Hôtel de Brimont

34, boulevard Lundy

Lors de notre dernière assemblée générale de la Société des Amis du Vieux Reims, M. le Maire nous a annoncé que la rue Thiers serait prochainement réhabilitée et qu’une campagne de ravalement serait lancée. C’est une bonne nouvelle car cette rue est une des plus harmonieuses de notre ville avec ses belles façades, en pierre de taille, pour la plupart du XIXe siècle et passablement noircies par la pollution.

L’histoire de l’hôtel de Brimont est liée à celle de la rue Thiers.

L’ouverture de cette dernière avait été décidée en 1859 pour relier la Gare à l’Hôtel de Ville. Elle s’appela initialement rue de la Gare jusqu’en 1877.

Si l’on se place devant la Gare, on observe qu’elle forme le pendant de la place Drouet-d’Erlon pour former un V dont la convergente se fait dans l’axe du pavillon central de la Gare. Ceci avait été ainsi voulu, mais reste peu visible du fait des frondaisons du square Colbert. Seul un plan est révélateur de cette volonté urbanistique.

L’ancien hôtel de Joyeuse, habité par la famille Ruinart de Brimont, occupait un vaste terrain et se situait au 1, place de l’Hôtel-de-Ville, 1, rue des Consuls et 4, rue Salin. Sa présence empêchait l’achèvement de la rue Thiers qui se terminait alors en cul-de-sac.

Contrairement à ce que j'ai indiqué dans mon ouvrage, Les Rues de Reims, le percement ne fut pas achevé en 1876. Car si la ville fit bien l’acquisition à cette date de l’immeuble, ou d’une partie de celui-ci, on apprend dans les éphémérides de l’Almanach Matot-Braine de 1890, que c’est seulement le 25 janvier 1889 que :

Les démolisseurs donnent le premier coup de pioche à la propriété Ruinart de Brimont, à l’angle de la rue Thiers et de la place de l’Hôtel-de-Ville. Cette ancienne construction empêchait jusqu’à présent l’achèvement de la rue Thiers.

Comment expliquer ce laps de temps entre l’acquisition et la démolition ? Y-a-t-il eu résistance de la famille à libérer l’hôtel ? Les Ruinart sont-ils devenus des occupants sans droit ni titre, à faire expulser ? Ou bien la ville n’a pas été en mesure de tenir ses engagements financiers ? Ce qui paraît plus probable car la maison était inoccupée depuis 1881. En 1879, Edgar de Brimont céda une autre partie de sa propriété pour la construction du 6, rue Thiers.

Si la maison de champagne Ruinart avait bien ses caves rue des Crayères, comme de nos jours, ses bureaux se trouvaient alors dans cet antique hôtel au 4, rue Salin. À cette adresse nous trouvons en 1856 : Ruinart père & fils, négociant en vins. Au 1, rue des Consuls : Edmond Ruinart de Brimont, propriétaire. Au 5, place de l’Hôtel-de-Ville : Edgar Ruinart de Brimont, négociant en vins.

La maison de champagne, dont les archives sont très riches, a déclaré ne rien posséder sur l’hôtel du boulevard Lundy.

À la suite de cette démolition, le vicomte André de Brimont fera don à notre Société le 3 février 1910 d’une dalle dédicatoire de la construction de l’hôtel de Joyeuse, érigé en 1720, sur la place de l’Hôtel-de-Ville et la rue Salin, démoli en 1889 pour aligner l’angle de la rue Thiers.

À la mort d’Edmond Ruinart de Brimont (1795-1856) et de son épouse Henriette de Lalot (1803-1856), l’hôtel échut, par partage amiable des biens de la succession, réalisé par Me Contant, les 9, 15 et 22 avril 1857, à leur fils cadet, le vicomte Edgar de Brimont (1829-1881). Celui-ci, dont il va être question, en fut le dernier occupant.

Sans retracer toute la généalogie de la famille Ruinart de Brimont, aux nombreuses ramifications, je vous en livre quelques éléments.

