9 février), il y publie le portrait de Fragerolle.

Sur les indications de M. René Martineau, j’ai retrouvé au Pèlerin Uzès redevenu Lemot. Cocardier et « bien pensant », l’ancien dessinateur du Monde pour rire, du Chat Noir et du Courrier français publie chaque semaine, en 1898 et 1899, des illustrations en couleurs, charges et croquis inspirés par l’actualité : La dernière de Zola (16 janvier et 24 juillet 98), Guérison de N.S.P. le Pape (3 mars 1899), Cauchemar [la reine Victoria et la guerre du Transvaal] (8 octobre 1899), Sus aux Congrégations (15 octobre 1899), etc., etc...

M. P.-V. Stock a, d’autre part, envoyé la note suivante au Mercure de France :

« Bloy, qui détonnait au Chat Noir, y avait été amené par le rédacteur en chef Émile Goudeau. C’était le phénomène de la maison, – je parle du journal et non du cabaret, – on l’y mettait en évidence, on lui consacrait des articles dithyrambiques ainsi que des dessins. Par amusement, par charge, on faisait de lui un homme redoutable, un colosse d’une force exceptionnelle et de nature peu endurable. La légende était créée et elle n’a fait que grandir et subsister.

« Pour accompagner son apologie par Charles Buet, le dessinateur Uzès, sur une page entière de ce journal in-folio, a fait de Bloy un portrait superbe. Ce symbolique dessin a été maintes fois reproduit, mais fragmenté et très réduit, ce qui lui enlève toute signification et bien de sa valeur.

« Ce dessinateur Uzès, qui avait du talent, s’appelait en réalité Lemot[22]. C’était un magnifique garçon ; les traits plus fins, il était le sosie frappant de son maître, le caricaturiste André Gill, lui-même très bel homme. Sa malheureuse histoire a servi à Alphonse Daudet pour Sapho. Le Flamant du roman n’est autre que Lemot. Ce sympathique garçon était foncièrement honnête et personne ne lui a tenu rigueur de sa regrettable erreur. On l’a aidé à reprendre la place honorable qu’un coup de folie passager lui avait fait perdre.

« Non libéré, il avait tout d’abord été secouru par Conty, qui lui avait fait illustrer, sous le pseudonyme Uzès, tous ses guides, ce qui avait permis au prisonnier de continuer à faire vivre sa maman.

« Libéré avant l’expiration de sa peine, sa vie redevint exemplaire. Il vivait avec sa mère à Asnières ; Bloy était alors leur très proche voisin et, à plusieurs reprises, à cette époque, nous nous sommes trouvés à la même table et avons passé des soirées ensemble ».

Telle fut la carrière artistique de P.-A. Valentin, dit Lemot, dit Uzès, alias Flamant.

C’est comme l’un des héros du roman d’Alphonse Daudet qu’il doit d’être passé à la postérité.

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Cette affaire n’est pas sans rappeler une autre affaire, toute aussi pitoyable, qui s’est passée à Reims quelques années plus tard, celle des frères Servais. Je vous en livre le compte-rendu de la presse :

Affaire SERVAIS

« Journal de la Marne », n° 8848 du 22 novembre 1877.

Cour d’assises de la Marne,

4e session.

Présidence de M. Malher, conseiller à la cour d’appel de Paris, chevalier de la Légion d’honneur,

Assesseurs : MM. de Job et Renard, juges.

11e affaire : Fabrication et émission de faux billets de Banque de France.

Accusés :

1er Servais (Jules), né à Rethel (Ardennes) le 21 juillet 1851, imprimeur lithographe, ayant demeuré à Châlons-sur-Vesle (Marne) ;

2e Servais (François, dit Arthur), né à Rethel le 7 juin 1848, imprimeur et graveur, ayant demeuré rue Saint-Dominique-Saint-Germain n° 223 à Paris ;

3e Servais (Jean-Nicolas Florentin), né à Floing, arrondissement de Sedan (Ard.), le 1er novembre 1808, imprimeur lithographe, demeurant à Châlons-sur-Vesle (Marne).

Il résulte de l’acte d’accusation les faits suivants :

Les deux frères Jules, dit Léon, et François dit Arthur Servais, imprimeurs lithographes et graveurs, sont originaires de Rethel ; en 1874, ils étaient établis à Reims, avec leur père Florentin Servais, qui travaillait avec eux ; ouvriers habiles et intelligents, ils eussent pu facilement et honorablement gagner leur vie ; mais ils aimaient la dissipation et le plaisir, et pour donner satisfaction à leur mauvais penchants, ils se livraient à des dépenses exagérées ; leurs affaires ne tardèrent pas à péricliter, et le 25 septembre 1874, Arthur fut déclaré en état de faillite.