La famille Ruinart est notablement connue à Reims depuis le début du XVIIe siècle, mais c’est François Jean Irénée (1770-1850), maire de Reims de 1821 à 1827, député, qui fut anobli en 1817 et prit le nom de Ruinart de Brimont. Il fut gentilhomme de la Chambre de S. M. et Charles X lui conféra le titre de vicomte, à titre personnel, en 1825. Ce titre devint héréditaire, en 1827, par lettres patentes. Maxime de Sars, dans Le Laonnois féodal, reproduit intégralement ces lettres patentes du 17 mars 1827, publiées au Bulletin des lois du Royaume de France, par lesquelles Charles X l’autorisa à asseoir le majorat de son titre de vicomte sur son domaine foncier de Prouvais (Aisne).

C’est en l’honneur du fondateur de la dynastie que fut dénommée, en 1867, la rue du même nom.

Le vicomte André Ruinart de Brimont, constructeur de l’hôtel du boulevard Lundy, était son arrière-petit-fils. Né au château de Belombre, à Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne), le 12 septembre 1861, Paul Marie André était le fils du vicomte Charles Ruinart de Brimont (1824-1896) et de Julie Alice Hennessy (1835-1910), des cognacs. Par sa grand-mère maternelle, née Durant de Mareuil, il cousinait avec la famille de Ayala, des champagnes d’Ay.

Ses parents vivaient à Paris. Après avoir demeuré 6, rue de l’Arcade, quartier de la Madeleine, en 1856, dans cette même rue où habita la Rémoise Marie-Anne Détourbay (1837-1908), alias Jeanne de Tourbey, future comtesse de Loynes. La Dame aux Violettes y tint son premier salon littéraire et y vécut une liaison avec le journaliste Émile de Girardin.

Ils s’installèrent ensuite dans un hôtel particulier du 16e arrondissement, 11, rue Cimarosa. Ils y finirent leurs jours et reposent à Reims au Cimetière du Nord.

Ce « pied-à-terre » parisien sera conservé par leur fils André.

On peut conjecturer que c’est avec la succession de son père qu’André Ruinart de Brimont entreprit la construction du boulevard Lundy.

Son oncle, le vicomte Edgar de Brimont, avait épousé, en Angleterre, Mina Sheppard, qui, selon Eugène Dupont, défraya la chronique du second Empire ; il nous dit dans La Vie Rémoise en 1876 :

Une Rémoise des plus huppées fait quelque bruit dans le monde parisien, au cœur duquel elle apparaît sous les espèces d’une personnalité mystérieuse au service d’un quelconque pouvoir occulte. Mme Edgar de Brimont, déjà resplendissante blonde en 1848, lors de ses 22 printemps, l’est encore en dépit des âges, grâce aux subterfuges de la coquetterie qui la transforment ingénieusement en gravure de modes ou poupée-postiche. Mme la Vicomtesse se couvre de perruques aussi extraordinaires par leur prix de revient que par leur coloration, et, riche et mondaine jusqu’aux ongles, elle a créé un salon éclectique où, à la fin de l’Empire, pendant l’affaire du Creusot, se rencontraient avec Émile de Girardin le gros Plon-Plon et le conspirateur Assy, – pantins de la comédie politique dont les destins français constituaient la trame.

Eugène Dupont, reprend aussi dans La Vie Rémoise en 1881 :

10 juin 1881 à Paris. Obsèques du Vicomte Edgar de Brimont, 52 ans, habitant Reims, rue Salin, 4, et à Enghien, où il mourut. Sa veuve, Mina Sheppard, avait jadis donné asile, en Angleterre, au prince Louis Napoléon Bonaparte, qui en garda reconnaissance à sa famille. Elle fit partie des « Femmes du Second Empire ». Intrigante, fort à la mode, elle avait été demandée en mariage, quand mourut Delphine Gay, par Émile de Girardin ; mais il y eut rupture à la veille de la cérémonie. Par la suite, elle devint Vicomtesse Ruinart de Brimont ; se séparant de son mari de façade, à l’amiable, pour vivre à sa guise et « mener retraite » chez une belle-sœur. De taille moyenne, « fausse maigre », avec de grands yeux vairons, une bouche d’enfant et de petites mains, cheveux dorés à la Titien. Elle habite rue Montaigne, où Danaé se réjouit des rumeurs malignes dont la presse mondaine se délecte à son propos. Libre-penseuse et, en 1881, ralliée au régime, elle est de l’intimité de Mmes Juliette Adam et Arnaud de l’Ariège.