Depuis lors, la situation des deux frères Servais s’aggrava de jour en jour. Au mois de mai 1876 ils se trouvèrent absolument sans ressources. Arthur Servais se mit alors en relations avec le nommé Maquin, qu’il avait autrefois connu à Rethel, et qui, lui aussi, avait récemment fait faillite à Reims, où il avait dirigé pendant plusieurs années une fabrique de moulage. Maquin était un homme inquiet, sans scrupule et capable d’user de tous les expédients, même les moins honnêtes, pour se procurer de l’argent. Il avait déjà plusieurs fois été en Amérique et songeait depuis longtemps à fabriquer, pour aller ensuite les émettre dans ce pays, de faux billets de la Banque de New York.

Maquin communiqua son projet aux frères Servais, dont les connaissances spéciales pouvaient être fort utiles pour la réalisation ; ceux-ci ne repoussèrent pas la proposition qui leur était ainsi faite ; mais il leur fallait de suite de l’argent, pour subvenir à leurs besoins les plus pressants, car ils ne pouvaient attendre le résultat des opérations projetées en Amérique.

On convint que l’on commencerait par fabriquer de faux billets de cent francs de la Banque de France, qui pourraient être émis très promptement et dont l’échange permettrait de se procurer immédiatement des ressources.

Maquin s’engageait à donner aux frères Servais 20 à 25 francs par semaine tant que durerait la fabrication. Ces conventions étant arrêtées, on loua, à Châlons-sur-Vesle, une maison dans laquelle les accusés pensaient pouvoir se livrer plus sûrement qu’à la ville au travail qu’ils méditaient. Servais père y fut installé dès le 24 juin ; quant à ses deux fils, ils restèrent à Reims, ainsi que Maquin, et devaient seulement aller à Châlons dans la journée ou le soir, chaque fois qu’ils pourraient y travailler.

Arthur Servais transporta à Châlons une pierre lithographique provenant de son imprimerie et se mit de suite à l’œuvre. Maquin lui avait porté (ou prêté) un vrai billet de cent francs pour lui servir de modèle, il le copia très exactement, et, après un mois de travail, il était parvenu à en imiter les deux faces sur sa pierre avec une remarquable perfection. Cela fait, une presse était nécessaire pour la reproduction sur le papier ; les frères Servais essayèrent d’employer un laminoir lithographique ; mais ces essais n’ayant pas réussi, Arthur partit, le 19 août, avec Maquin, pour Paris, d’où ils rapportèrent, trois jours après, une presse avec ses accessoires, un rouleau, deux pierres de report et de l’encre bleue. Le tout d’une valeur de 250 francs environ.

Le tirage commença immédiatement, il fut fait par Léon Servais, avec l’aide de son père et sous la surveillance de son frère et de Maquin. On fabriqua ainsi cent billets de 100 francs sous la date du 30 octobre 1875. Maquin en détruisit environ 40 qui lui parurent défectueux, il emporta les autres à Paris, où il devait les mettre en circulation dans l’intérêt commun.

Deux jours après, il revint à Reims, disant qu’il n’avait pu changer que 12 des billets et que ses dépenses avaient absorbé la plus grosse partie du produit de leur négociation ; il remit seulement aux frères Servais un bon billet de 100 francs pour leur part de bénéfice.

Cependant les frères Servais avaient conçu des doutes sur la sincérité de leur mandataire. Une querelle s’en suivit. Le concert criminel fut rompu et Maquin cessa dès lors toute relation avec ses co-associés.

Les soupçons des frères Servais étaient fondés, Maquin avait en réalité changé à Paris beaucoup plus de 12 billets, car 29 provenant de la même origine et fabriqués à Châlons-sur-Vesle, après avoir passé par plusieurs mains, ont été présentés et saisis à la Banque de France.

Un moment découragés par cette aventure, les frères Servais démontèrent leur presse et en cachèrent les débris dans la cave de Châlons ; mais ils conservèrent la pierre lithographique, la matrice, le laminoir et une des deux pierres de report, et bientôt, d’accord avec leur père, ils résolurent de tenter, cette fois ; sans le concours de Maquin, un nouveau tirage ; à cet effet, dès la fin du mois de septembre, ils allèrent s’installer à Paris, rue du Château-d’Eau.

Léon apporta la matrice avec lui, Arthur acheta une pierre et une pointe à graver. Le 2 décembre, leur père expédia de Châlons le laminoir et d’autres instruments contenus dans une caisse du poids de 28 kilogrammes.

Quelques jours plus tard, sur la demande que Servais père lui avait faite par lettre, une de leurs sœurs leur envoya un vrai billet de 100 francs qui devait leur servir de modèle ; la matrice qui avait été altérée, avait besoin d’être retouchée. Arthur se chargea de ce soin ; il substitua aussi la date du 10 février à celle du 30 octobre.

Enfin, le 1er janvier 1877, les deux faussaires purent tirer 10 nouveaux billets ; ils en changèrent de suite 6 à Paris des nouveaux et en envoyèrent 3 à leur père ; celui-ci, qui les attendait, en changea un, à la fin de janvier, dans un bureau de tabac, à Reims ; un autre à Jonchery, le 1er février, et le 3e à Reims, le 17 du même mois. Le 10e faux billet avait été remis par Léon lui-même, le 9 février, à une fille publique de Reims, ce billet ayant été présenté le 19 février à la succursale de la Banque et ayant été reconnu faux, on sut bientôt qu’il avait passé par les mains de Léon Servais. Celui-ci fut arrêté à Châlons-sur-Vesle le 21 février ; son père qui avait été aussitôt prévenir son autre fils, le fut également le lendemain, lors de son retour de Paris à Châlons. Et, le même jour, Arthur Servais fut lui-même arrêté à Paris.

Quant à Maquin, dénoncé par Léon Servais, il fut trouvé à Reims, le 22 avril et placé, lui aussi, sous la main de la justice ; mais le lendemain, il fut trouvé mort dans son cachot, où il s’était pendu pendant la nuit.

Les trois accusés avaient, au début de l’information, protesté de leur innocence, mais une perquisition faite à Châlons-sur-Vesle fit bientôt découvrir, dispersés dans toutes les pièces de la maison ou enfouis dans le jardin, les morceaux de la pierre lithographique qui avait servie au 1er tirage des billets faux, une lettre adressée à Servais père, le 24 octobre, saisie chez lui, contenant en outre les relations les plus compromettantes.

Ses enfants lui écrivaient de Paris qu’ils travaillaient à la fabrication du mandat, mais qu’il fallait prendre des précautions, parce que l’on faisait souvent des perquisitions chez les graveurs. Enfin, le laminoir et ses accessoires avaient été retrouvés à Paris, au domicile d’Arthur Servais.

En présence d’une preuve aussi complète de leur culpabilité, ils ne pouvaient persister dans leurs dénégations, et ils se sont bientôt décidés à faire des aveux.

Ministère public, M. Boullaire, procureur.

Défenseurs, MM. Duchataux, Mennesson et Hurault.

Reconnus coupables, avec admission de circonstances atténuantes, ils sont condamnés : les fils Servais à chacun 12 ans de travaux forcés et 20 ans de surveillance[23] ; Servais père à 5 ans de réclusion.

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Pour terminer, ajoutons que lors de l’exposition sur le « Chat Noir », cinq œuvres d’Achille Lemot furent exposée au musée d’Orsay du 25 février au 31 mai 1992, dont trois furent reproduites dans le catalogue.

On sait aussi qu’il collabora à la manufacture des émaux de Longwy de 1884 à sa mort.

Il illustra de savoureux dessins les œuvres de Charles Leroy, le beau-frère d’Alphonse Allais, dont son fameux et désopilant « Colonel Ramollot », de 1884 à 1887.

C’est à cette époque qu’il devint l’illustrateur en titre du « Pèlerin ». Ce journal ne manqua pas de lui rendre hommage à l’occasion de son 50e anniversaire, dans le n° 2418, du dimanche 29 juillet 1923 :