Cependant, on ne trouve nulle trace de la vicomtesse de Brimont dans Les Femmes du Second Empire, par Frédéric Loliée, paru en 1927, ni dans cet autre ouvrage, publié en 1935, Les Lionnes du Second Empire, par Auriant, critique au Mercure de France. Pas plus que dans la biographie d’Émile de Girardin que lui consacra Pierre Pellissier, chez Denoël, en 1985 ?

Mais il est attesté que le mariage, a bien eu lieu en Angleterre, avec Laurence Camille Clémentine Mina Sheppard, car leur contrat passé en Angleterre, précise-t-on, sans toutefois indiquer le lieu, fut déposé chez Me Contant, notaire à Reims, le 25 décembre 1863. Mariés sous la communauté, ils furent séparés de corps et de biens par jugement, du Tribunal civil de Reims, du 30 août 1877.

C’est donc en 1896 qu’André de Brimont fit construire le somptueux hôtel que nous connaissons, sur une parcelle de 2765 m² située 34, boulevard Lundy et formant l’angle des rues Kellermann et Coquebert. Ces terrains avaient été libérés par la démolition des usines Pierrard-Parpaite, dont les héritiers firent ouvrir à leurs frais la rue Kellermann en demandant qu’elle soit dénommée rue Adam-Smith. Comme bien souvent, cette condition ne fut pas respectée !

L’architecte en serait Amand Jules Bègue (1830-1927), fils du maître de filature, aux prénoms cocasses, Amand Fidèle Bègue. Il avait réalisé la même année, avec son associé Ernest Kalas, les Salons de l’Hôtel du Nord. On lui doit également les beaux hôtels du boulevard Désaubeau, construits en 1907 pour les familles Lochet au n° 3 et Mandron au n° 7. Bègue construira aussi, avec Kalas, l’hôtel Émile Charbonneaux, 27, rue Libergier, qui fut démoli pour faire place au bâtiment hideux du Crédit Agricole.

Selon René Druart, qui tenait l’information de l’architecte Abel Robert (1873-1963), Bègue aurait fait faire les plans par l’architecte parisien Blondel.

Je n’ai rien trouvé sur ce Blondel qui pourtant ne semblait pas être inconnu à Reims, puisque, toujours d’après Eugène Dupont, en 1880, l’architecte Blondel fut chargé de la construction de l’Hôtel Continental, sur l’emplacement de la maison de ville de Paul David. Eugène Dupont n’aurait-il pas fait confusion avec l’Hôtel Continental, construit à Paris par Henri Blondel ? En effet, Paul David habitait encore place Drouet-d’Erlon en 1889 et son hôtel, construit par Devédeix, est resté jusqu’à nos jours, à quelques détails, tel que l’a conçu l’architecte Max Berthelin en 1862 ?

Dupont nous dit encore, dans La Vie Rémoise en 1873, que l’architecte parisien Blondel, venait souvent se reposer de ses travaux dans la charmante thébaïde de son oncle le trieur de laine, Antoine Hannotteaux-Blondel, qui habitait alors un pavillon discrètement enchâssé entre les murailles couvertes de lierre et de feuilles de mûrier de son jardin de la rue des Fusiliers nº 14.

Bègue, à 67 ans, aurait-il eu besoin de s’adjoindre les services d’un Parisien ?

Pourtant, Henri Menu semble corroborer cette affirmation comme nous le verrons plus loin.

De même, Patrick de Gmeline, dans son ouvrage Ruinart, la plus ancienne maison de champagne, de 1729 à nos jours, paru chez Stock en 1994, précise qu’il s’agit de Paul Blondel, grand prix de Rome. Bizarrement, jusqu’à présent, on semblait s’obstiner à vouloir taire son prénom !

Grand prix de Rome, Paul Blondel, fit bien un séjour à la Villa Médicis du 1er octobre 1877 au 31 décembre 1880, mais comment avoir la certitude qu’il s’agit bien de notre architecte ? (Ce doute a été levé par la médaille de fondation qui m'a été remise depuis par M. Bertrand Mure).

Tous les Rémois, même ceux qui en ignorent le nom, connaissent l’hôtel de Brimont, par ses magnifiques grilles.

Et déjà, en 1900, Hippolyte Bazin y faisait allusion dans son ouvrage Une vieille cité de France, Reims, monuments et histoire :

L’artiste n’a rien à voir dans la ville neuve, malgré la beauté de certains hôtels somptueux ou les grilles en fer forgé étalent parfois un luxe éblouissant.

Éblouissantes, certes, elles devaient l’être ces grilles avec leurs dorures. Elles ne sont pas sans faire penser à celles de l’hôtel Dassault, du rond-point des Champs-Élysées à Paris. Les pièces en métal repoussé étaient fort probablement dorées à la feuille d’or comme celles de l’hôtel François que nous pouvons voir aujourd’hui sur le même boulevard (Chambre de métiers).

Henri Menu, lui aussi, dans la préface de l’ouvrage de Léopold Lesigne, Reims à l’eau-forte, en 1905, ne manque pas d’en parler :

Une admirable grille, en fer forgé, décore l’entrée de l’hôtel monumental (nº 34), d’où l’aquafortiste a pris la vue du boulevard. Cet immeuble rappelle le nom d’une famille séculaire, inscrite dans les fastes de l’érudition et des services publics, et la mémoire de l’architecte rémois Blondel, collaborateur d’Haussmann dans la rénovation du vieux Paris.

C’était certes, ostentatoire, mais comme le fait remarquer Hippolyte Bazin :

Jadis, les riches Rémois cachaient la magnificence de leurs demeures derrière des murs sans apparence, au fond de leurs vastes jardins ; il semble que depuis quelques années les habitudes se soient modifiées. Qui pourrait s’en plaindre ? Le plaisir des yeux en est accru et l’on doit être reconnaissant à ceux qui, sans y songer peut-être, nous procurent la joie d’admirer leur opulence et leur bon goût.

Malheureusement ces grilles sont dans un triste état et ce depuis fort longtemps. Faute d’entretien, leur dépose totale est aujourd’hui nécessaire pour leur réfection. Je crois me souvenir qu’Arlette Rémia (1926-1983) parlait d’une somme de 500.000 F pour les restaurer, par les Métalliers Champenois, il y a de cela plus de vingt ans… Aujourd’hui, il est question de 150.000 €.

L’hôtel se situe entre cour et jardin. C’est un pastiche du style Louis XV de grande qualité et d’une élégance remarquable.

Du jardin, dessiné par Édouard Redont, il ne subsiste rien. Il sert de parking aux véhicules du personnel du Rectorat.

Deux pavillons encadrent la cour. Celui de droite, sur la rue Kellermann, était destiné aux bureaux de la maison Ruinart, ce qui explique le raffinement de sa décoration intérieure. La porte (au 1, rue Kellermann) est surmontée d’un cartouche sculpté du monogramme R. P. F., pour Ruinart père et fils, ancienne raison sociale de la maison de champagne. À première vue ce monogramme est énigmatique, car on y lit les lettres R. F. P. Mais, à y regarder de plus près, on se rend compte que la lettre F est surimposée sur les lettres R. P. et que par conséquent leur lecture doit se faire dans l’ordre R. P. F. Ce cartouche est encadré de palmes et d’une banderole sur laquelle sont gravées deux dates : 1729 et 1897. La première rappelle la date de fondation de la Maison Ruinart, qui serait la maison de vins de Champagne la plus ancienne de Reims. La seconde, indique l’année d’achèvement de l’hôtel.

Le pavillon de gauche, sur la rue Coquebert, était affecté aux communs, remises et écuries.

Tout l’ensemble, à l’exception des cheminées qui sont en brique, est appareillé en pierre de taille sur les quatre façades.

L’architecture est équilibrée et de bon goût.

L’ornementation en est très soignée, sans profusion de sculptures, sans doute pour ne pas nuire à la richesse de la grille d’entrée. Cette grille forme deux doubles portes pour permettre aux attelages de déposer leurs passagers sous la marquise et de ressortir avec facilité.