Le P. Bailly et Lemot. – Le Pèlerin au début utilisait les bois et les gravures de toutes sortes qu’on achetait chez les brocanteurs ou chez les revues. Mais le P. Bailly rêvait mieux : on lui présenta, un jour, en 1884, un artiste du Chat noir de Montmartre un peu bohème, mais qui avait un réel talent, moins encore de dessinateur que de caricaturiste. C'était Lemot. Les deux hommes se comprirent tout de suite. Lemot vint à demeure travailler sous l’inspiration du P. Bailly et traduisait sur le champ, en les saisissant au vol, ses bons mots, ses trouvailles toujours si spirituelles. Le P. Bailly, qui avait eu l’intuition de l’apostolat par l’image, comprit tout de suite quel parti il pouvait tirer du crayon de Lemot et était ravi d’arracher à Satan toutes ses armes dont il se servait pour le mal pour les tourner au bien. Au contact du P. Bailly, l’esprit de Lemot se féconda encore ; le Père trouvait les idées et en faisait un schéma ; Lemot par ses croquis leur donnait un tour plaisant et inattendu qui en doublait le charme. Ce fut mieux encore quand le dessin fut rehaussé de l’éclat des couleurs : les francs-maçons, les sectaires, les persécuteurs, les politiciens étaient fouaillés de belle manière.

Auprès du P. Bailly Lemot trouva mieux qu’une situation, de l’esprit et de l’amitié ; il recouvra la foi et la pratique chrétiennes et il fut consolé à sa mort, en septembre 1909, par la visite de celui qui l’avait enrôlé sous la bannière du Pèlerin. Dans un croquis de 1896, Lemot se représentait cinquante ans plus tard à la porte du paradis caché derrière le P. Bailly.

Mon bon saint Pierre, dit le moine, c'est moi le P. Bailly, indiquez-moi donc ma petite place, que je puisse enfin me reposer...

– Vous reposer ? Vous n'y pensez pas ! Il y a assez longtemps que nous vous attendons pour nous faire notre Petite Gazette du Paradis.

– Illustrée alors !... J'ai amené mon dessinateur...

Et il montrait Lemot.

Chaque année, pour la fête de saint Vincent de Paul, 19 juillet, Lemot faisait sur le P. Bailly qu’il vénérait un croquis original : il le représenlait tantôt luttant corps à corps avec le diable, tantôt sous la figure d’un jardinier cultivant l’arbre fécond de la bonne presse, chargé de ses innombrables publications, ou enfonçant sur la terre, avec la croix, le clou de la résistance. Les lecteurs qui ont la collection entière du Pèlerin pourront passer des heures agréables à revivre, en le feuilletant, les luttes de ces quarante dernières années.

Qui nous rendra un Bailly et un Lemot ?

Lorsqu’il devint collaborateur du « Pèlerin », Lemot reprit son patronyme. Mais auparavant, comme nous l’avons vu, il usa du pseudonyme d’ « Uzès ».

De tous les auteurs, aucun ne donne une explication à ce pseudonyme. J’en ai une à proposer, mais elle n’est qu’une hypothèse : On sait que la duchesse d’Uzès, l’arrière-petite-fille de la veuve Clicquot-Ponsardin, s’intéressait au sort des détenus. Rappelez-vous ce célèbre dessin de Forain à propos de la duchesse et de l’anarchiste Vaillant. Lemot a été libéré par anticipation. Aurait-il obtenu une remise de peine sur l’intervention de la toute puissante duchesse ? et lui en aurait-il été reconnaissant en voulant ainsi honorer son nom ?

Lemot mourut prématurément, lui qui avait projeté sa mort en 1956 ! soit à 80 ans !

En 1909, il laissait une veuve de 51 ans, Berthe Alphonsine Michel, et un fils de 23 ans, Léon Valentin, qui se disait alors sans profession et demeurait aussi à Asnières, 14, rue du Bois.

Peut-être que le cimetière d’Asnières nous révèlerait quelques indications supplémentaires ?

Achille Lemot est mort à Asnières, 2, rue d’Angeville, le 19 septembre 1909. Il fut inhumé le surlendemain au cimetière ancien d’Asnières, dans une sépulture temporaire de 5 ans, puis exhumé le 13 octobre 1909 pour une sépulture perpétuelle dans la 29e division. On ne trouve plus trace, aujourd’hui, de cette tombe !

Jean-Yves Sureau

22 mars 2006

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DOMICILES SUCCESSIFS :

Paris – 2, rue Marie-Antoinette (1871).

Asnières – 21, rue du Château (1881).

Asnières – 2, rue d’Angeville (1909).

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ESSAI D'ICONOGRAPHIE (essentiellement d’après les notes de René Druart) :

1862-1875 : collaboration au « Journal Amusant ».

1867-1868 : collaboration à « L’Image ».

1867-1868 : collaboration à « La Surprise ».

1868-1870 : collaboration au « Monde Comique ».

1868-1870 : collaboration au « Monde pour rire ».