Entre ces deux portes, la grille, sensiblement plus basse, dégage la vue sur la partie centrale de l’hôtel.

Et c’est précisément celle-ci qui a reçu toute la décoration. Elle forme un léger ressaut et se termine par un cintre soutenu par deux consoles sculptées. Une grande porte vitrée, munie d’une grille intérieure, est surmontée d’une imposante marquise, laquelle est elle-même surplombée par un balcon à corbeille en fer forgé. La partie supérieure de la fenêtre est sculptée des armoiries de la famille Ruinart de Brimont dans un cartouche ailé richement décoré. Sous la couronne vicomtale, le blason, soutenu par deux lions, se lit ainsi :

D’azur au chevron d’or, accompagné en chef de deux étoiles d’argent et en pointe d’un cœur du même ; au chef d’or chargé d’une rose de gueules.

Ces armes sont également sculptées dans le marbre du manteau de la cheminée de la salle à manger.

Un important œil de bœuf s’ouvre dans une lucarne monumentale, richement sculptée, et termine le tout.

La corniche est sobrement décorée de denticules et de modillons. Elle soutient une balustrade fermée et à ajours contenant des balustres tournés. Celle-ci, rythmée par les lucarnes en pierre et les pots à feu, ceinture la toiture à la Mansart. Ces lucarnes sont elles-mêmes surmontées d’une série de petits œils-de-bœuf.

On observera que les fenêtres sont dépourvues de décors et que seules les croisées ont fait l’objet d’une recherche. Elles sont dotées d’un galbe orné d’une coquille sculptée, dont l’imposte forme un cœur, pour le rez-de-chaussée, et un ovale pour l’étage. Bègue réutilisera ce même type de fenêtre pour l’hôtel Lochet. Malheureusement, pour ce dernier, celles-ci ont été remplacées par des menuiseries en P. V. C. On a bien essayé d’en conserver le dessin, mais elles en ont perdu tout leur charme.

Les façades de l’hôtel, comme celles des pavillons, sont simplement animées de refends.

Côté jardin, un hémicycle s’orne d’un grand balcon, en corbeille, aux consoles décorées d’énormes gueules de lion.

Une fois franchie la porte, nous accédons au vestibule par un escalier de marbre aux murs revêtus de stuc, parfaitement conservé. De chaque côté de cet escalier, deux grandes baies prennent jour. Elles éclairent deux salons et ont la particularité de se trouver au-dessus de très importantes cheminées de marbre. Au lieu de miroir, nous avons du verre clair. Peut-être y avait-il des glaces sans tain à l’origine ? Les conduits de fumée passent de chaque côté de ces larges baies.

Le hall d’entrée a conservé sa fontaine en stuc et ses décors de staff. Une grande jardinière en marbre était destinée à recevoir des plantes et autres compositions florales.

Dans l’ensemble, bien que transformée en bureaux, cette maison a été respectée.

On y retrouve la décoration d’origine ainsi que les principaux luminaires en bronze.

Les peintures aux tons pastel, dans le goût du XVIIIe siècle, ont su mettre en valeur, par des rechampis, tous les ornements en relief. Celles-ci furent prises en charge par le Rectorat de Reims.

Le rez-de-chaussée se compose de cinq pièces de réception et d’un office avec accès direct au sous-sol et aux étages pour le service.

Au centre de la maison, le grand salon, au plafond voûté, est décoré de trophées de musique. On y voit toujours son grand lustre en bronze à pampilles de cristal. Cette pièce s’éclaire par trois grandes portes-fenêtres aux crémones en bronze ciselé et doré. Elle donne sur le jardin et s’ouvre sur une terrasse en hémicycle, dont les balustres et les lanternes ont disparus.

À droite du hall d’entrée, un escalier d’honneur donne accès au 1er étage. Sa rampe en ferronnerie est tout à fait remarquable. Il prend jour par un très grand vitrail, dont l’imposte est garnie d’un décor en sanguine, dans l’esprit de Boucher.

Un escalier plus ordinaire, en chêne tourné, dessert le second étage mansardé.

Bien entendu, comme dans la plupart des hôtels particuliers, les cuisines et autres pièces de services, se trouvaient dans le sous-sol.

La cuisine, entièrement revêtue de faïence, du sol au plafond, avec une frise de feuilles de lierre, a conservé ses meubles et son immense hotte qui abrite toujours la rôtissoire en fonte. Les fourneaux ont disparus, de même que la batterie de cuisine en cuivre, qui était restée en place et qu’une main peu délicate a subtilisée.

Dans ce sous-sol, on peut toujours voir l’ingénieux système de chauffage, installé par l’entreprise rémoise Lefebvre, Bellezanne & Buard. De l’ancien calorifère, partait un certain nombre de gaines pour diffuser l’air chaud qui arrivait par le sol des pièces à travers des grilles de bronze. Chaque gaine était munie d’un clapet que l’on pouvait ouvrir et fermer à volonté, suivant les besoins. À chacune de ces clefs était suspendue, au moyen d’une chaînette, une étiquette en métal émaillé portant le nom de la pièce desservie.

Comme il se devait dans la haute société, la famille Ruinart de Brimont avait aussi sa maison de campagne qui n’était autre que le château de Brimont, à quelques kilomètres de Reims.

Nous apprenons par l’Annuaire Mondain de Reims, de 1911, que madame avait son jour le mercredi, et par le Répertoire des Collectionneurs, année 1908, de l’ex-libraire rémois Ernest Renart, que le vicomte de Brimont collectionnait les livres et objets d’art à Reims, et les couteaux et fourchettes anciennes en son hôtel à Paris, 11, rue Cimarosa.

André de Brimont, – est-il utile de le préciser ? – était négociant en vins de Champagne. Il épousa à Reims, le 5 juin 1888, Charlotte Riboldi, née à Londres le 11 mai 1867.

Il fut vice-président de notre Société, dès sa fondation, et l’un de nos premiers bienfaiteurs. Outre la pierre sculptée, citée plus haut, il fit don, en 1909, d’une collection de 834 photographies prises à la Cathédrale. À la suite de ce don, notre Société acheta le 28 juillet 1910 à Léon Doucet (1866-1939), ancien sculpteur à la Cathédrale et photographe, 189 épreuves de vues extérieures et intérieures de la Cathédrale, pour compléter la collection offerte par M. de Brimont.

Nous possédons, grâce à cette libéralité, une collection de photographies d’une qualité exceptionnelle et d’une valeur documentaire de premier ordre.

Du fait de la guerre, le vicomte de Brimont mourut à Paris 16e le 11 octobre 1919. La vicomtesse revint habiter Reims et mourut, en son hôtel, le 16 juin 1925. L’un et l’autre n’avaient que 58 ans !

Durant la Grande Guerre, contrairement à la plupart des maisons de Reims, l’hôtel n’eut pas à subir de gros dommages. Il fit partie de ces 6.247 maisons réparables, sur les 14.150 que comptait la ville en 1914, et peut-être même de ces 60 immeubles immédiatement habitables ?

Il faut cesser de dire que la ville fut entièrement détruite et tout attribuer à la Reconstruction. Beaucoup d’immeubles furent réparés ou reconstitués et nous conservons ainsi un important patrimoine du XIXe siècle. Celui-ci mérite d’être préservé.

Un seul enfant naquit dans cette maison, et tardivement, le 13 décembre 1902 .

Marie Gérard Ruinart de Brimont, héritier de l’hôtel à la mort de sa mère, fut président directeur général de la Maison Ruinart et président d’honneur de la Société Rémoise des Grands Vins de Champagne. Il comptait parmi nos membres bienfaiteurs.

En 1929, pour célébrer le bicentenaire de la Maison Ruinart, de grandes fêtes furent données dans cette demeure.

L’hôtel fut réquisitionné par les Allemands durant l’Occupation, puis occupés par les Américains, dont les aides de camp du général Eisenhower.

Gérard de Brimont ne revint jamais l’habiter et s’installa dans un appartement au 33, cours Jean-Baptiste-Langlet où il termina ses jours. Il mourut célibataire le 5 mars 1975, à la Clinique Mutualiste, au 1, rue de l’Université.