1869-1870 : collaboration à « La Parodie », d’André Gill.

1868-1872 : collaboration à « L’Éclipse ».

Le rôtisseur, mine de plomb et gouache. Étude originale pour la couverture par Gill et Lemot, de l’Éclipse, n° 103 bis, 9 janvier 1870. Bibliothèque Labadens.

L’Éclipse , n° 103 bis, Le Rôtisseur, cosigné André Gill et A. Lemot.

1869-1872 : collaboration à « L’Esprit follet ».

1871-1872 : collaboration à « Frou Frou ».

1872-1873 : collaboration à « La Scie ».

1878-1880 : collaboration au « Triboulet », sous le pseudonyme de Lilio.

1881 : œuvres exposées au Cirque de Reims sous les n° 778 à 780 : Canotiers (aquarelle), Épisode du Combat de Vermand, 18 janvier 1870 (aquarelle), Le Fou (aquarelle).

1882 : collaboration à « Paris s’amuse ».

1882-1886 : collaboration au « Chat Noir »

1883 : Chasseurs sans l’être, in « L’entracte », journal illustré, théâtral, littéraire et artistique paraissant tous les lundis, à Reims, 19, rue Colbert, n° 1 bis, du 16 au 22 octobre 1883 (dessin de 1ère page). Achille Lemot, selon René Druart, aurait fondé ce journal à Reims en 1883.

1885 : collaboration au « Mirliton ».

1885 à 1897 : collaboration au « Courrier français »

Un autre portrait d’Uzès en Mahdi dans le Courrier français du 8 mai 1885.

Portrait de Lemot paru dans le Courrier français du 7 juin 1885 (Uzès en couverture).

Le Courrier français , n° 37, 13 septembre 1885 : portrait d’Émile Cohl ; en majesté : Gill. Dessin original à la plume. Collection Musée du Vieux Montmartre. Uzès (pseudonyme de Lemot) a représenté la vénération du jeune Cohl pour son « dieu ».

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ESSAI DE BIBLIOGRAPHIE :

Eugène Dupont, « La Famille Rémoise, Brève Revue des Temps passés (1859-1875) », Reims, 1922.

Eugène Dupont, « La Vie Rémoise, 1878, 1879 et 1880 », Matot-Braine, Reims, 1928.

Auriant, « Le prototype de la Sapho d’Alphonse Daudet », in Mercure de France, tome 246, n° du 15 septembre 1933.

René Martineau, « Le premier portraitiste de Léon Bloy », in Cahiers Léon Bloy, n° de septembre-octobre 1933.

Eugène Dupont, « Panorama de quelques âmes rémoises », 4e séance, 1935, p. 4 ; 8e séance, 1936, p. 40 ; et 10e séance, 1936, p. 14.

René Druart, Travaux de l’Académie nationale de Reims.

Colonel Marcel Arnoult, « Lemot pour rire », in Travaux de l’Académie nationale de Reims, Art et Histoire en pays rémois, 75e volume, 2001, p. 153 à 177.

[1] Cette maison, qui était la dernière de la rue, existait encore en 1886 et a disparu avant 1902, probablement pour agrandir la place Saint-Nicaise. Cette rue ainsi dénommée en 1841, s’appelait précédemment rue des Quatre-Chats-Grignants.

[2] Eugène Dupont fait ici une confusion avec l’ancienne impasse des Cloîtres.

[3] Le père d’Eugène Dupont était le cousin germain du grand-père d’Achille Lemot.

[4] Eugène Dupont se trompe ici, car il s’agit bien d’un petit-fils d’Hubert Lemot qui épousa une Coulon, veuve Valentin.

[5] Ce qui est exact, puisqu’il s’agissait de son arrière-grand-père.

[6] En réalité l’épouse de Nitzsché était la cousine germaine du père d’Achille Lemot, autrement dit Nitzsché était l’oncle à la mode de Bretagne par alliance d’Achille Lemot.

[7] La collaboration de Lemot à cette feuille satirique s’étend du 25 avril 1868 au 23 août 1870.

[8] Lemot collabora également à la Parodie d’André Gill, où il donna des croquis humoristiques et des portraits-charges, dont celui de Flaubert (n° 16, 51-2 déc. 1869), qu’on reproduit encore de temps à autre, – à La Surprise (1867-1868) et autres petits journaux humoristiques du Second Empire.

[9] Dans l’Éclipse, d’A. Gill, par exemple : L’Été (3 septembre 1871), Un sujet de pendule (17 septembre 1871), Croquis d’Automne (22 octobre 1871).