L’hôtel fut vendu, en 1948, par Bertrand Mure, président directeur général de la Maison Ruinart, au Groupement professionnel des Industries du Verre, pour la somme de 8 millions de francs.

L’architecte Jacques Herbé y fit quelques aménagements en 1949.

Réfectoire et dortoirs y furent installés. Un agrandissement des lucarnes existantes et construction de nouvelles, afin d’obtenir un bon éclairage des nouveaux locaux, furent exécutés.

Le pavillon de droite devint logement du directeur et celui de gauche logement du sous-directeur.

En 1959 le ministère de l’Éducation nationale s’en porta acquéreur pour 26 millions de francs et y fit aménager l’Internat (filles) du Lycée technique Roosevelt.

Depuis 1975, il est toujours occupé par des services de l’Académie de Reims : La DAFCO, le CAFOC et la DAVA. Ces noms barbares signifient : DAFCO : Délégation Académique à la Formation Continue (service de formation continue de l’Éducation nationale) ; CAFOC : Centre Académique de Formation Continue (formation continue des enseignants) ; DAVA : Dispositif Académique de Valorisation des Acquis.

L’ONISEP : Office National d’Information sur les Enseignements des Professions, occupe le pavillon de droite avec entrée au 1, rue Kellermann.

Ces différents services du Rectorat seront prochainement regroupés dans l’immeuble de l’ancien Foyer Civil, boulevard de la Paix, en cours d’aménagement.

L’immeuble sera mis en vente et sera la proie des promoteurs immobiliers qui ne manqueront pas de densifier le terrain qui donne, rappelons-le, sur trois voies.

Les intérêts économiques prévaudront sur l’intérêt historique ou architectural.

Ne faudrait-il pas, au risque de me répéter, obtenir une loi qui classerait les jardins, pour les rendre inconstructibles, contre une juste indemnité, au même titre que sont indemnisés les propriétaires d’œuvres d’art dont on refuse l’autorisation d’exportation ? Je pense en particulier à l’affaire Jacques Walter qui coûta aux contribuables la bagatelle de 145 millions de francs pour avoir classé, en 1982, le tableau de Van Gogh, Le jardin d’Auvers. Cette toile aurait pu revenir en France, au gré des expositions, alors que les jardins et notre patrimoine, qui font partie de notre quotidien, seront irrémédiablement perdus.

Dans le meilleur des cas, les volumes de ce bel hôtel seront divisés et nous perdrons les décors intérieurs, mais au moins nous en conserverons l’aspect extérieur.

L’estimation du service des Domaines est de 1,9 millions d’Euros. Comme chacun sait, l’État n’entretient pas ses bâtiments. Seule la marquise a fait l’objet d’une restauration, après dix ans de tractations du Rectorat auprès du ministère de l’Éducation nationale. Ces travaux ont coûté 120.000 francs et sont à refaire. Compte tenu de l’importance des travaux de réhabilitation, il est à craindre que cet hôtel ne trouve pas immédiatement preneur.

Vide et inoccupée, la maison risque fort d’être mise au pillage. Cheminées, crémones et serrures en bronze seront volées, si toutefois l’immeuble échappe à l’incendie… (malgré cette mise en garde, le Rectorat ne fit pas gardienner l'immeuble. Dès février 2005, les lustres en bronze furent volés. Ils auraient été retrouvés chez un antiquaire de Bruxelles, en juillet 2005...)

C’est sur cette note pessimiste que je regrette de conclure. Mais la situation est préoccupante et je souhaite que l’avenir me donne tort.

Il y a cependant un petit espoir. En effet, l’hôtel de Brimont figure sur la liste des immeubles protégés par le POS (plan d’occupation des sols). Cette liste compte 119 immeubles, ce qui est peu, soit dit en passant, sur les 6247 plus ou moins épargnés par la Grande Guerre. Ceci implique qu’ils feront l’objet de prescriptions particulières lors d’éventuels modifications, pouvant aller jusqu’à l’interdiction de démolir. Je vous laisse méditer sur ce texte administratif.

Jean-Yves Sureau.

Illustrations liées à l'article sur l'hôtel de Brimont :