[10] Voyez notamment l’Aquarelle-Mode du 1er mars 1873.

[11] L’actuelle rue Antoinette. Naguère, elle s’appelait Marie-Antoinette en l’honneur non de la femme de Louis XVI, mais de celle du plus gros propriétaire d’immeubles de la rue. L’administration a dû tronquer le nom primitif qui sans doute la choquait par le rappel de l’ « Autrichienne ».

[12] Ces billets de 20 francs ont causé l’étonnement de quelques lecteurs du Mercure de France où cet essai parut pour la première fois. L’affaire Lemot se passe en 1873. À cette date, ont-ils objecté, on ne connaissait que les louis, qui étaient d’or ; le billet de 20 francs ne fit son apparition que lors de la guerre de 1914.

Mes documents étaient formels. Par acquit de conscience, j’ai pris des renseignements à la bonne source : la Banque de France. Du 23 décembre 1870 au 29 juin 1873, la Banque de France a émis un billet de 20 francs. C’est ce billet, type 1871, que Valentin chercha à imiter.

[13] Et aussi d’une nouvelle, Rose Flaman, que Catulle Mendès publia, trois ans avant Sapho, dans le Gil Blas du 11 juillet 1881 et qu’il recueillit dans un volume intitulé Monstres parisiens (1882). Ces « monstres », et Rose Flaman elle-même, sont depuis longtemps oubliés et ils le resteront éternellement. Il est assez curieux de noter que Daudet donna le nom de l’héroine de Mendès : Flamant, à l’amant de Sapho.

[14] Voyez à l’Appendice la note I.

[15] Valentin vivait encore au début de ce siècle. Il a traduit, très médiocrement, au lavis, pour les Contemporains, publication hebdomadaire et sectaire de la Bonne Presse, en les signant A. Lemot, les portraits, reproduits en héliogravure en tête des notices, de la Baronne de Krüdener, d’après Kauffmann (1er juillet 1900), de l’explorateur Edw. Parry (4 novembre 1900), de Lætizia Bonaparte (18 novembre 1900), d’Ange Pitou (27 janvier 1901), de Prosper Mérimée (17 février 1901), de Pierre Ier, prince de Monténégro (24 février 1901), d’Adam Mickiewicz (28 avril 1901), de l’explorateur Jules Crevaux (12 mai 1901), du P. de Smet, missionnaire des Indiens des Montagnes rocheuses (9 juin 1901), d’Honoré Arnoul, fondateur de la Société d’encouragement au bien (14 juillet 1901), du voyageur Le Vaillant, en train de tuer « la première girafe qu’on ait découverte depuis le premier siècle de l’ère chrétienne ».

[16] Autre portrait d’Uzès, dans le Courrier français du 8 mai 1887 ; Les dessinateurs du « Courrier français » à l’Opéra : Uzès en Mahdi.

[17] Asnières.

[18] Etc. : la Scie, le Monde comique. Pas sous la signature d’Uzès, bien entendu. Je n’ai pas pu consulter la Scie à la Bibliothèque nationale. Elle ne s’y trouve pas, paraît-il. Dans le Monde comique (2e série, 1872-1873, et 3e série, 1874-1875), Lemot a publié plusieurs croquis humoristiques. Pour l’un d’eux, Sur la Marne (Monde comique, n° 25), il se pourrait que sa maîtresse lui ait servi de modèle. La petite femme qui craint de se hasarder dans une barque ressemble à Augustine Attagnant, telle que les chroniqueurs judiciaires l’ont dépeinte.

[19] Je n’ai pas trouvé trace d’Uzès ou de Lemot dans la Libre parole illustrée de 1893 à 1896. La suite manque (paraît-il) à la Bibliothèque nationale.

[20] Voyez à l’Appendice la note II.

[21] Il ne m’a pas été possible de consulter, à la Bibliothèque nationale, l’année 1883 du Chat Noir. Il paraît qu’elle manque à la collection. C’est ce qu’on m’a affirmé, du moins, mais les affirmations du personnel de cette administration sont très souvent sujettes à caution.

[22] C’est P.-A. Valentin, qu’il s’appelait en réalité.

[23] On voit qu’en 1906, lors du mariage de son fils, Jules Servais était toujours interdit légal, c’est d’ailleurs cette mention de l’arrêt de la Cour d’assises, dans l’acte de mariage, qui m’a mis sur cette piste.